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Huit personnes témoignent: comment devient-on végétarien?

De plus en plus de personnes se convertissent à un régime sans viande ni poisson, voire sans œufs ni fromage. Un choix personnel souvent lié à des lectures et des rencontres, accompagnant une lente prise de conscience de l'intérêt de la cause animale et des dangers sanitaires qui nous entourent, comme en témoignent huit végétariens pour nous.

Pique-nique vegan à Tel Aviv, le 18 juillet 2015 (REUTERS/Baz Ratner)
Pique-nique vegan à Tel Aviv, le 18 juillet 2015 (REUTERS/Baz Ratner)

Temps de lecture: 17 minutes

Ça n’est sans doute qu’un début: le végétarisme et ses dérivés gagnent du terrain. Que je vous le dise franchement: j'ai beau ne pas (encore) être végétarien, je m'en félicite sincèrement.

Les végétariens, végétaliens et autres vegans disposent d’une batterie d’arguments extrêmement convaincants –enfin qui m'ont convaincu– pour vous pousser à imiter leurs comportements alimentaires et à dire adieu à tout de qui est synonyme de souffrance animale. Mais franchir le pas n’est pas chose simple: il faut revoir son alimentation du tout au tout, apprendre ou réapprendre à faire les courses ou à cuisiner, dire adieu à certains péchés mignons.

Pas encore franchement prêt à passer de l’autre côté de la barrière, je suis néanmoins tenté par ce monde qui m’ouvre les bras. Je me félicite de ne plus être l’ado carnivore qui s’enfilait des pièces de bœuf au petit-déjeuner, mais j’ai encore du mal à imaginer comment certains apéritifs peuvent se dérouler sans planche de charcuterie. Comme beaucoup, je nage actuellement en plein paradoxe, me sentant de plus en plus concerné par les problématiques liées aux animaux tout en continuant à contribuer (moins qu’avant, me dis-je pour me rassurer) à ce qu’ils soient exploités.

Je ne sais pas de quoi est fait mon avenir alimentaire, tout en me disant depuis quelques mois que le déclic qui me fera devenir végétarien va peut-être finir par se produire. Ce qui me manque? Arriver à comprendre comment se met en place la mécanique mentale de celles et ceux qui y sont parvenus. Huit personnes ont accepté de m’expliquer d’où tout cela est parti, et comment cela s’est déroulé. Avertissement: les témoignages peuvent donner envie de lire Jonathan Safran Foer et de revoir ses habitudes alimentaires.

1.MélanieJonathan Safran Foer et la philosophie

«Je suis végétarienne depuis 2011. Au moment où j'ai sauté le pas, ça faisait déjà quelques mois que je me posais des questions sur l'industrie agro-alimentaire et la manière dont la viande était produite. Il devait y avoir un secret pour en obtenir des quantités aussi massives et remplir tous les supermarchés occidentaux à des tarifs aussi bas. Sans compter les invendus et le gaspillage. J'étais également interpellée par les scandales agro-alimentaires retentissants: vache folle, H7N1

 

Du coup, j'ai décidé de lire Faut-il manger les animaux de Jonathan Safran Foer, quelques mois après qu'il soit sorti et ait fait un barouf d'enfer. Même si le bouquin évoque l'industrie américaine en particulier, cela m'a complètement ouvert les yeux. J'ai réalisé que, comme toute entreprise, l'industrie alimentaire doit avant tout faire du profit. Pour produire des tonnes de viande pas chère, il faut donc forcément que les coûts soient compressés au maximum. Et c'est le consommateur et les animaux qui en paient le prix: la viande est de basse qualité, dopée aux hormones pour en augmenter le poids à la vente, les stocks sont souvent vendus après leur date de péremption, des millions d'animaux sont élevés dans des conditions déplorables dans le seul but d'être vendus à la consommation, les conditions des travailleurs sont intenables… Quand tu comprends tout ça, tu réalises aussi que les scandales sanitaires sont des évidences, pas des accidents.

À la question écologique s'est ensuite ajoutée la question philosophique. L'industrie de la viande telle qu'elle fonctionne aujourd'hui –et par association nous-mêmes, les consommateurs– traite les animaux comme tout… sauf comme des êtres vivants. Il existe une dissociation cognitive très forte dans la tête des gens, volontairement entretenue par les publicitaires: à savoir que quand on voit une tranche de jambon ou une saucisse, on oublie complètement l'animal derrière. On oublie la souffrance, les injections d'hormones, l'obésité, les mutilations, la stérilisation, la vie confinée en cage, la mort hyperviolente. En ce sens, naître cochon ou poulet est très différent du fait de naître chaton ou corgi. L'empathie envers ces animaux que l'on mange est inexistante, et pourtant ils sont aussi conscients que nos animaux de compagnie.

Naître cochon ou poulet est très différent du fait de naître chaton ou corgi. L'empathie envers ces animaux que l'on mange est inexistante, et pourtant ils sont aussi conscients que nos animaux de compagnie

Mélanie

Par la suite, j'ai regardé des documentaires et je me suis renseignée sur Internet sur l'alimentation végétarienne équilibrée, comment remplacer les protéines animales… J'ai découvert qu'on pouvait tout à fait bien vivre et bien manger sans consommer de viande. L'essentiel pour moi est de respecter ses convictions et de faire de son mieux: ce n'est pas une question de supériorité de mode de vie, un thème sur lequel on emmène souvent le débat. C'est une question de responsabilité politique et de questionnement.

Si l'on veut manger de la viande, il faut regarder les choses en face. Ayons d’abord conscience d'être des privilégiés: seuls les pays développés peuvent se permettre de consommer autant de viande et d'en gaspiller dans ces proportions. Réalisons aussi que nous participons à un système qui a un impact écologique négatif sur le monde et qui torture (il n'y a pas d'autre mot) des êtres vivants pour le seul plaisir de bouche. Je n'ai pas encore sauté le pas vers le véganisme, qui est encore plus contraignant que le végétarisme dans un pays comme la France, mais j'y pense. De toute façon, je ne consomme déjà plus de lait –les vaches ne vivent pas plus de cinq ans parce qu'elles sont épuisées des inséminations artificielles à répétition qu'on leur impose pour la production laitière…»

2.LindaMorrissey et John Robbins

«Mon déclic végétarien est venu de la chanson «Meat is Murder» de Morrissey, que j’écoutais à 15 ans. Sans y réfléchir plus que ça, j’ai suivi les paroles à la lettre et j’ai arrêté la viande.

À l’âge de 21 ans, alors que je faisais des recherches sur River Phoenix, je suis tombée sur le site d’un de ses amis proches, John Robbins (des glaces Baskin Robbins). Ses réponses aux questions qu'il recevait m'ont bouleversée et je me souviens avoir ressenti une illumination: le végétalisme comme une évidence, que c'était pour moi. 

Quand je suis rentrée à la maison ce soir-là, j’ai jeté à la poubelle tous les produits testés sur des animaux. C’était il y a sept ans. Depuis, je n’ai plus jamais bu de lait, mangé d’œufs ni de fromage. Il y a bien longtemps que pour moi, être vegan, c’est parfaitement normal.

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Quand je suis rentrée à la maison ce soir-là, j’ai jeté à la poubelle tous les produits testés sur des animaux. C’était il y a sept ans. Depuis, je n’ai plus jamais bu de lait, mangé d’œufs ni de fromage

Linda

Depuis un an je mange aussi majoritairement cru. J'ai mis des années à comprendre qu'on est pas forcément en meilleure santé qu'un carnivore si on se gave de soja, gluten et sucre. Ce site monté par des amis et sur lequel il m’est arrivé d’écrire, La France Crue, l’explique à merveille et offre des alternatives.

Cela fait treize ans en tout que je vis ainsi; c'est une aventure personnelle et chacun doit s'écouter mais compte tenu de l'état de notre planète, ça serait bien que tout le monde arrête au moins la viande.»

3.SarahL'harmonie avec la nature

«Je suis devenue végétalienne il y a deux ans, en juillet 2013. Cet été-là, c'était un peu une mort et une renaissance sur tous les plans: je sortais d'une rupture tout en étant impliquée dans une autre, je faisais des choix quant à mon avenir et il me manquait quelque chose pour me sentir apaisée avec moi-même.

Puis j'ai eu l'occasion de participer à un stage d'eco-sex à Bourges, organisé par la militante féministe pro-sex Annie Sprinkle. L'eco-sex, c'est l'appréhension de la nature à travers nos sens, et c'est aussi une forme de militantisme écologique: comment se sensibiliser à l'écologie de manière sensorielle.

Je pense que ça n'a pas loupé pour moi: je me souviens très bien de ce moment où j'ai totalement reconnecté mon corps à la nature. Un soir, nous devions chacun et chacune interagir avec la nature. J'étais accroupie en train de faire pipi quand une évidence m'est apparue. J'avais déjà tenté de devenir végétarienne au lycée mais c’est extrêmement difficile quand vous habitez chez vos parents de poursuivre vos idéaux. J'avais déjà arrêté la charcuterie parce que ça me faisait mal au foie, mais je ne pensais pas qu'un jour j'arrêterais tout produit issu de l'exploitation animale. J'avoue aussi que je voyais pas mal de photos de plats vegan sur Instagram et ça me donnait envie.

C'est assez mystique, mais je vois dans le fait d'être devenue végétalienne une forme de renaissance, la même que j'ai vécue, si ce n'est plus fort, que lorsque j'ai fait mon coming out de lesbienne

Sarah

Ce soir-là, l'évidence était que j'étais prête, que c'était maintenant, mais surtout que je faisais partie de la nature, que la nature, les animaux et moi faisions partie d'une même logique; il fallait que je prenne enfin soin de cet environnement dont je faisais moi-même partie. Il était donc logique que je me mette sur le même plan que les animaux et que je ne pouvais pas continuer à manger des produits animaux si je voulais vraiment être connectée, apaisée.

Cette révélation a bouleversé ma vie. Je suis rentrée à Paris avec le sentiment qu'un changement s'était opéré en moi. C'est assez mystique, mais je vois dans le fait d'être devenue végétalienne une forme de renaissance, la même que j'ai vécue, si ce n'est plus fort, que lorsque j'ai fait mon coming out de lesbienne.

C'est une évidence, on peut pas retourner en arrière. Si je retournais en arrière, je vivrais ça comme une trahison faite à moi-même et à la nature.

Je ne peux pas logiquement manger des produits animaux sachant tout ce qu'il se passe dans les élevages. Je trouverais ça indécent et criminel. J'ai compris que je ne voulais pas être ce genre de personne qui ferme les yeux pour quelques minutes de plaisir que je n'aurais finalement plus puisque je ne peux pas aimer manger un animal qui a été maltraité. Mon corps n'ingurgite plus de cadavre, n'accueille plus la mort; de fait, je me sens plus apaisée, plus en phase.»

4.Camille, la fromagèreUne perte de confiance

«Dans un premier temps, j’ai décidé d'arrêter de manger de la viande pour une question de qualité. J'avais perdu confiance. Je commençais à croire que vendre n'importe quoi ne gênait personne, pas même les artisans bouchers.

J'ai continué à manger du poisson un temps. Jusqu’au jour où j’ai eu ce déclic: j'étais en train de manger un poisson, et non du poisson. En ne mangeant plus de viande depuis un moment, j'avais commencé à intellectualiser la chose, à comprendre de nouveau que cette viande avait été un animal. L’industrie alimentaire sait bien nous le faire oublier en ne nous proposant que des morceaux, complètement déconnectés de l'animal.

À la question “ça ne te manque pas?”, je réponds que ça me manque autant que de manger du sable ou du papier

Camille

Là j'ai réalisé qu'en sortant la viande de mon alimentation, elle était devenue un non-aliment. Pour moi, manger de la viande est devenu contre nature, un non-sens. À la question “ça ne te manque pas?”, je réponds que ça me manque autant que de manger du sable ou du papier. La viande n'est simplement plus un aliment.

Je ne suis pas vegan. Je mange du fromage (je suis fromagère) et des œufs également. Je tente cependant d'en apprendre plus sur les fromages à présure végétale (avec du lait mais qui n'est pas emprésuré avec de la présure animale, laquelle provient des veaux et des chevreaux destinés à l’abattoir). J'ai aussi la chance de pouvoir connaître la provenance des fromages que je mange et je m'attache plus à manger du fromage produit dans le respect de l'animal.

Manger du fromage industriel (avec des vaches que l'on pousse à la production laitière jusqu'à épuisement), c'est aussi irrespectueux que de manger de la viande. C'est de la maltraitance.»

5.MarinaJonathan Safran Foer (bis) et Gary Yourofsky

«Depuis que je suis petite, je me pose des questions sur ce qu'il y a dans mon assiette. Je n'aimais pas manger de la viande car il y a avait des nerfs, du sang, du gras. Je me rendais compte qu'il s'agissait de la chair d'un animal qui avait vécu, mais je le déconnectais quand même des animaux que j'aimais, comme mon chat ou mon lapin. Et puis mes parents m'ont dit que “c'était comme ça” et qu'on avait besoin de viande/lait/œufs pour être en bonne santé.

C'est très difficile de devenir végétarienne lorsqu'on est dans une famille “carniste”. On passe pour la relou de service... J'avais surtout peur du regard des autres, peur de déranger, peur qu'on me trouve bizarre

Marina

Un jour, en 2011, j'ai reçu le magazine Les Inrocks, auquel j'étais abonnée. La couverture titrait: “Manger de la viande tue”. Ça m'a intrigué car ça allait complètement à l’encontre de tout ce qu'on m'avait toujours dit (à l'école, à la maison, à la télé, dans la pub...). L'article parlait du livre Faut-il manger les animaux, que j'ai acheté peu de temps après. Je me souviens l'avoir dévoré pendant les pauses, à l'école, et dire aux gens qui me demandaient ce que je lisais: “mais je ne vais pas devenir végétarienne, hein!”

Après le premier chapitre, je me suis promis que je ne mangerais plus au McDo. Au deuxième chapitre, que je ne mangerais plus que de la viande bio. Au troisième chapitre, que je ne mangerais plus jamais de viande rouge. À la fin du livre, j’ai finalement décidé de ne plus manger aucun animal, même marin. J’ai pris ma décision du jour au lendemain, et définitivement.

Mon végétarisme a coïncidé avec mon départ de la maison familiale, ce qui ne peut pas mieux tomber, car mes parents n'ont pas vraiment apprécié mon choix. C'est très difficile de devenir végétarienne lorsqu'on est dans une famille “carniste”. On mange les accompagnements, on passe pour la relou de service... J'avais surtout peur du regard des autres, peur de déranger, peur qu'on me trouve bizarre. Finalement, j'ai compris que plus j'assumais mon végétarisme, plus on me foutait la paix. J'ai une réponse toute faite pour chaque argument (jamais très original), et je n'hésite pas à signaler au restaurant mon régime alimentaire.

Quelques mois plus tard, mon copain est devenu végétarien à son tour, puis nous sommes devenus vegan dans la foulée après avoir vu le discours de Gary Yourofsky. Je n'ai jamais vu ça comme un sacrifice: à partir du moment où tu sais pourquoi tu le fais, ça devient normal, naturel. Il faut du temps pour s'adapter, c'est un peu une nouvelle culture! 

Mais ça m'a aussi aidé à me réapproprier ce que je mangeais, moi qui avait des troubles alimentaires à l'adolescence. Cela a aussi boosté ma créativité, car il y a encore plein de choses à faire en cuisine végétale. Je n'ai jamais remis en doute cette décision, et je l'assume parfaitement, quitte à passer pour une “extrémiste” auprès de personnes peu tolérantes.

Je me sens en accord avec mes valeurs: je mange plus sainement, je fais moins de mal à la planète, et je peux regarder les vaches dans les champs sans me sentir coupable!»

6.Franck
Pythagore et le rapport Campbell

«Je suis végétarien, et je pourrais me dire vegan si je ne continuais pas à prendre du fromage au restaurant. Je n’ai pas réellement eu de déclic, mais tout est parti d’une conversation avec un collègue éloigné, qui me confiait fin 2014 qu’il était végétarien depuis trois mois et qu’il en était très content. 

Ça a été ma grande résolution pour 2015: optimiser les protéines animales. Je ne me suis pas dit que j’allais devenir végétarien. En une semaine, j’ai réalisé que j’ignorais l’existence d’un grand nombre d’aliments

Franck

Cela fait assez longtemps que je m’intéresse aux différents types de régimes alimentaires, et j’avais beaucoup de préjugés sur le régime végétarien, notamment en ce qui concerne le manque de protéines. Mais j’ai voulu creuser un peu le sujet, en me basant sur le fait que de plus en plus de sportifs et même de bodybuilders sont végétariens.

Ça a été ma grande résolution pour 2015: optimiser les protéines animales. Je ne me suis pas dit que j’allais devenir végétarien. En une semaine, j’ai réalisé que j’ignorais l’existence d’un grand nombre d’aliments. À force d’être curieux et de vouloir cuisiner de nouvelles choses, j’ai fini par faire un mois complet de cuisine végétarienne. Une lecture en entraînant une autre, j’ai fini par rejoindre la cause éthique et écologique, et par adopter le régime pythagoricien.

La lecture du rapport Campbell a également beaucoup pesé dans la balance. Il s’agit de la plus grosse étude qui existe sur la nutrition, menée sur plusieurs dizaines d’années. Campbell est un professeur de biochimie qui a profité d’un accord avec la Chine pour étudier les habitudes alimentaires de plusieurs régions chinoises, où les régimes sont souvent très différents. Cela lui a permis d’étudier la relation entre la consommation de produits animaux et la fréquence d’apparition de certaines maladies. On y apprend également beaucoup de choses sur le monde de la recherche en nutrition.

Pour moi c’est donc plus un cheminement qu’un déclic. Cela s’est fait naturellement et ça n’est pas plus mal…»

7.Anna
Un traumatisme d'enfance

À bientôt 23 ans, je suis végétarienne depuis environ dix ans. J’avais 11 ou 12 ans quand le déclic s’est produit: un samedi soir, je suis tombée sur un reportage télévisé dans lequel des journalistes inflitraient des usines d'agro-alimentaires, dont une qui produisait des nuggets. C'était barbare. Et assez violent. Je me souviens qu'on y voyait les tapis roulants sur lesquels étaient entassés des jeunes poulets, les élevages en batterie sous lumière artificielle pour les poules pondeuses...

J’ai été suivie de près pendant l'adolescence afin de ne pas avoir de carence

Anna

Ce soir-là j'ai dit à mes parents: “C'est fini, j'arrête là viande.” Ils ont un peu ri: personne n'est végétarien dans la famille et mes grands-parents sont éleveurs... Mais tout le monde a joué le jeu. Nous sommes allés voir le médecin de famille, ainsi qu’un nutritionniste pour avoir des conseils. J’ai été suivie de près pendant l'adolescence afin de ne pas avoir de carence.

À 19 ans, quand j'ai vécu seule pour la première fois, que j'ai dû faire mes courses et me préparer à manger vraiment, j'ai commencé à penser au veganisme et à consommer différemment. Les convictions pour lequelles j'etais végétarienne ont pris une nouvelle dimension, plus seulement éthique et sensible. 

Aujourd'hui je suis à un stade où j'ai complètement arrêté les œufs et le lait sous quasiment toutes ses formes sauf une: le fromage...  J'ai encore du chemin à faire mais c'est long, je suis française et je vis en Italie! Le fromage, c'est presque ma vie et c'est réellement une addiction. Or je ne veux pas être dépendante de quoi que ce soit. C’est d’ailleurs pour cela que je ne fume pas et que je bois très peu. Je veux être responsable et indépendante.»

8.Camille, le journalisteJonathan Safran Foer (ter) et une rencontre

«J'ai toujours aimé la viande. Les steaks hachés de ma grand-mère, l'orgie de foie gras du réveillon 2012, les escargots, l'agneau que je mangeais sans même savoir que c'était de l'agneau, comment résister à ça? Enfant, je me prétendais aussi “carnivore” parce que j'adorais les tigres et que je voulais être comme eux.

Je connaissais l'existence des végétariens, mais je les voyais comme une race à part, littéralement: des gens dont l'organisme n'était pas constitué comme le mien

Camille

Plus tard, je me souviens m'être demandé comment il était possible que de la viande fraîche arrive tous les jours, dans tous les supermarchés, toutes les boulangeries, tous les restaurants de France. Sans imaginer la réponse, qui est inimaginable.

Cela faisait longtemps que j'avais Faut-il manger les animaux de Jonathan Safran Foer chez moi, et je ne le lisais pas. Je pensais que le boycott ne pouvait pas changer grand chose («les boîtes de thon sont là, autant les manger, sinon ce sera gaspillé»). 

Dans le métro, les tags “viande = meurtre” sur les publicités me semblaient grotesques. Je ne regardais pas les vidéos d'abattoirs. J'en connaissais l'existence, mais je ne les regardais pas. Et lorsque j'en voyais passer une je me disais, c'est normal, c'est nécessaire: il faut manger de la viande pour être en bonne santé. 

Je connaissais l'existence des végétariens, mais je les voyais comme une race à part, littéralement: des gens dont l'organisme n'était pas constitué comme le mien. Eux, ils n'avaient pas besoin de viande, moi, si.

En 2013, il y a eu le scandale des lasagnes au cheval. J'ai décidé de ne plus acheter de viande hachée surgelée. Un choix purement égoïste: j’avais peur de mourir en mangeant n’importe quoi. J’ai aussi commencé par ne plus manger de poisson qu’au bord de la mer, à l’image de ce que faisait ma mère.

Et puis j’ai rencontré une jeune femme qui m’a fait comprendre que la “race végétarienne” n’existait pas et qu’on pouvait faire un repas avec des tomates et de la mozzarella (depuis, elle est devenue vegan). Ce soir-là, quelque chose s’est passé: je me suis rendu compte que je ne mourais pas de faim alors que je n'avais mangé que des tomates, de la mozzarella, du pain et de l'huile d'olive au dîner.

Une fois, au McDonald's, mon amie Émilie (qui mangeait une salade végétarienne) m’a dit quelque chose qui m’a secoué: ce que tu manges devient ton corps. Si tu manges du minerai de viande, tu finis par être constitué de minerai de viande.

Le 21 décembre 2013, j’avais mangé mon dernier McDo en me disant que ce serait le dernier. Le 31 décembre, la dame qui m’héberge lorsque je vais à Edimbourg avait préparé des asperges enroulées dans une tranche de jambon. Je l’ai mangée, pour lui faire honneur, en me disant que c’était la dernière fois que je mangeais de la viande

Camille

Pendant tout ce temps, il y avait le livre de Jonathan Safran Foer qui me regardait. Fin 2013, pendant les fêtes, j’ai pris une grande inspiration et je m’y suis mis. Le livre, écrit par un écrivain juif new-yorkais, décrit avec une précision terrible les camps d'extermination animaux. J’ai vérifié sur Internet si ce qu’il décrivait était vrai, et j’ai vu les vidéos. Cette semaine-là, je n'ai pas touché au foie gras, mais ne voulant pas vexer ma famille, j'ai manger de la dinde, du cochon, de l'escargot.

Pendant la suite de ma lecture, deux phrases ont suffi. La première (“On ne peut pas manger de la viande et se prétendre écologiste sans séparer radicalement ce mot de son sens”) m’a convaincu: j’allais devenir végétarien, sauf en public ou en famille, où je mangerais ce qu’on me sert pour ne pas déranger. Et puis la deuxième phrase est arrivée: “Si on renonce à ses principes dès qu'une épreuve se présente, alors ce n'est plus un engagement, c'est un hobby.”

C’est là que j'ai décidé d'arrêter, de devenir végétarien tout le temps et de militer. Parce qu'il ne s'agit pas d'un hobby, non, ni d'un régime alimentaire, mais bien d'un engagement; et que cet engagement-là, on se le rappelle trois fois par jour, à chaque repas, à chaque fois que se pose la question de ce qu'on va se mettre dans le ventre.

Le 21 décembre 2013, j’avais mangé mon dernier McDo en me disant que ce serait le dernier. Le 31 décembre, la dame qui m’héberge lorsque je vais à Edimbourg avait préparé des asperges enroulées dans une tranche de jambon. Je l’ai mangée, pour lui faire honneur, en me disant que c’était la dernière fois que je mangeais de la viande.

Je pensais avoir du mal à tenir. Alors j’ai crié mon végétarisme sur tous les toits pour être sûr de ne plus pouvoir revenir en arrière.

Honnêtement, je me disais que j'allais tenir un mois (je croyais encore vaguement à cette histoire de race végétarienne, de types qui seraient pas exactement les mêmes animaux que moi). Mes lectures (l’association animaliste L214, la page Facebook “Vegan sidekick”, le site des Cahiers Antispécistes) ont été autant d’épiphanies. Découvrir que James Cameron, les Beatles, Bob Marley, Joaquin Phoenix, Lamartine, Léonard de Vinci, Marguerite Yourcenar étaient végétariens ou vegans également. J'ai lu La Libération animale de Peter Singer, qui est un chef-d'oeuvre, et Anima, de Wajdi Mouawad.

J'ai découvert, sincèrement surpris, que la question de la nourriture et de la mise à mort des animaux était partout au cinéma, que la nourriture définissait souvent les personnages –et j'ai écrit tous les textes possibles pour prouver que je n'inventais rien (textes sur Noé, Still the Water, Barbecue, La Planète des singes, White God...).

J'ai aussi fait la Marche contre les abattoirs, puis la Veggie Pride… Après, plus tu t'éloignes de la frontière, moins tu as envie d'y revenir. La bêtise des gens qui s'opposent au végétarisme ou tentent de le démonter te prouvent chaque jour que tu es du bon côté de l'Histoire. Les plus acharnés sont ainsi souvent racistes ou sexistes (voir les groupes facebook “antivegan”, Beef magazine...).»

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