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En Australie, les paquets neutres n’ont pas été si efficaces que ça

La mesure adoptée en 2012 fait l'objet d'une véritable guerre de communication entre le gouvernement et les cigarettiers, les uns défendant leur politique et les autres leur gagne-pain.

Une femme fume une cigarette devant un building à Sydney, en Australie | REUTERS/Daniel Munoz
Une femme fume une cigarette devant un building à Sydney, en Australie | REUTERS/Daniel Munoz

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Ca y est, Marisol Touraine a dégaîné son paquet neutre. Le packaging verdâtre couvert de photos et de messages chocs habillera tous les paquets de cigarettes à partir de mai 2016. Et comme chaque fois que la ministre de la Santé repart en croisade contre le tabac, l'exemple de l'Australie revient sur le devant de la scène.

La législation australienne sur le tabac est sans doute une des plus strictes au monde. Là-bas, les marques n'ont plus le droit de personnaliser le packaging de leurs produits depuis le 1er décembre 2012. Avec deux ans et demi de recul sur la question, l'Australie semble le terrain d'expérimentation idéal pour juger de l'efficacité de cette mesure.

Et pourtant, la question est bien plus sensible qu'elle en a l'air.

Mesures draconiennes

Sur son site, le ministère australien de la Santé affiche fièrement ses chiffres:

«Le taux de tabagisme a diminué de façon significative pour les personnes âgées de 14 ans ou plus, passant de 15,1% en 2010 à 12,8% en 2013. Et pour les personnes âgées de 18 ans et plus, il est passé de 15,9 % en 2010 à 13,3% en 2013

Une évolution très encourageante, pour laquelle le gouvernement s'appuie sur une étude de l'Institut australien de la Santé de 2013. (Pour rappel, en France, les fumeurs sont deux fois plus nombreux: 34 % de la population fume.)

Mais si l'on va observer cette étude dans le détail, on s'aperçoit que le tabagisme est en baisse constante depuis 1991, au moment des premiers sondages. Rien ne permet donc d'affirmer que le paquet neutre est la cause du recul entre 2010 et 2013.

Rien ne permet d'affirmer que le paquet neutre est la cause du recul entre 2010 et 2013

Il faut dire qu'acheter un paquet de tabac en Australie n'est plus du tout un acte anodin. Depuis les années 1990, le gouvernement a multiplié les mesures fortes: publicité interdite dans les médias en 1990, messages de prévention sur les paquets en 1995, photos de prévention en 2006, interdiction d’exposer les produits dans les points de vente en 2010…

Les Australiens qui seraient restés insensibles à ces campagnes de sensibilisation ne l’ont sans doute pas été par l’explosion des taxes: le paquet est aujourd’hui vendu plus de 20 dollars australiens, soit environ 14 euros. Et il augmentera encore de 12,5% chaque année jusqu’en 2017.

Changement de look

Pour questionner l'efficacité du paquet neutre en particulier, il faut se pencher sur les enquêtes de comportements publiées sur le sujet. Il en existe plusieurs: la plus récente date de septembre 2014 et a été menée en croisant des sondages de 2011 et de 2013.

12,5%

L’augmentation annuelle du prix du paquet de cigarettes en Australie, déjà à plus de 14 euros en 2015

Là, à première vue, les fumeurs australiens semblent affectés par ce changement de look. Il ressort par exemple que 56,2% des fumeurs pensent que les paquets ont perdu de leur attrait depuis un an, alors qu’ils étaient seulement 12,3% avant la mesure. Enfin, il faut préciser qu'ils étaient déjà 59% à ne pas les aimer (85% aujourd'hui).

Plus surprenant,ils sont 26,6% à penser que leurs cigarettes sont de moins bonne qualité depuis ce changement de packaging. Et pour 20,6% d'entres eux, fumer leur apporte un peu moins de satisfaction (12,3% en 2011).

Les photos chocs, placardées en grand sur les paquets, sont forcément plus remarquées: ils étaient seulement 34% à y faire attention, ils sont maintenant 68%. En revanche ça ne les motive pas plus à arrêter (seulement 13% de fumeurs convaincus).

Selon cette seconde étude publiée dans le British Medical Journal, 36,8% des fumeurs de paquet neutre interrogés avaient pensé à arrêter au moins une fois au cours de la semaine précédente. Les fumeurs de paquets «siglés» sont, eux, seulement 21% (cela dit, ils ne sont que trente-deux à avoir été interrogés, contre cent-quarante-trois «neutres»).

«Des données spéculatives» pour Philip Morris

En s'attaquant si durement aux cigarettes, le gouvernement s'est évidemment mis à dos l'industrie du tabac, qui ne partage pas du tout son optimisme. Philip Morris rétorque que les études du ministère de la Santé sont basées sur des «données spéculatives comme des questionnaires» et rapportent des «perceptions personnelles» et non pas l'impact réel sur l'usage du tabac.

Pour soutenir son argumentaire, le fabricant de tabac renvoie vers d'autres études, selon lui plus fiables, comme celle de la société de conseil London Economics, celle du cabinet KPMG ou encore celle de l'université de Zurich. Pour s'assurer de ne pas être déçu du résultat, il les a bien évidemment commandées lui-même.

Selon les études financées par Philip Morris, l'introduction du paquet neutre aurait profité au tabac de contrebande

Résultat: selon lui, si la proportion de fumeurs a baissé de 24,8% à 23,4% quelques semaines après le passage de la mesure, cette tendance s'est inversée quelques mois plus tard. De plus, les analyses n'auraient trouvé aucune preuve montrant un effet du paquet neutre sur les ados de 14 à 17 ans, a priori plus tentés par un packaging attrayant.

Pire encore, l'introduction du paquet neutre aurait profité au tabac de contrebande, avec un commerce illicite évalué à 14,2% du marché contre 10,5% précédemment.

Vente en baisse vs vente en hausse

Philip Morris réplique aussi par ses propres chiffres de vente: en 2013, première année d’expérimentation du paquet neutre, la vente de cigarettes aurait augmenté de 0,3%, comme cela ne s’était pas vu depuis cinq ans.

Pour le Washington Post, cette interprétation est aberrante, et les chiffres du bureau australien des statistiques sur la consommation des ménages en tabac et cigarettes viennent le confirmer: ils font état d’une baisse des vente lente mais constante de 2,4% entre mars 2013 et mars 2014.

Forts de moyens colossaux, les géants du tabac ne sont pas près de baisser les bras et c'est une véritable guerre de communication qui s'enclenche dans les pays où les gouvernements durcissent leur législation. Et si cela ne suffit pas, les cigarettiers n'hésitent pas à poursuivre leur combat dans les tribunaux. Philip Morris a ainsi entraîné l'Australie dans de longues et coûteuses procédures. Autant de batailles auxquelles la France va devoir se préparer.

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