Monde

Russie/Occident: la guerre froide des opinions publiques

D'après une nouvelle enquête, la défiance entre les Russes et les Occidentaux s'est fortement accrue après la crise ukrainienne. Décrié à l'étranger, Vladimir Poutine est plébiscité par son peuple.

Manifestation pro-Poutine en février dernier (REUTERS/Maxim Zmeyev)
Manifestation pro-Poutine en février dernier (REUTERS/Maxim Zmeyev)

Temps de lecture: 4 minutes

Le Pew Resarch Center a publié le 10 juin dernier une enquête du plus grand intérêt sur l’état actuel des opinions publiques russe et occidentales. Ses principaux résultats méritent un examen attentif car ils font ressortir le fossé croissant qui les sépare. 

Ce qui frappe d’abord, c’est le retournement de l’opinion publique russe. En l’espace de deux ans, les opinions positives à l’égard des États-Unis sont passées de 51% à 15%  et, à l’égard de l’Union européenne, de 63% à 31%. La propagande du pouvoir à l’égard des pays de l'Ouest, présentés désormais comme des ennemis, a produit tous ses effets sur une opinion publique de plus en plus réceptive. L’Otan a vu son nombre d'opinions positives passer de 30% à 12%. Cette organisation représente aujourd’hui une menace majeure pour 50% des Russes et une menace mineure pour 31%. Nous voilà presque revenu au temps de la Guerre froide. 

L'Europe rangée derrière l'Amérique

Cette défiance croissante n'est pas unilatérale. Symétriquement, la Russie apparaît aux opinions publiques des pays occidentaux comme une menace importante. En deux ans, les opinions positives à l’égard de la Russie sont passées de 36% à 25% en moyenne dans les États qui figurent dans l’enquête.

L’intensité de ce danger est cependant ressentie de manière différente suivant où l'on se trouve. La proportion de ceux qui considèrent que la Russie est une menace majeure pour ses pays voisins (hors Ukraine) varie de 70% des Polonais à 38% des Allemands en passant par 59% des Britanniques, 51% des Français, 49% des Espagnols et 44% des Canadiens et des Italiens. Dans chacune des opinions publiques, une majorité fait confiance aux États-Unis pour défendre militairement un pays membre de l'Otan au cas où il serait attaqué (68% en moyenne, les Polonais étant un peu moins confiants que les autres sur la certitude d’une intervention américaine).

Une nette majorité des Occidentaux est opposée au respect de l'intégrité 
des frontières antérieures 

de l'Ukraine

Les Occidentaux sont, en revanche, moins favorables à une intervention militaire de leur propre pays en cas de conflit sérieux entre la Russie et un de ses voisins. En effet, si les Américains sont les plus interventionnistes (56%), les Français, les Italiens et surtout les Allemands sont moins enclins à soutenir une telle action (58% hostiles contre 38% favorables dans ce dernier pays). Comme quoi, aux yeux des Européens, l’Otan signifie essentiellement les États-Unis!

À propos de la sécession en Ukraine des républiques auto-proclamées de Donetsk et de Luhansk, c’est-à-dire du Donbass, seulement 11% sont pour un retour au statu quo ante, 21% sont favorables à son autonomie au sein de l’Ukraine, mais 35% veulent qu’elle devienne indépendante et 24% qu’elle soit rattachée à la Russie. Ainsi, une nette majorité est opposée au respect de l’intégrité des frontières antérieures de l’Ukraine. 

La question ukrainienne est à l’évidence celle qui divise le plus. Du côté russe, la préoccupation principale est d’empêcher son adhésion à l’Otan (83%) et à l’Union européenne (68%). Pour autant, ils ne sont qu’une courte majorité à souhaiter la voir rejoindre l’Union économique eurasienne qui lie la Russie à la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie (45% contre 40%). 

Les Français hostiles à l'entrée de l'Ukraine dans l'UE

Du côté des Occidentaux, si la majorité des opinions publiques fait porter la responsabilité de la violence en Ukraine orientale à la Russie et, en second lieu, aux séparatistes, des différences apparaissent, notamment entre les Polonais qui sont 56% à incriminer la Russie et les Allemands qui ne sont que 29%. 

88%

C'est le pourcentage de Russes
qui font confiance à Vladimir Poutine pour prendre les bonnes décisions dans les affaires internationales

Les Occidentaux sont favorables à une entrée de l’Ukraine dans l’Otan sauf en Italie et en Allemagne où l’opposition à une telle orientation est nettement majoritaire. S’agissant de son entrée dans l’Union européenne, le clivage est à peu près le même, à l'exception des Français qui ont basculé dans le camp des opposants. En revanche, tous voient d'un bon œil l’apport d’une aide économique à l’Ukraine et l'application de sanctions économiques contre la Russie.

En face, l’opinion publique fait bloc comme jamais autour du président Poutine. Grâce à sa gestion de la crise ukrainienne, sa popularité est au plus haut. 88% des Russes lui font confiance pour prendre les bonnes décisions dans les affaires internationales, soit une augmentation de neuf points en trois ans. En particulier, ils sont 83% à approuver sa gestion de la crise ukrainienne. Ce, alors que la proportion de ceux qui estiment que la situation économique en Russie est mauvaise est passée de 44% à 73% en un an. 

Les deux plus grandes puissances économiques du monde occidental, les États-Unis
et l'Allemagne, sont les plus opposées 

L'engouement s'explique facilement. Plus de deux-tiers des Russes considèrent comme lui que la dissolution de l’URSS a été une catastrophe. Poutine leur a rendu le sens de la fierté nationale. Ainsi, 63% des Russes ont aujourd’hui une image très favorable de leur pays contre 29% il y a seulement deux ans. 

Un armement européen suffisant?

En l'absence d'un consensus des opinions publiques, on comprend mieux l'incapacité des gouvernements occidentaux à contrer les ambitions de la Russie si celle-ci utilise la force. Surtout que, sur ces questions, les deux plus grandes puissances économiques du monde occidental, les États-Unis et l’Allemagne, sont les plus opposées. Les Allemands, plus proches géographiquement de la Russie, n’ont pas oublié la catastrophe qu’a constituée pour eux le dernier conflit mondial.

Dans ces conditions, l’Occident va devoir se reposer clairement la question de l’état de son propre armement et celle de la capacité de l’Otan à contrer l’expansionnisme russe dans son ancienne empire. Les européens pourront-ils continuer à se reposer entièrement sur les États-Unis sans construire une défense européenne ou sans participer au renforcement des forces de l’Otan? Des forces qui se sont affaiblies au fur et à mesure que la Russie augmentait les siennes. 

Enfin et surtout, il faudra que les pays de l’Union européenne s’efforcent d’adopter une position commune à l’égard de la politique russe qui soit autre chose que la juxtaposition des différentes positions des pays membres dont la résultante est toujours l’alignement par le bas. Ici comme ailleurs n’est-ce pas de plus d’Europe dont nous avons besoin et non pas de moins?

cover
-
/
cover

Liste de lecture