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Sur terre comme sur mer ainsi que dans les airs, les mouvements sociaux dans les transports se multiplient, et la perspective d’un déplacement génère d’autant plus d’inquiétude que la période estivale avec les départs en vacances est propice aux grèves.
Poussée de fièvre
On a vu, le 25 juin, la capacité de nuisance de 2.800 taxis dans l’ensemble de l’Hexagone, bloquant les périphériques parisiens et les accès à l’aéroport de Roissy mais aussi d’autres points stratégiques à Marseille, Lyon, Toulouse… Avec les conséquences désastreuses sur l’image de Paris et de la France, première destination touristique mondiale, auprès des voyageurs coincés dans les embouteillages juste au début des mois d’été.
Mais ce ne sont pas les seuls. Au port de Calais et sur les voies d’Eurotunnel, ce sont les marins de la Scop SeaFrance qui ont empêché tous les trafics, de navires ou de trains Eurostar, pour protester contre la vente de deux des trois navires de MyFerryLink, propriété d’Eurotunnel, à la compagnie danoise DFDS. Avec quelque 300 licenciements à la clé, ce qui porterait un coup fatal à la Scop après trois ans et demi d’activité sous ce statut. D’où une reconduction du mouvement.
Taxis, SeaFrance, SNCM, contrôleurs aériens...
À l’autre bout de la France, sur la Méditerranée, ce sont les marins de la SNCM qui avaient déposé un préavis de grève reconductible à compter du 11 juin au cas où la décision du tribunal de commerce de Marseille, qui devait désigner un repreneur pour la compagnie en redressement judiciaire depuis novembre dernier, n’aurait pas obtenu leur aval. Compte tenu de ces pressions, le tribunal a reporté sa décision à la fin septembre, ce qui pourrait permettre de passer l’été sans que les passagers aient à subir l’immobilisation des ferries, comme ce fut déjà le cas à l’occasion des grands départs. Mais l’alerte a été chaude, et le tribunal fort prudent. Toutefois, le spectre de la liquidation n’est pas écarté pour autant et les marins de la compagnie restent sur le qui-vive.
Dans les airs, ce sont les contrôleurs aériens qui furent l’arme au pied… jusqu’à la veille du mouvement de grève, qu’ils avaient annoncé pour les 2 et 3 juillet. Deux syndicats –la CGT et l’Unsa– ont finalement levé leur préavis deux jours avant, suivis le lendemain par le principal syndicat des aiguilleurs du ciel, le Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNCTA). Les passagers ont donc évité la cohue et les annulations de vol, dans un ciel d’autant plus désorganisé que cette grève avait été programmée en plein démarrage des grands départs d’été. Toutefois, les problèmes avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) ne semblent pas réglés pour autant.
Les pilotes d’Air France ont précisé qu’ils ne feraient pas grève
Heureusement, les pilotes d’Air France ont assuré, par la voix du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), qu’ils ne feraient pas grève cet été. On peut s’étonner que les représentants d’une profession se sentent obligés, en France, d’apporter cette précision… comme si la grève était devenue un événement ordinaire, et non pas exceptionnel. Il est vrai que rien n’était moins sûr compte tenu du bras de fer qui s’est installé avec la direction de la compagnie après les grèves de septembre. Celle-ci a même déclenché une procédure juridique en référé à l'encontre de ce syndicat afin d'obtenir la mise en œuvre d’engagements pris par les pilotes et veut ouvrir des négociations pour un nouveau plan d’économies. On imagine la sérénité du dialogue entre pilotes et direction! Or, au cas où les pilotes refuseraient de négocier si aucun résultat n’était possible, la direction pourrait alors dénoncer tous les accords conclus avec eux. Ce qui déclencherait à coup sûr des réactions en chaîne, mouvements sociaux à l’appui. Mais les échéances semblent reportées à la rentrée. Les voyageurs de l’été sur Air France l’ont peut-être échappé belle!
Les passagers de la SNCF sont aussi passés, au début de l’été, à travers les mouvements sociaux. Il y eut pourtant des grèves, le 25 juin, mais elles ne touchèrent que partiellement le trafic des trains Intercités et ne perturbèrent pas celui des TGV. Quant à la circulation des TER, elle fut normale à 80%. Les cheminots, cette fois, ont choisi de ne pas faire porter au public les conséquences de leurs revendications.
Last but not least, la CGT a appelé à un blocage des stations de vente carburant le 2 juillet, puis tous les jeudis de l’été, pour protester contre la suppression de 250 emplois à la raffinerie Total de La Mède après sa conversion en unité de production de biocarburants. Une stratégie basée sur la récurrence du mouvement pour occuper la scène médiatique tout l’été, sans forcément trop gêner les automobilistes prévoyants (les autres apprécieront) mais en revenant en boucle dans l’actualité.
Mieux anticiper pour éviter les nuisances maximales
Dans les transports, les corporatismes sont puissants et les revendications catégorielles ont vite fait de dégénérer sur le domaine public. Or, comme le transport est un service qui ne se stocke pas, à la différence d’autres productions dans l’industrie, et comme les opérateurs sont directement au contact du public, tout blocage a des répercussions immédiates sur les trafics, avec des désagréments en temps réel sur les voyageurs qui paient les pots cassés des affrontements entre des salariés et leurs directions, ou entre des professionnels et le gouvernement.
Tout blocage a des répercussions immédiates sur les trafics
Il n’est pas de gouvernement, de droite comme de gauche, qui n’ait été confronté à la capacité de nuisance des professionnels du transport, qu’il s’agisse de patrons routiers ou de leurs conducteurs, de cheminots, de pilotes ou de contrôleurs du ciel, de marins ou de taxis… On a vu avec quelle rapidité le gouvernement enterra le projet d’écotaxe dès l’instant où les «bonnets rouges» bloquèrent des axes routiers. Les discussions avaient entraîné le report de la mise en service du système mais c’est la violence de l’action qui fit reculer les pouvoirs publics. Il fallait surtout éviter qu’elle fasse tache d’huile. Les taxis, comme d’autres, ont bien retenu la leçon et l’ont appliqué fin juin.
La France aurait malgré tout pu faire l’économie de cette journée de crispation maximale surtout à Paris et près des aéroports. Les transporteurs routiers, qui devaient autrefois acheter une licence comme les taxis aujourd’hui pour pouvoir exercer leur profession, avaient déclenché des manifestations massives lorsque l’introduction de la libéralisation dans leur secteur avait entraîné une dévalorisation totale de cette licence. Une partie de leur patrimoine partait en fumée! C’est exactement le problème auquel se trouvent confrontés les taxis face à l’apparition d’une concurrence qui n’a pas les mêmes contraintes.
Les pouvoirs publics auraient pu anticiper leur réaction. Des dispositions ont été prises contre le déploiement du système UberPop mais ont tardé à produire leurs effets, comme si le laxisme allait finalement laisser s’installer cette concurrence qui prospère sur la précarité ambiante. De guerre lasse, les taxis sont montés au créneau. Entre les difficultés financières des uns et les tentatives des autres pour trouver des petits compléments de revenus, on a assisté à de bien tristes empoignades. Les pouvoirs publics ont réagi, un peu tard.
Logique des rapports de force
La théorie de la nuisance maximale est de règle aussi dans les airs, lorsque les préavis de grève des contrôleurs aériens sont lancés juste pour les départs en vacances, alors qu’ils sont motivés par des revendications salariales qui pourraient être mises en avant à d’autres moments qu’à l’ouverture des congés d’été. Mais c’est la logique des rapports de force.
On n’est pas, ici, dans la même situation qu’à Calais, où les actions des marins sont déclenchées par la perspective de voir leur outil de travail vendu, pertes de postes à la clé. Toutefois, pour les passagers des Eurostar ou des ferries immobilisés, le résultat est bien le même. Comme à chaque fois que les transports ne fonctionnent plus.
Ce n’est pas le principe de la grève, qui, dans ces conditions, pose problème. Mais l’incapacité des partenaires sociaux à trouver d’autres méthodes pour aboutir à un résultat, et le recours trop systématique au blocage. À la SNCF, de nouvelles procédures ont été mises en place depuis 2008 pour préserver la continuité du service public sans restreindre le droit de grève, mais en prévoyant des dispositifs d’anticipation et en instaurant une obligation de service minimum (qui s’applique d’ailleurs à tous les transports). Avec des résultats. La DGAC, avec les aiguilleurs du ciel et sous la pression du gouvernement déjà éprouvé par les taxis, est également parvenue à éviter un blocage à la dernière minute. On veut croire que l’expérience peut aussi être étendue à d’autres secteurs.