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Nous avons vécu une semaine française de l'Europe

La relation entre la chancelière et le président de la République a été au centre des négociations avec le premier ministre grec Alexis Tsipras, et François Hollande s’est tiré à son avantage d’une situation où il était sous pression.

François Hollande face au président de la Commission Jean-Claude Juncker à Bruxelles, le 12 juillet 2015. REUTERS/Francois Lenoir
François Hollande face au président de la Commission Jean-Claude Juncker à Bruxelles, le 12 juillet 2015. REUTERS/Francois Lenoir

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Une formule illustre les divergences franco-allemandes sur la Grèce. Angela Merkel voulait un accord «mais à n’importe quel prix». François Hollande voulait mettre le prix pour avoir un accord. 

Même si tous les détails des dix-sept heures qu’a duré le sommet de la zone euro ne sont pas encore connus, la relation entre la chancelière et le président de la République a été au centre des négociations avec le premier ministre grec Alexis Tsipras. C’est une «relation nécessaire si on veut arriver à un compromis», a sobrement commenté François Hollande lors de sa conférence de presse. Sous la houlette de Donald Tusk, le président du Conseil européen, il a eu pas moins de cinq apartés avec Angela Merkel et le chef du gouvernement d’Athènes. «Le rôle de la France a été de rapprocher les points de vue», a encore déclaré le président.

François Hollande n’avait pas attendu l’exhortation de Nicolas Sarkozy pour «se ressaisir». Dès le lendemain du référendum qui a vu les Grecs voter à plus de 61% contre l’austérité, il a reçu Angela Merkel à Paris. Les deux dirigeants ont tenté de montrer leur unité mais derrière les sourires de façade le choix du vocabulaire trahissait des préoccupations opposées. La chancelière insistait sur la «responsabilité»; le président sur la «solidarité». La première se souciait du respect des règles sans lequel l’euro est voué «à l’échec»; le second s’inquiétait des conséquences géopolitiques d’un «Grexit» qu’il refusait même d’envisager.

Les divergences franco-allemandes ont éclaté au grand jour à peine Angela Merkel avait-elle quitté l’Elysée. Après le sommet de la zone euro au cours duquel les dix-huit autres membres ont demandé à Alexis Tsipras de formuler des propositions de réformes dans les quarante-huit heures, François Hollande s’est glissé dans un rôle de pacificateur, avec d’un côté un gouvernement grec tiraillé entre le refus des propositions des créanciers et la volonté d’une grande majorité des Grecs de rester dans la zone euro et de l’autre l’Allemagne, suivie par plusieurs pays du nord, qui avait perdu toute confiance dans Alexis Tsipras et ses amis.

L'aide de la France à la Grèce

Alexis Tsipras avec Angela Merkel et François Hollande à Bruxelles, le 12 juillet 2015. REUTERS/Stringer/Pool

 
 

 

Sans le reconnaître officiellement tout en le faisant savoir, la France a envoyé des diplomates et des experts du Trésor à la représentation grecque auprès de l’Union européenne à Bruxelles pour préparer avec les représentants d’Alexis Tsipras les propositions qui devaient être soumises aux «institutions» (FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne). Des fonctionnaires de la Commission et des représentants de la BCE se sont joints à eux. Pas étonnant dans ces conditions que les  «institutions» aient jugé positivement les propositions grecques qu’elles avaient elles-mêmes aidé à rédiger.

Les réactions allemandes à cette initiative française ont donné lieu à des informations contradictoires. Selon les uns, la chancelière n’aurait pas vu d’un mauvais œil l’aide apportée à Athènes. Selon les autres, elle aurait préféré que les Grecs se débrouillent tous seuls. Deux mois auparavant, elle avait dit le contraire mais c’était avant le référendum qui a cassé la confiance entre elle et Alexis Tsipras.

En tous cas, elle n’avait de toute évidence pas été mise au courant par l’Elysée. Elle sera aussi mécontente de la réaction, à ses yeux trop rapides, de François Hollande, estimant les propositions grecques de «sérieuses et crédibles». Elle-même se gardera bien de toute appréciation, laissant à son ministre des finances Wolfgang Schäuble le soin de donner libre cours à son scepticisme.

La brutale alternative allemande

A l’initiative unilatérale française a répondu une initiative unilatérale allemande présentée d’abord comme un papier interne au ministère des finances mais qui a finalement occupé une grande partie des dix-huit heures du sommet de Bruxelles. Une simple feuille venue des services de Wolfgang Schäuble formule une alternative brutale: ou bien les Grecs confiaient pour 50 milliards d’euros d’actifs à un fond géré au Luxembourg, comme garantie de leurs dettes, ou bien ils étaient «suspendus» pour quelque cinq ans de la zone euro. Une alternative que la partie française a jugé inacceptable pour le gouvernement grec. François Hollande s’est efforcé d’en démonter le simplisme. Avec un certain succès puisqu’un compromis a été finalement trouvé qui donne satisfaction aux deux côtés: les Allemands obtiennent la création de ce fond comme garantie du sérieux des efforts grecs; Athènes en garde la gestion et obtient qu’un quart des sommes ainsi obtenues puissent alimenter des investissements et pas seulement le service de la dette.

«C’est une semaine française, ce qui ne s’était pas vu depuis longtemps en Europe», commente le journal dominical allemand Frankfurter Sonntagszeitung. Le président de la République s’est tiré à son avantage d’une situation où il était sous pression. La droite le critiquait pour avoir rompu la solidarité avec l’Allemagne mais il a montré que sans s’aligner systématiquement sur les positions de Berlin, la France pouvait jouer un rôle positif dans les débats européens. La gauche de la gauche – et certains au Parti socialiste – l’accusaient d’être complice du «coup d’Etat financier» que les conservateurs européens auraient ourdi contre Alexis Tsipras. Il a permis que les termes du compromis ne soient pas trop humiliants pour le chef du gouvernement grec qui doit maintenant convaincre ses partisans de l’accepter.

Comme souvent dans l’Union européenne, les considérations de politique intérieure ont joué leur rôle dans les débats

Comme souvent dans l’Union européenne, les considérations de politique intérieure ont joué leur rôle dans les débats. Angela Merkel n’échappe pas à la règle. Elle est confrontée à une opinion publique allemande favorable à la sortie de la Grèce de la zone euro et cette position est partagée par une grande partie de sa formation, la CDU-CSU. Son ascendant sur son parti est tel qu’elle trouvera une majorité au Bundestag, surtout si Wolfgang Schäuble, le nouveau héros des conservateurs allemands, plaident avec conviction en faveur de cet accord. Avec son pragmatisme habituel, la chancelière a résumé sa position:

«les avantages l’emportent sur les inconvénients».

Une image déteriorée de l'Allemagne

Parmi ces «inconvénients», et pas le moindre, il faut citer une détérioration d’image de l’Allemagne dans beaucoup de pays européens. Les outrances du style de la «une » du journal conservateur grec Demokratia: «La Grèce à Auschwitz» condamnent leurs auteurs. 

Mais pendant longtemps, les Allemands ont pris grand soin de ne pas brusquer leurs partenaires et parfois même de se cacher derrière la France pour avancer des idées. Helmut Kohl était passé maitre dans cet art (au moins jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989). Wolfgang Schäuble, qui a parfois affiché une forme de patriotisme orgueilleux, a cependant toujours été un européen convaincu soucieux de soigner la coopération avec la France. La crise grecque, les provocations d’Alexis Tsipras et de ses amis, semblent avoir balayé cette prudence. Nikolaus Heinen, chef économiste de la Deustche Bank, regrette «une conception paternaliste de la politique européenne que l’Allemagne manifeste depuis quelques années».

Cette volonté de s’imposer, liée à la conviction d’avoir raison, pèse aussi sur les relations franco-allemandes. Celles-ci ont connu au fil de la construction européenne des périodes de tension autrement plus dures. Que Berlin et Paris aient eu des attitudes divergentes voire opposées vis-à-vis de la Grèce peut même être compris comme un avantage. Un compromis a pu être trouvé qui a entrainé l’adhésion de tous les autres membres de la zone euro, sans que ceux-ci crient au directoire. Le revers de la médaille, c’est que ces dissensions, incompréhensions et cachoteries laissent des traces qui entravent la coopération future. Pour les surmonter, François Hollande et Angela Merkel doivent s’attaquer ensemble et rapidement à renforcer une zone euro qui vient encore de montrer sa faiblesse politique.

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