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Pourquoi Hillary Clinton devrait assumer son côté intello

La candidate démocrate a toujours été une première de la classe, c'est ce vrai visage qu'elle doit montrer aux électeurs

Hillary Clinton dans l'Iowa, aux Etats-Unis le 19 mai 2015. REUTERS/Jim Young
Hillary Clinton dans l'Iowa, aux Etats-Unis le 19 mai 2015. REUTERS/Jim Young

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Parmi les moments les plus embarrassants de la dernière campagne présidentielle d'Hillary Clinton, son discours du 6 mars 2007 à Selma, en Alabama, au moment du 42ème anniversaire du Bloody Sunday, tient la corde. Dans le fond, son propos n'avait rien d'exceptionnel, mais c'est dans la forme qu'il fut le plus malheureux. 

Clinton allait tenter l'emphase –«Oui, cette longue marche vers la liberté débutée ici nous a fait depuis parcourir un puissant chemin»– pour un résultat bien insipide. Et pire: bien qu'Américaine de Chicago pur jus, Clinton adopta un étrange accent traînant sudiste qui, à certains moments, dans ses inflexions et son rythme, fit penser à une mauvaise imitation de prêcheur noir. Loin de se connecter à son public, Clinton –qui peut pourtant compter sur de véritables alliés politiques dans la communauté noire et fait preuve d'un engagement très réel en faveur de l'égalité civique– parut artificielle. 

Souvent, lorsqu'on parle de Clinton, c'est son inauthenticité qui vient tout de suite à l'esprit. «Bien qu'elle partage avec son mari une aversion du risque stimulée par les sondages», écrivait l'an dernier le chroniqueur Damon Linker:

«Hillary Clinton n'a jamais joué le jeu à son niveau et sa vulnérabilité à des accusations de duplicité se fait de plus en plus manifeste».

Le point de vue de Linker fait écho à celui d'un ancien conseiller de Clinton, Mark Penn, qui disait: «Hillary est froide, distante, elle manque d'authenticité», et laissait entendre qu'elle se rendrait «aussi aimable que possible», mais «sans aller trop loin». Ce qui reflète une opinion encore plus hostile exprimée par la plume conservatrice Peggy Noonan dans son livre publié en 2000, The Case Against Hillary Clinton:

«Il lui manque une stature historique, elle n'a pas d'envergure ni d'authenticité réelles»

Carl Bernstein, parlant de sa biographie de Clinton, déclarait pour sa part: 

«C'est une femme qui a toujours mené une vie de camouflage et qui continue encore à le faire».

Mais le deux poids deux mesures est ici évident. Quel politique est réellement authentique? Quels sont les législateurs qui montrent leur véritable personnalité au public? Et quelle est d'ailleurs la définition stricte de cette «authenticité», vu que tout le monde n'est pas «authentique» de la même manière selon les moments?

Injustice

Hillary Rodham Clinton au Zimbabwe, le 21 mars 1997 ©Reuters/ Kevin Lamarque


 

Pour Clinton en particulier, toutes ces critiques et ces questionnements sont profondément injustes. Après tout, Hillary Clinton a su un jour être authentique ou, du moins, nous donner un aperçu d'une de ses plus authentiques facettes. «On n'a pas besoin d'approuver ce qu'elle dit ou fait (même si c'est souvent extrêmement approuvable) pour reconnaître sa véracité», écrivait en 1992 le journaliste Paul Greenberg pendant les primaires démocrates. La même année, Elspeth Reeve faisait son portrait, dans lequel des observateurs et des journalistes la qualifiaient de «charmante», «délicieuse», «extraordinaire» et «incroyablement éloquente». Cette Hillary Clinton là –encore nouvelle sur la scène politique nationale– était ambitieuse, déterminée et bagarreuse. Elle était aussi sérieuse, aussi savante et aussi adroite en politique que l'était son mari. Et c'est pour cela que les gens l'aimaient.

Ou, du moins, qu'ils l'ont aimée jusqu'à ce qu'elle en révèle trop. «Je suppose que j'aurais pu rester à la maison, faire des cookies et prendre le thé, mais ce que j'ai décidé, c'est de mener à bien ma profession et d'entrer dans la vie publique, ce que j'ai fait d'ailleurs plus tôt que mon mari», avait-elle ainsi répondu à des journalistes, suscitant une vague d'indignation chez beaucoup d'Américains. 

Clinton était devenue trop réelle, et elle allait en payer le prix politique. Avec ses alliés, Hillary allait passer les deux décennies suivantes à enterrer la Clinton dure et passionnée et à jouer celle qui ne ruait pas dans les brancards, celle chez qui son mari pouvait trouver un havre de «sérénité», bien plus qu'elle pouvait être sa partenaire politique.

Je suis menaçante et je ne sais pas quoi faire pour changer cela

Hillary Clinton

Mais même quand Clinton calme le jeu, elle agace. Selon Gail Sheehy, sa biographe, l'ex Première Dame lui aurait un jour confié tout le désarroi que lui causait son image publique. «En fait, je ne sais plus quoi faire, rien ne semble fonctionner (…) Je comprends que je puisse représenter quelque chose de très menaçant pour les hommes, que la rapidité du changement des rapports entre les sexes, la trajectoire qu'emprunte le pays fait qu'une génération l'autre, les plus anciens se sentent dépassés, surtout les hommes», avait-elle déclaré: «Je suis menaçante et je ne sais pas quoi faire pour changer cela». 

En 2000, lors de sa campagne sénatoriale, Clinton est revenue sur ce terrain pendant une conférence de presse qui allait se révéler bien plus introspective qu'à l'accoutumée. «'Qui êtes-vous?', etc., je ne sais pas si c'est la bonne question à poser», avait-elle précisé:

«Même les gens que vous connaissez extrêmement bien, est-ce que vous les connaissez totalement? Est-ce que, tout le temps, ils se révèlent entièrement, dans l'intégralité de leur personnalité? Évidemment que non. Aujourd'hui, certaines personnes publiques le font parfois. Je n'en comprends pas le besoin sous-jacent».

L'obsession permanente

Hillary Clinton à Washington, le 23 janvier 2013. REUTERS/Kevin Lamarque

 

 

 

Aujourd'hui, Hillary Clinton est à nouveau candidate à la présidentielle et il est évident qu'elle est toujours turlupinée par cette histoire d'authenticité. Contrairement à ses adversaires républicains, qui ont annoncé leur candidature en grandes pompes, Clinton a misé sur un top départ plus sobre. Elle a publié une petite vidéo –entièrement consacrée à ses soutiens– et s'est embarquée dans un «tour d'écoute» pré-primaires à travers les États les plus indécis du pays. Une stratégie visant à dissiper l'idée qu'elle serait une candidate déjà «adoubée» et profitant de l'apathie de son parti.

Je ne sais pas si cela a fonctionné, mais je pense qu'on se trompe en pensant ainsi. Et je peux dire que ce début de campagne l'a rendue plus sympathique et plus réelle, même si ce n'est pas de la façon qu'on aurait pu prévoir.

Dans l'Iowa, le road-trip de Clinton a fait étape pour parler de drogue, de maladie mentale et des établissements nécessaires pour s'occuper de ces deux problèmes. Dans le Nevada, la candidate s'est exprimée devant des lycéens pour évoquer la réforme de l'immigration et a promis de faire «tout ce qui était en [son] pouvoir» pour aider les immigrés; et devant des étudiants, elle a parlé d'éducation et de formation professionnelle. Dans tout le pays, ses allocutions ont fait découvrir une candidate nouvelle, plus ancrée à gauche sur la question de la justice pénale et des droits civiques, et qui en appelle à un ambitieux plan d'amélioration du suffrage universel. 

A chaque fois, c'est son enthousiasme politique qui ressort le plus. Quand la discussion s'oriente sur des sujets concrets, sur la circonscription de problèmes et la recherche de solution, c'est là qu'elle est la plus claire et la plus convaincante. Non, elle n'a pas le charme naturel de son mari ou la décontraction tout aussi facile de Barack Obama, mais elle est passionnée, dévouée et cherche vraiment à mettre la main à la pâte. 

Mme Clinton sait faire preuve d'une méticuleuse intensité et arrive toujours armée de données et de points spécifiques

Le New York Times

Voici ce qu'en dit le New York Times, revenant sur son passage dans le New Hampshire:

Il n'y a pas beaucoup d'embrassades dans ces rassemblements, pas beaucoup de «je comprends votre douleur», ni même de moments désopilants. Mais Mme Clinton sait faire preuve d'une méticuleuse intensité et arrive toujours armée de données et de points spécifiques à aborder. Elle peut déclarer «En moyenne, après quatre ans d'études, un étudiant de l'Iowa obtient son diplôme en étant endetté de 30.000$» ou «Dans le New Hampshire, 96% des entreprises sont considérées comme de petites entreprises». Elle écoute, hoche la tête, prend des notes et parsème la conversation de formules d'encouragement comme «c'est intéressant» ou «c'est un point très pertinent».

L'indéniable intello

Pour le dire autrement: Hillary Clinton est une grosse intello. Vous le voyez à chaque étape de sa vie. Ado, elle faisait du porte-à-porte pour aider au recensement de la population, demandait aux occupants s'ils avaient «des enfants à la maison qui ne sont pas scolarisés» pour que le bureau du recensement comprenne une éventuelle incohérence entre le nombre d'enfants d'un foyer et ceux allant à l'école. 

Étudiante à Wellesley, écrit Carl Bernstein, elle allait concevoir «un meilleur système de retour des livres en bibliothèque» et «analyser l'intégralité du cursus proposé par Wellesley afin de développer des programmes plus efficaces et demandant de s'inscrire à moins de cours»

Dans the Atlantic, Peter Beinart consigne d'autres exemples prouvant que Clinton est bien une authentique première de la classe: 

En 1993, elle prit sur son temps de vacances à Hawaii pour cuisiner les responsables politiques locaux sur la question du système de santé. Dans son excellent livre sur la campagne sénatoriale de Hillary en 2000, Michael Tomasky observe que «Dans toute la campagne, elle n'aura peut-être eu qu'un seul moment réellement inspirant», mais qu'«au fil du temps, tout le monde, si ce n'est les plus cyniques, allait admettre qu'elle avait vraiment le service public chevillé au corps».

D'ici 2016, Clinton devra faire face à une ou deux attaques de la part de son adversaire républicain, si ce n'est les deux: on dira qu'elle est très éloignée de l'Américain de base et qu'elle commence à avoir de la bouteille – qu'elle est une candidate d'hier, pas de demain.

Prendre Amy Poehler pour modèle

Hillary Clinton à Las Vegas, Nevada le 18 juin 2015. REUTERS/Steve Marcus

 
 
 
 

Élite parmi les élites, Clinton n'aura aucun moyen de réfuter la première accusation. Mais elle pourra la contourner et s'en prendre à la seconde en assumant l'ambition, le zèle méticuleux et l'enthousiasme scrupuleux qui l'ont définie toute sa vie. Au lieu de faire taire les aspects qui ont pu lui jouer des tours en 1992 (et au-delà), il faut qu'elle les chevauche et les cravache. Car non seulement ils lui vont à ravir, mais ils correspondent, aussi, à l'époque.

Au début de l'année, la série Parks and Recreation clôturait sa septième et ultime saison sur NBC. Au départ conçue comme une version américaine de The Office, la série allait changer de cap dès sa deuxième saison. Elle est devenue plus douce –une comédie de l’erroné, pas du bizarre– pour, à sa manière, gagner en radicalité. Comme l'écrivait dans le Washington Post Alyssa Rosenberg, au lieu de capituler devant le désespoir de la politique actuelle –où les impasses et les obstructions sont la norme– Parks and Recreation est sortie du lot en «célébrant» l'administratif et en se distinguant d'autres «séries chez qui le progressisme (et, globalement, toute politique) doit en passer par une théorie du changement et offrir un rôle nouveau à l’État».

Ce qu'elle a pu faire grâce à son héroïne, Leslie Knope, interprétée avec aplomb par Amy Poehler. Pendant sept saisons, les téléspectateurs ont pu voir Knope –une talentueuse et dévouée fonctionnaire– faire l'éloge du gouvernement qui, utilisé avec passion et intégrité, peut être un vecteur du bien. Oui, ses projets étaient mineurs –un festival par ici, un parc par là. Et ses obstacles n'étaient pas tant d'hostiles politiciens que de besogneux citoyens ou des collègues apathiques. Mais le cœur de sa philosophie restait celle de l'engagement civique. 

«Je suis très énervée. J'en ai marre que Bobby Newport prenne cette ville en otage et menace de partir si jamais on ne lui donne pas ce qu'il veut (…) Les corporations n'ont pas à dicter les besoins d'une ville. Le pouvoir appartient au peuple», déclarait ainsi Knope dans la quatrième saison, lors d'un débat avec un adversaire. Et dans le dernier épisode, Leslie explique une dernière fois ce qu'elle entend par service public: «Quand nous avons travaillé ensemble, nous nous sommes battus bec et ongles pour améliorer un tout petit peu la vie des gens» (…) «Telle est la vocation du service public: changer petit à petit les choses, tous les jours».

La Hillary Clinton de 1992 aurait été parfaite pour l'époque actuelle

Il y a vingt ans, ce genre de personnage aurait été plus acerbe, plus négatif, comme a pu l'être Reese Witherspoon et sa Tracy Flick dans L'arriviste. Aujourd'hui, le personnage est admirable. Et si Knope n'est pas un clone de Hillary Clinton– bien qu'elle ait une photo de Clinton sur son bureau– vous pouvez y voir une version solaire de Clinton. Comme elle, Knope est tenace, ambitieuse et férocement intelligente.

Le succès de Parks and Recreation n'a pas été écrasant, mais la série a su trouver son public. Et dans sa popularité, elle a su montrer combien les Américains avaient soif de gens comme Knope. De fait, ce n'est pas un hasard si, en 2015, Poehler –et son ancienne comparse du Saturday Night Live, Tina Fey– est devenue une icône féministe pouvant se targuer de la force de ses personnages et de ses performances.

La Hillary Clinton de 1992 –longtemps enfouie sous la controverse, les circonstances et les nécessités politiques– aurait été parfaite pour l'époque actuelle. De fait, le monde d'aujourd'hui est bien plus disposé à voir une femme railler la vie domestique sur une chaîne de télévision nationale qu'il ne l'était jadis.

La plus jeune femme président de toute l'histoire des États-Unis

Hillary Clintonà New York le 13 juin 2015. REUTERS/Carlo Allegri

Dans un environnement où des électeurs veulent quelque chose de neuf, mais veulent aussi du progrès constructif, la «Hillary première en éducation civique» est particulièrement séduisante. Et il semble que Clinton fasse un tel pari, en s'appuyant sur son passé d'intello et de militante pour s'attirer les électeurs démocrates, tout en réservant ses meilleures piques à la campagne nationale. «Je ne suis peut-être pas la candidate la plus jeune», a-t-elle déclaré dans son récent discours inaugural, «mais je serai la plus jeune femme président de toute l'histoire des États-Unis».   

Au lieu d'impressionner son public par de la rhétorique, Clinton a structuré politiquement son discours, en présentant clairement ce qu'elle comptait faire pour le pays – ce pour quoi elle va se «battre» si elle est élue président. Elle défendra et améliorera l'Obamacare; augmentera le salaire minimum; modifiera la législation fiscale pour tenir en bride Wall Street; offrira des réductions fiscales aux petites entreprises; construira des infrastructures vertes; aidera les communautés les plus «en détresse» en leur permettant de mieux accéder à la formation professionnelle; promouvra un congé parentale universel; permettra aux étudiants de ne plus avoir à s’endetter pour aller à l'université; interdira toute discrimination envers les Américains LGBT et offrira enfin de meilleures garanties aux retraités.

Si Clinton avait essayé d'imiter Obama –tenter d'être une inspiration pour les Américains– cela aura sonné faux. A la place, elle a parlé politique et dit à des milliers de gens ce qu'elle allait faire.

Le discours était nécessaire et Clinton est la plus forte quand elle s'en tient au concret –les écrous et les boulons d'un gouvernement. On a pu le voir dans sa campagne sénatoriale en 2000, lors des meilleurs moments de sa campagne présidentielle en 2008, et on peut le voir aujourd'hui. Et tandis qu'elle se présente sous un nouveau jour au Parti démocrate et à l'électorat américain, c'est ce côté intello qu'elle devrait assumer. Ce qui pourrait s'avérer non seulement efficace –le personnage colle parfaitement à l'époque et répond aux attentes des Américains, bien plus avides de solutions que d'inspiration– et qui plus est, après des années de camouflage, c'est bien là qu'elle est la plus authentique.

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