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Cet été, vous allez lire –enfin, si vous aimez lire, les vacances, c'est globalement le bon moment. Et vous avez envie de lire des trucs chouettes, mais cette année vous avez un peu loupé tout ce qui est sorti, parce que, bah, c'était l'année: le travail, les enfants, les séries, Facebook, Instagram, le sommeil aussi, parfois. Du coup, les journalistes de Slate et Reader vous ont fait une liste d'œuvres super, voire extraordinaires, dont vous pourrez profiter sur la plage, ou dans les aéroports bondés.
1.Americanah
de Chimamanda Ngozi AdichieRecommandé par Titiou Lecoq, Slate.fr
Tous les ans, il y a LE livre qui me marque. Cette année, la palme est déjà attribuée à Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Ce livre réussit exactement ce que je cherche en littérature: la capacité à s’extraire de soi-même et envisager le monde différemment, en sortant de nos petits prismes ordinaires.
En gros, c’est l’histoire d’Ifemelu, une Nigériane qui part faire ses études aux États-Unis. Je vous accorde que présenté comme ça, ça ne donne pas forcément envie mais je vous jure que vous allez aimer. Par contre, si je vous dis que ça parle de racisme, ça va avoir l’air chiant. Alors disons que ça parle de trouver sa place dans le monde, à la fois en s’affranchissant des étiquettes qu’on se colle tous les uns sur les autres, et en acceptant qu’on est parfois la caricature de ces stéréotypes.
Autre point important: c’est aussi un grand roman d’amour. Or, il se trouve que cela faisait longtemps que je n’avais pas lu une histoire d’amour –sans doute parce que c’est ce qu’il y a de plus difficile à écrire en littérature. Avec Americanah, Adichie arrive à nous raconter un amour en ne versant dans aucun des deux pôles habituels: le récit niais de la poésie de l’amour et l’analyse de la trivialité de la vie domestique. Et en prime, c’est de la grande littérature qui se lit très bien à la plage.
2.Chez soi, une odyssée de l'espace domestique, de Mona Chollet
Mélissa Bounoua, Reader.fr
Si vous faites partie de ces gens qui culpabilisent s’ils restent chez eux à ne rien faire, lisez cet essai de Mona Chollet. C’est parce que la journaliste du Monde diplomatique peut passer des heures dans son petit appartement parisien et que ses proches ne le comprennent pas toujours qu’elle a décidé d’explorer la question de l’espace domestique. Espace domestique «qui, dans l’esprit de beaucoup, ne fait naître que des images peu glorieuses de repli frileux, d’avachissement devant la télévision en pantoufles Mickey, d’accumulation compulsive d’appareils électroménager et d’indifférence absolue au monde».
De la sociologie à l’architecture en passant par Pinterest, l’essayiste convoque une foule de références pour comprendre d’où vient la pression sociale et économique qu’il y a à toujours faire quelque chose: travailler, se cultiver, sortir et voir des gens, fonder une famille. Mais toute personne qui reste chez soi n’est pas une femme au foyer désespérée, argumente-t-elle.
«La maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix», écrit Gaston Bachelard dans La Poétique de la rêverie. Une référence reprise tout au long de ce livre personnel et fouillé. C’est ainsi que Mona Chollet peut citer J.K. Rowling, l’auteure d’Harry Potter et l’écrivaine britannique Virginia Woolf —Une Chambre à soi—, pour mieux montrer que paresser, lire, écouter de la musique est important, à l’opposé du dynamisme frénétique vanté par la société capitaliste. Car, à quoi bon se tuer à la tâche si c’est pour ne pas avoir le temps de profiter de son canapé hors de prix?
Chez soi, une odyssée de l’espace domestique
de Mona Chollet
Editions de la découverte, Zones
3.Un été avec Baudelaire
d'Antoine CompagnonBenjamin Delille, Slate.fr
Dans Un été avec Baudelaire, Antoine Compagnon nous invite à revisiter l'écrivain de génie, torturé et provocateur, que nous avons si souvent découvert au lycée. Compilation d’une série de chroniques entendue sur France Inter au cours de l’été 2014, ce petit livre vous raconte Charles Baudelaire avec justesse et simplicité. Pas question de s’attarder des heures sur son écriture unique, l’auteur nous donne à connaître l'auteur, excentrique, en choisissant ses écrits les plus caractéristiques. Il ne s’agit ni d’un cours, ni d’une démonstration, mais plutôt d’une invitation à la lecture. Après avoir dévoré ce qui pourrait être une longue préface à l’œuvre du poète aux cheveux verts, vous n’aurez qu’une envie: renouer avec le lyrisme transgressif baudelairien.
4.Vernon Subutex
de Virginie Despentes
Charlotte Pudlowski, Slate.fr
Quand j’ai lu Despentes pour la première fois, c’était King Kong Théorie. Au-delà de l’intelligence du propos, de la jouissance à se retrouver soudain dans les mots d’une étrangère, il y avait la violence du texte. Mais la violence comme dans un Scorsese, par jets carmins ontologiques. Et puis j’ai lu le reste. Et puis j’ai lu Vernon Subutex.
Il y a dans le dernier roman de Virginie Despentes toujours cette écriture un peu déchirée, mais plus nostalgique. C’est l’histoire d’un type, Vernon, un ancien disquaire, au chômage évidemment, parce que les disques comme vous savez, en 2015... Le chômage le mène à perdre son appartement. Il va de pote en pote pour trouver un canapé où dormir, et on voit défiler les existences de ces gens qui ont davantage d’argent, mais pas forcément plus de facilité à vivre, certainement moins de grâce que Vernon.
Despentes raconte des histoires de gens en tourbillon, et l'époque en générale, les relations amoureuses, l’amitié, la famille, le travail, le sexe, les sexualités…mais la fureur de King Kong Théorie, de Baise-moi, de Bye Bye Blondie semble en sourdine. Toujours le même débit pressé, comme s’il y avait une urgence du récit, mais le bouillonnement est apaisé. Jusqu’à ce que boom: un élan de violence reprenne. Comme les réflexions intérieures de Patrice, type violent qui manque de sous et habite un HLM de Corbeille, où il héberge Vernon:
«Dans le groupe de parole, la petite tafiole qui menait le jeu ne supportait pas de l’entendre dire que s’il avait des thunes il ne serait pas violent. Et patati que ça n’a rien à voir avec le milieu social parce que patata ça n’a rien à voir avec la position qu’on occupe dans l’échiquier économique. Et ma main dans ta gueule de sale taré de menteur elle n’est peut-être pas chargée du plein-temps que c’est d’être un putain de travailleur pauvre? Ça ne changerait rien? Si je levais mon cul le matin sans jamais me demander quel putain de recommandé je vais prendre dans ma gueule et me démener comme un con tous les jours pour régler ça ou savoir comment payer ceci ça ne changerait rien à mon humeur? Je me sentirais vulnérable, si j’étais plein de thunes? T’es sûr? J’aurais pas moins peur? Tu te fous de ma gueule?»
Comme des bosses dans le récit. Une littérature escarpée et sublime.
5.Preacher
de Steve Dillon et Garth EnnisLeïla Marchand, Slate.fr
C'est l'Album qui va vous faire aimer les comics. Parue entre 1995 et 2000, cette série de Steve Dillon et Garth Ennis est devenue une œuvre culte de son époque et son tome 1 a été réédité en janvier. Jesse Custer, pasteur texan à la foi vacillante, voit son église se faire anéantir. Il développe alors d'étranges pouvoirs et croise la route de son ex-petite amie devenue tueur à gages, et d'un vampire irlandais. En proie au doute et à de multiples interrogations, l'homme se lance alors à la recherche de Dieu. Loufoque, trash, sans tabou, le scénario est un road-movie jouissif à travers l’Amérique, marqué par un humour aussi noir qu'intelligent et porté par des dessins simplement magnifiques. Il est temps de s’y mettre: AMC (oui, la chaîne américaine qui a produit Breaking Bad et The Walking Dead) a prévu de sortir son adaptation télé.
6.Marvel Comics, The Untold Story
de Sean Howe
Vincent Manilève, Slate.fr
Bien avant que The Avengers inonde le box-office mondial ou que le Comic Con ne devienne l’un des rassemblements les plus populaires des États-Unis, il y a d’abord eu Marvel Comics, une maison d’édition née en 1939 sous le nom Timely Comics. C’est l’histoire de cette petite boîte devenue géante (elle a été rachetée en 2009 par Disney pour 4 milliards de dollars) que le journaliste américain Sean Howe a décidé de raconter dans Marvel Comics: The Untold Story. De l’écrivain Stan Lee (que l’on aperçoit en caméo dans de nombreux films Marvel) au génie Jack Kirby, co-auteur en pleine guerre mondiale du héros patriotique Captain America, l’auteur a interviewé plus de cent-cinquante personnes pour arriver à écrire cette bible sur ce qui représente un large pan de la culture geek. Sans oublier de mentionner ces super-héros, créés à la pelle au milieu du XXe siècle, qui n’ont pas trouvé leur public et sont vite devenus des super-flops.
L’ouvrage permet donc de comprendre comment quelques dessinateurs acharnés ont réussi à surmonter de nombreux obstacles (en 1954, le Sénat américain a réussi à censurer certains comics) pour donner naissance à cet univers, aujourd’hui devenu l’une des plus grosses industries culturelles mondiales.
Marvel Comics: The Untold Story
de Sean Howe
La première édition est sortie en 2012 en anglais avant d’être mise à jour en 2013. Une nouvelle édition va sortir en français le 12 novembre prochain.
7.La lente évasion
de Camille PolloniRobin Panfili, Reader.fr
Après plusieurs années de détention pour trafic de stupéfiants, Alain goûte à la semi-liberté. La journée, il travaille dans un fast-food et suit des cours de psycho. Le soir, il rentre dormir à la prison de la Santé. À la manière d’un carnet de bord, ce livre raconte le réapprentissage de la vie, hors du monde carcéral. Dans cette excursion de la «presque liberté», le passage de l’enfermement vers le monde extérieur se dévoile comme une entreprise sinueuse, longue, et parfois risquée. Être à l’heure au travail, prendre les transports en commun, remplir des papiers administratifs, faire les courses… Comment s’intégrer et recréer des liens dans un monde qui nous est étranger? D’abord, Alain a eu peur. Peur de la liberté et des «gens normaux». Peur de quitter sa «famille» en détention et le cadre rassurant de la prison. Puis, il s’est accroché. Ce livre —prolongement d’un blog sur Rue89— aborde avec justesse les inquiétudes et les espoirs d’Alain pour sa nouvelle vie, ainsi que la question, plus large, de la réinsertion après la prison.
8.Amours
de Leonor de RécondoJérémy Collado, Slate.fr
C’est un récit qui nous emmène sans qu’on ne s’en rende compte, un roman aux apparences de conte bourgeois qui n’a pas, heureusement, les défauts de ces histoires où l’on sait où l’auteur nous guide. À l’origine, un viol, en 1908, dans une belle demeure du Cher où le notable et notaire Anselme de Boisvaillant (c’est un pléonasme), pour conjurer l’ennui et plaire à l’époque, fait un enfant à la bonne, une certaine Céleste. On imagine tout de suite la façon dont la servante sera chassée, forcée d’élever seule son bâtard, mais justement il n’en est rien, car la femme d’Anselme, Victoire, une sorte d’Emma Bovary revisitée, tombera amoureuse de Céleste et s’occupera de l’enfant avec elle.
C’est donc un récit où l’on interroge les conventions et le déterminisme social, mais sans jamais sacrifier au romanesque, à l’aventure et au tragique de la vie. Léonor de Récondo nous porte au plus près des émotions, elle décortique la psychologie des personnages avec une écriture au couteau, fine et sans ratures, même si on aimerait parfois qu’elle soit animée par un grain de folie qui semble lui manquer. Alors évidemment, les hommes n’y sont pas à la fête, indignes, violents ou bêtes selon la longueur des descriptions; mais c’est pour mieux nous faire comprendre comment la sincérité de la chair peut l’emporter sur la morale bourgeoise. Un roman salutaire, drôle et grinçant, qu’on referme en espérant et redoutant la suite.
9.Tout est silence
de Manuel Rivas
Daphnée Leportois, Slate.fr
Parce que les jeux d'enfants sur la plage ne se résument pas aux châteaux de sable. Parce que les détonations sur la mer plane n'ont pas toujours vocation à être des feux d'artifice qui en mettent plein la vue aux vacanciers et que les pétards mouillés recèlent des dangers. Parce que les amitiés d'enfance ne résistent pas toujours à la houle du temps qui passe tandis que les petites embarcations de pêcheurs décaties peuvent devenir de véloces hors-bords. Parce que le sable fin et qui colle à la peau n'est pas la seule poudre aux abords des côtes galiciennes. Si vous voulez regarder la mer autrement depuis votre serviette de plage ou votre transat et comprendre comment même les tempêtes salées peuvent être silencieuses, il ne vous reste plus qu'à plonger dans les eaux troubles de ce roman de Manuel Rivas. Son souffle enlevé ne pourra que vous emporter dans ses filets.
10.L'Arabe du futur 2
de Riad SattoufNadia Daam, Slate.fr
Riad Sattouf était parfaitement juste quand il esquissait les contours irréguliers et un peu dégueulasses de l'adolescence. Il était encore d'une précision et d'une sincérité infinies quand il se replongeait dans sa propre enfance avec le tome 1 de L'Arabe du futur, un succès de librairie spectaculaire couronnée par un Fauve d'or à Angoulême.
C'est donc peu de dire qu'on l'attendait ce tome 2. Et que c'est avec le même ravissement et le même effarement (cette maîtresse d'école voilée en minijupe qui colle des torgnoles aux gosses!!) que l'on retrouve le petit Riad, 6 ans, toujours aussi blond, toujours stupéfait quand il pose le regard sur ses parents, sur la Syrie de Hafez-el-Assad, sur Palmyre, sur les enfants cruels et résignés, sur lui-même.
Si Riad va désormais à l'école avec un cartable en carton et la boule au ventre, les parents eux, continuent à se débattre avec leur propre inertie. On a envie de saisir cette mère par les épaules, de la secouer et de lui hurler «mais barre-toi putain!». On ne sait pas trop ce qu'on aurait envie de faire au père de Riad, le futur se chargera probablement de le priver de sa morgue et de ses rêves. En attendant que le futur de l'Arabe et des siens se dessine au gré des prochains tomes, le regard peut aller et revenir sur cet élève qui a «au moins un milliard de cheveux», sur un champ de coquelicot au milieu de la caillasse, ou sur le «doigt d'honneur qui gigote pour plus d'effet».
Riad Sattouf confiait avoir écrit L'Arabe du futur pour «faire taire ceux qui pensent que la BD est destinée aux débiles légers». Vous aurez probablement l'air un peu moins con sur la plage, avec L'Arabe du furur 2 entre les mains.
11.Temps glaciaires
de Fred VargasBerengère Viennot, Slate.fr
Comme il est agréable de partir en vacances avec de vieux amis, il est toujours plaisant de retrouver le commissaire Adamsberg et son acolyte Danglard, les deux flics atypiques inventés par la furieusement créative et impossiblement érudite Fred Vargas. Temps glaciaires, son dernier polar, invoque l’afturganga, esprit maléfique qui pousse au crime des vacanciers perdus sur un îlot glacé d’Islande, mais aussi les mânes de Robespierre, le fantôme de la guillotine, une mamie à déambulateur incapable de poster une lettre, un sanglier apprivoisé et une délicieuse recette de pommes paillasson, le tout enrobé de suicides plus ou moins authentiques et de drames familiaux résolument inavouables.
Le talent le plus étonnant de Vargas est de toujours parvenir à construire une intrigue parfaitement logique avec les éléments les plus saugrenus tout en tenant le lecteur en haleine, et son talent le plus constant celui de façonner des personnages dotés d’une telle épaisseur qu’ils sont forcément réalistes malgré leur petit côté ésotérique. Une histoire digne des contes narrés à la veillée grâce à son ambiance sombre et mordante, où l’étalage de la faiblesse humaine donne au roman une saveur bien particulière.