Culture

Dix choses que vous ne savez (peut-être) pas sur l'album «Horses» de Patti Smith

Il y a quarante ans sortait «Horses», déclaration d'indépendance d'une égérie rock habitée par la rage et la poésie. Un des meilleurs albums de l'histoire, que Patti Smith joue en live dans le cadre d'une tournée spéciale. Elle fera escale à l'Olympia les 20, 21 et 22 octobre 2015. Écoute commentée.

Patti Smith, Horses
1.«Gloria»

Cette version hallucinée du classique de Van Morisson et du groupe de garage rock Them est le fruit du hasard d'une répétition: Patti Smith récite un de ses poèmes, «Oath», au côté de son guitariste Lenny Kaye afin qu'il le mette en musique. Celui-ci se met à aligner les trois accords de «Gloria» (mi-ré-la) pour l'accompagner. Patti Smith lui demande si ces accords sont ceux d'une chanson connue, et Lenny Kaye, accompagné par le pianiste du groupe encore naissant, Richard Sohl, entonne le refrain. La reprise incandescente qu'en fera Patti Smith s'ouvre sur les mots devenus mythiques de «Jesus died for somebody's sins but not mine» (Jésus est mort pour les péchés de quelqu'un, mais pas pour les miens).

«J'avais écrit cette phrase quelques années plus tôt en guise de déclaration d'existence, de serment d'assumer mes propres actes, écrit-elle dans son autobiographie Just Kids. Le Christ était un homme qui valait la peine qu'on se rebelle contre lui, car il était la rébellion même.»

Les références à dieu sont nombreuses dans sa discographie, Patti Smith revendiquant sa foi chrétienne. Elle a même été invitée à chanter lors du concert de Noël du Vatican en 2014.

2.«Redondo Beach»

Sur cet air reggae faussement nonchalant, Patti Smith pleure la disparition d'une jolie fille des plages, adoptant comme dans Gloria ce point de vue masculin qui lui vaudra cette aura androgyne dans le monde du rock. Le morceau portant en outre le nom d'une plage de Los Angeles connue pour être fréquentée par les gays et les lesbiennes, elle a été interprétée à sa sortie comme un hymne saphique. Patti Smith en joue quand elle est sur scène, en l'introduisant rituellement par les mots «Redondo Beach is a beach where women love other women». Mais les paroles de la chanson tirent en réalité leur source d'une dispute avec sa petite soeur Linda, après laquelle cette dernière avait disparu durant des heures. Patti Smith se rongeait les sangs de ne pas la voir revenir.

3.«Birdland»

Enchevêtrement plein de grâce de mélopées beat et de free jazz, ce morceau planant qui s'étire sur neuf minutes est inspiré du livre À la recherche de mon père, écrit par le fils du savant allumé Wilhelm Reich, initiateur du freudo-marxisme, qui passa une grande partie de son temps à tirer sur les nuages et à chasser les soucoupes volantes avant d'être jeté en prison pour «escroquerie». Patti Smith imagine «le jeune Peter Reich dans l'attente que son père, Wilhelm, descende du ciel pour le délivrer.»

4.«Free Money»

«Every night before I rest my head /See those dollar bills go swirling 'round my bed / I know they're stolen, but I don't feel bad / I take that money, buy you things you never had.» Patti Smith a écrit les paroles de cette chanson sur les rêves de fortune des plus pauvres alors qu'elle-même faisait l'expérience de la bohème new-yorkaise, se partageant une chambre minable au Chelsea Hotel avec son premier amour, le photographe Robert Mapplethorpe, faisant bouillir des feuilles de salade en guise de soupe et tirant au sort pour savoir lequel d'eux deux pourrait aller voir une expo le week-end et la raconter à l'autre qui l'attendrait sur les marches du musée.

5.«Kimberly»

Cette ballade est dédiée à la plus jeune sœur de Patti Smith. Également musicienne, elle l'a parfois accompagnée à la guitare sur ce morceau en concert. Kimberly joue d'ailleurs de la mandoline sur l'album Gone Again, sorti en 1996, qui signe le grand retour sur scène de Patti Smith, après dix-sept ans d'absence.

6.«Break It Up»

C'est le récit d'un rêve mettant en scène Jim Morrison, un des héros de Patti Smith, dans lequel le chanteur des Doors, enchaîné à la manière du titan Prométhée, se libère de ses entraves. Les paroles ont été écrites par Patti Smith et Tom Verlaine, leader de Television, un groupe de rock aux guitares fiévreuses, injustement oublié, qui se produisait en alternance avec Patti Smith au CBGB, le légendaire bar à concerts du Bowery où la crème des groupes de rock new-yorkais des années 1970 ont fait leurs débuts, des Talking Heads aux Ramones en passant par Blondie.

Sur cette échappée galopante en terres rock'n'roll, Patti Smith plante le décor d'un viol dans un vestiaire de garçons, fortement inspirée par les Garçons sauvages de son mentor et ami William Burroughs, puis lâche les chevaux et s'offre une virée dans le pays des milles danses de Chris Kenner et rend hommage à un autre de ses héros, Jimi Hendrix. Horses a été enregistré aux studios Electric Lady, que le musicien avait fait construire peu avant sa mort. L'esprit du guitariste de légende plane sur tout l'album, Patti Smith n'ayant cessé de penser à lui durant les séances d'enregistrement.

Dans cette ode à «ceux que nous avions perdus, ce que nous étions en train de perdre et ceux que nous perdrions à la fin», comme elle l'explique, Patti Smith s'adresse sur un ton incantatoire à ses fantômes. Une chanson prémonitoire si l'on veut, Patti Smith étant une des rares survivantes de sa génération et sa vie personnelle ayant été marquée par une longue suite de deuils: son ami de toujours Robert Mapplethorpe, son mari Fred «Sonic» Smith, leader des MC5, son frère Todd Smith, son pianiste Richard Sohl, et bien d'autres encore...

9.«My Generation»

Bonus de l'album, cette reprise fougueuse du célèbre morceau des Who a été enregistrée lors d'un concert en 1976 à l'Agora, une célèbre salle de concerts de Cleveland. À la basse, John Cale, le producteur de l'album. Dans les années 1970, beaucoup de concerts de Patti Smith s'achèveront sur «My Generation», qui laissera la place lors de sa deuxième carrière à son hymne planétaire «People Have The Power».

1O.La pochette du disque

La photo est signée Robert Mapplethorpe, l'âme sœur de Patti Smith, «l'artiste de [s]a vie», comme elle l'appelle. La séance a été courte: à peine douze clichés ont été pris ce jour-là dans l'appartement de la Ve avenue où vivait alors Sam Wagstaff, compagnon et mécène du photographe. La tenue et la posture de Patti Smith sont truffées de références à ses «modèles»: la chemise d'homme qu'elle arbore lui évoquait à la fois Roger Vadim, à cause des initiales «RV» cousues du côté gauche, et «un portrait de Jean Genet par Brassaï, en chemise blanche à monogramme, les manches roulées».

La veste qu'elle porte avec désinvolture sur l'épaule est inspirée par certaines poses de Frank Sinatra. Une des plus grandes idoles de Patti Smith manque pourtant à l'appel sur cette photo: Bob Dylan, dont elle cherchait à imiter la dégaine fougueuse durant sa jeunesse. Cette pochette d'album reste étroitement liée au souvenir de Robert Mapplethorpe pour Patti Smith: «Lorsque que je la regarde aujourd'hui, ce n'est jamais moi que je vois. C'est nous.»

1 — Sources : Just Kids, Patti Smith, éd. Denoël, 2010 ; Patti Smith : An unauthorized biography, Victor Bockris, Roberta Bayley, éd. Simon & Schuster, 1999 ; interviews de Patti Smith...