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Missiles: Obama renonce à un bouclier inutile

En abandonnant le projet de bases anti-missiles en Europe, Obama a pris la bonne décision.

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En faisant le choix de saborder le projet de George W. Bush, qui consistait à déployer un système anti-missile en République Tchèque et en Pologne, le président Barack Obama a fait preuve d'une habileté remarquable, autant sur le fond que dans la forme.

Cette décision, rendue publique jeudi 17 septembre, au terme d'un réexamen complet du programme qui a duré six mois, fait disparaître le principal obstacle à l'amélioration des relations entre les Etats-Unis et la Russie. Elle ouvre ainsi la voie à une coopération plus étroite sur de nombreuses questions de portée internationale, mais sans abandonner totalement l'idée d'un bouclier anti-missiles pour l'Europe.

C'est en 2007 que Bush s'est mis en tête d'installer dix intercepteurs anti-missiles sur le territoire Tchèque et Polonais. Et depuis, les Russes ne décolèrent pas, le premier ministre Vladimir Poutine allant jusqu'à accuser les états-Unis de vouloir rompre l'équilibre stratégique du continent européen.

Le gouvernement Bush, et notamment le secrétaire à la défense Robert Gates (qui occupe aujourd'hui la même fonction sous Obama), avait alors tenté de convaincre Poutine que ses craintes étaient sans fondement. Les intercepteurs seraient configurés pour abattre uniquement des missiles tirés depuis l'Iran. Qui plus est, dix intercepteurs ne pesaient pas lourd fasse aux milliers de missiles entassés dans l'arsenal nucléaire russe.

Ces arguments n'étaient pas faux, mais ils ne répondaient pas au vrai problème. Les Russes ne s'inquiétaient pas pour dix intercepteurs, mais plutôt pour le poids symbolique représenté par ces armes: une présence militaire américaine au cœur de l'Europe de l'Est.

Les systèmes anti-missiles que Bush souhaitait implanter en République Tchèque et en Pologne étaient les mêmes que ceux mis en place à Fort Greely, en Alaska, dans le cadre du programme global de protection du territoire américain. Ces armes, qui appartiennent à la catégorie des GBI (Ground-Based Interceptors [ndt : Intercepteurs basés au sol]), sont d'énormes fusées à plusieurs étages de la taille du missile balistique intercontinental Minuteman. Comme ces derniers, ils sont enterrés dans de profonds silos conçus pour résister à des bombardements. Le complexe GBI situé en Alaska couvre une surface de 250 hectares, il est couplé avec un énorme radar et emploie 200 militaires ainsi qu'une force de sécurité chargée de surveiller les routes environnantes.

La Russie s'est toujours inquiétée des velléités d'expansion de l'Otan sur son ancien pré carré impérial et soviétique. Les GBI ne sont pas à proprement parler des armes nucléaires (ils ne transportent par d'ogive, mais seulement des charges conventionnelles destinées à détruire les missiles), mais ils dépendent tout de même du programme nucléaire américain. Dans ces conditions, comment la Russie aurait-elle pu accepter leur implantation aussi près de ses frontières?

Quand Obama a rencontré Poutine et le président russe Dmitri Medvedev en juillet dernier, le projet de son prédécesseur pesait encore sur les débats. Les Russes semblaient apprécier l'état d'esprit du nouveau président (l'idée de «repartir à zéro»), mais ils attendaient toujours des preuves concrètes de la bonne volonté américaine. Eh bien justement, l'annonce d'aujourd'hui est on ne peut plus concrète.

Au cours de la conférence de presse qui l'a immédiatement suivie, le secrétaire Gates a expliqué que, contrairement à ce que prétendait la une du Wall Street Journal, Obama ne renonçait pas «à tout bouclier anti-missiles en Europe.» Il s'agit d'ajuster le programme, pas de l'abandonner complètement. Au lieu de construire d'énormes complexes en Europe de l'Est, les états-Unis vont acheter davantage de systèmes mobiles SM-3 et les installer sur les croiseurs Aegis de l'US Navy.

Plus tard, mais pas avant 2015, les SM-3 pourront également être déployés sur des bases terrestres en Europe du nord et du sud. «Nous consulterons d'abord nos alliés», a expliqué Gates, «en commençant par les Tchèques et les Polonais.» On remarquera que Gates n'a pas dit que les systèmes seraient déployés dans ces deux pays, même si cela reste envisageable, seulement que ces deux pays seront les premiers consultés sur ce sujet. S'il s'agit toujours de contrer d'éventuels missiles iraniens, la Turquie serait un choix plus logique, mais là aussi, Gates ne s'est pas avancé.

Les SM-3 sont censés pouvoir abattre les missiles balistiques à courte et moyenne portée, alors que les GBI sont conçus pour arrêter les missiles intercontinentaux. A ce propos, Obama et Gates ont déclaré que les SM-3 sont plus adaptés à la situation actuelle, puisque, selon les services secrets américains, les Iraniens progressent nettement plus vite dans le développement de missiles à courte portée.

En d'autres termes, selon Gates, le projet du président Obama doit offrir aux Européens un «meilleur système de défense anti-missiles.» Un système plus flexible, moins vulnérable et plus adapté à la réalité actuelle que celui dont il faisait pourtant la promotion il y a trois ans, sous Bush.

Gates dit-il la vérité, ou essaie-t-il simplement de justifier le présent changement d'orientation ? C'est un peu des deux.

Tout d'abord, le plan de Bush n'était pas conçu pour protéger l'Europe. Lorsque ce projet a commencé à être évoqué en 2003-2004, il s'agissait d'abattre les missiles iraniens qui auraient survolé l'Europe en direction des états-Unis. Les intercepteurs auraient pu protéger certaines régions d'Europe, mais ce n'était pas leur fonction première.

Si les SM-3 sont efficaces, ils protègeront mieux les Européens que ne l'aurait fait le système de Bush. Sont-ils réellement efficaces? Peuvent-ils vraiment intercepter des missiles balistiques? C'est une autre question. Certes, les missiles à courte portée sont plus faciles à abattre que les missiles intercontinentaux. Ils sont plus lents, leur trajectoire est plus facile à prévoir, leurs ogives sont plus petites et ils disposent de moins de leurres ou d'autres systèmes pouvant tromper les radars.

Mais dans un sens, cela n'a que peu d'importance. Obama n'a jamais caché sont scepticisme quant à l'efficacité des systèmes anti-missiles choisis par Bush. Il a déclaré à plusieurs reprises qu'il soutiendrait un programme conçu autour de ces systèmes quand ces derniers auraient fait la preuve de leur efficacité, tout en sachant pertinemment que les tirs d'essai des GBI n'étaient pas concluants. (Il semble que les SM-3 s'en sortent mieux contre des missiles à courte portée, mais très peu d'informations ont filtré à propos de la nature et des résultats des tests effectués jusqu'à présent.)

Autre aspect de la question, Obama semble déterminé à améliorer les relations avec la Russie, objectif que lui-même et ses proches conseillers considèrent comme essentiel au succès de la lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire. Pour les Russes, le plan Bush représentait une menace, et on peut les comprendre. Dans ces conditions, pourquoi mettre en danger la possibilité d'un rapprochement aux conséquences si évidemment bénéfiques, pour mettre en place un système de défense dont l'efficacité reste plutôt douteuse?

Cependant, en termes de politique intérieure, il y a des choses qu'un président américain ne peut pas dire, au risque de passer pour un «faible», ou pire. Affirmer que les systèmes anti-missiles ne marchent pas, et donc qu'ils doivent être abandonnés, fait partie de ces idées interdites. Je ne dis pas qu'Obama est de cet avis, je dis simplement que s'il l'était, il ne pourrait pas le dire.

Le projet du président, qui consiste à remplacer les GBI par des SM-3 installés sur des croiseurs Aegis déployés en Méditerranée, enlève aux Russes leur principale raison de se montrer intransigeants et signale aux Européens que les états-Unis sont prêts à les défendre, et même à les défendre plus efficacement que le plan soutenu par George W. Bush. Mais il reste deux questions.

En premier lieu, comment compte faire Obama pour rassurer la Pologne et la République Tchèque? Ces pays craignent un regain d'agressivité de la part des Russes, crainte tout à fait compréhensible si on examine l'histoire de cette région d'Europe. Les énormes complexes abritant les GBI auraient été une garantie tangible de l'engagement américain à leurs côtés. Les closes de défense mutuelle du traité de l'Otan sont une chose, mais la présence d'armements stratégiques sur leur territoire aurait joué un rôle dissuasif bien plus efficace face aux Russes.

Bien sûr, cela ne signifie pas que les états-Unis devraient implanter de telles installations dans tous les pays qui souhaitent bénéficier de notre protection. En 1963, les Turcs furent très déçus d'apprendre que John F. Kennedy avait décidé de démanteler les 15 missiles nucléaires de classe Jupiter récemment déployés sur leur territoire. Personne ne le savait encore, mais cette décision faisait partie du marché conclu avec les Soviétiques pour résoudre la crise des missiles de Cuba. Kennedy avait alors assuré les Turcs qu'un sous-marin équipé du nouveau missile Polaris croiserait désormais dans les eaux de la Méditerranée. Mais pour les Turcs, ce n'était pas la même chose. Un sous-marin pouvait partir, un silo de missiles, non. Mais rétrospectivement, il est évident que Kennedy a pris la bonne décision. Les 15 missiles Jupiter ne valaient pas la peine de risquer une guerre contre l'URSS et un sous-marin était beaucoup moins vulnérable, et donc bien plus dissuasif.

Heureusement, dans le cas présent, les bases de GBI n'ont pas encore été construites. Obama ne va rien démanteler. Il va simplement abandonner le projet de son prédécesseur, projet qui, de toute façon, n'avait jamais mis tout le monde d'accord. Néanmoins, il devra prendre soin de rassurer ses alliés avec des propositions concrètes.

La seconde question est encore plus importante. Que vont faire les Russes? Ils ont répété à l'envie que les systèmes anti-missiles étaient l'obstacle principal à l'amélioration des relations avec les états-Unis. Maintenant qu'Obama a supprimé cet obstacle, Poutine et Medvedev vont-ils changer d'attitude, ou vont-ils trouver une autre raison, une autre excuse, pour rester distants et parfois même, hostiles? La balle est dans le camp du Kremlin.

Fred Kaplan

Traduit par Sylvestre Meininger

Image de Une: silo de missile balistique américain Reuters

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