Économie

Le sauvetage de la Grèce passera aussi par la mer

Le potentiel portuaire de la Grèce n’est pas entièrement exploité. La privatisation des ports du Pirée et de Thessalonique, gelée par le gouvernement Tsipras, est finalement débloquée. Le Pirée pourrait devenir un hub maritime de tout premier plan.

<a href="https://www.flickr.com/photos/kostas-limitsios/14385050984/in/photolist-nVa9uq-6zo7cE-6zj1ir-6zo7xJ-6zo6SN-nWdbPJ-HSrQK-6zo6su">Port du Pirée</a> | Kostas Limitsios via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Port du Pirée | Kostas Limitsios via Flickr CC License by

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Qu’Athènes reste dans la zone euro ou en sorte, la Grèce va devoir faire fructifier son potentiel maritime. Car c’est une richesse dont l’économie nationale ne profite pas suffisamment aujourd’hui, comparativement à d’autres pays. À tel point que des opérateurs privés étrangers sont prêts à prendre le relais dans la mise en valeur des ports.

Pourtant, la mer est au cœur de la culture grecque. Par la géographie d’abord, avec quelque 120 îles habitées baignant surtout dans la mer Égée, et sa situation entre Méditerranée et mer Noire via la mer de Marmara.

Par l’histoire ensuite, puisque du port du Pirée près d’Athènes à celui de Thessalonique au nord du pays, ou de la grande presqu’île du Péloponnèse aux îles plus petites des Cyclades et des Sporades en passant par la Crète et celles qui, comme Rhodes, sont face aux côtes turques, les mers furent un passage obligé pour les Grecs à travers les siècles, notamment pour importer les denrées que l’agriculture ne pouvait produire.

Un empire maritime sous contrôle des armateurs grecs

On ne doit donc pas s’étonner qu’aujourd’hui les armateurs grecs possèdent la plus importante flotte de commerce au monde, avec, en 2014, un total de plus de 3.800 navires pour plus de 258 millions de tonnes de port en lourd représentant plus de 15% des capacités mondiales, selon le rapport de la Cnuced sur le transport maritime. Vingt fois plus que la flotte française!

La mer est à l’origine de la plus belle réussite économique grecque. Malheureusement pour le pays, les trois quarts de ces navires marchands exploités par plus de 700 compagnies maritimes (dont 10% seulement possèdent plus de 15 unités) sont immatriculés sous des pavillons étrangers, de complaisance.

Malgré tout, la marine marchande grecque, qui réalise à elle seule près de 20% du produit intérieur grec, rapporte autant au trésor public que le secteur du tourisme. Toutefois, la Grèce pourrait espérer en tirer un plus grand profit encore si les grands armements ne s’étaient pas exilés depuis longtemps à Londres et si le secteur ne bénéficiait pas depuis plus d’un demi-siècle d’un régime fiscal attractif et dérogatoire, sans impôts sur les sociétés et avec seulement un forfait au tonnage, destiné précisément à enrayer la délocalisation des sièges sociaux et des navires. Un énorme manque à gagner, pour les caisses publiques, même si les armateurs ont consenti à un effort dans la crise.

20%

La part de la marine marchande dans le PIB grec

Un hub maritime en Méditerranée

Mais les ports, eux, ne peuvent être délocalisés. Et ils ont une carte à jouer dans l’économie du pays. Certes, le port du Pirée ne fait pas partie des grands ports mondiaux, ni même des vingt premiers ports européens. La Grèce n’étant pas située sur les grandes voies maritimes des géants des mers qui bouclent des tours du monde, le port d’Athènes a laissé passer l’explosion du transport maritime international avec la libéralisation des échanges et l’entrée fracassante de l’Asie dans la mondialisation du commerce.

En revanche, c’est plutôt au niveau méditerranéen que l’analyse doit se focaliser, et même de l’Europe méditerranéenne. Car la Grèce est remarquablement située sur le chemin des voies maritimes vers l’Europe empruntant le canal de Suez. Ses ports peuvent alors devenir des points de passage pour approvisionner les pays d’Europe centrale, ou de transit avant de rallier les ports d’Odessa et de Sébastopol sur  la mer Noire.

Dans cette optique, le port du Pirée avec son trafic de 14 millions de tonnes en 2012 est le plus concerné. Mais celui de Thessalonique, avec une activité qui fut parfois supérieure (16 millions de tonnes en 2010, 13 millions en 2011) à celui du Pirée, peut aussi tirer avantage de la situation.

Certes, comparés à des ports comme Algesiras, Valence et Barcelone en Espagne, Marseille en France ou Gênes en Italie, ceux du Pirée et de Thessalonique affichent des tonnages plus modestes. Mais au-delà des chiffres, on voit qu’Algesiras, devenu le premier port méditerranéen, est situé à l’extrémité occidentale du bassin, au sud de l’Espagne, loin des grands centres de production et des grands bassins de consommation. C’est avant tout un port de transbordement qui récupère les trafics venant de l’Atlantique tout proche.

Sur le chemin des voies maritimes vers l’Europe empruntant le canal de Suez

Par ailleurs, un port comme Marseille est très dépendant des transports d’hydrocarbures,  qui ont longtemps représenté jusqu’à 70% de son activité globale; l’an dernier, cette part est descendue à 60%.

Ainsi, si on ne considère que le trafic par conteneurs, le plus porteur aujourd’hui dans le transport de marchandises, Le Pirée n’est plus devancé en Méditerranée que par Algesiras et Valence sur les côtes occidentales, par Port-Saïd à l’extrémité du canal de Suez et par Ambarli, le terminal conteneurs d’Istanbul –ce dernier étant donc son rival le plus direct, avec le terminal de conteurs de Gioia Tauro, à l’extrême sud de la botte italienne. Marseille et Gênes sont alors dépassés. Ce qui révèle le potentiel des ports grecs sur un segment important du transport maritime, et qui continue de progresser.

Gelé, le processus de concession a repris

Les investisseurs chinois ne s’y sont pas trompés, intéressés à la fois par le quadruplement des échanges entre la Chine et la Grèce en une quarantaine d’années et par l’accès aux pays des Balkans. Cosco, leader du transport maritime chinois, a déjà obtenu en 2008 une concession de trente-cinq ans sur deux terminaux de conteneurs du Pirée et vise à accroître son emprise.  Avec l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras, les privatisations en Grèce ont été gelées en janvier dernier et notamment celle du port géré par l’Autorité du port d’Athènes. Le programme prévoyait que l’État pourvoirait aux investissements.

Mais les caisses sont vides et l’État n’a pas les moyens d’assurer l’avenir du port, qui, sans apport financier, ne pourra plus apporter sa contribution au redémarrage économique du pays. Aussi, le processus de privatisation du Pirée, condamné par le parti Syrisa après sa victoire aux élections, est finalement redevenu d’actualité fin mars, et a été débloqué mi-mai. L’objectif n’est pas de vendre, mais de concéder.

Toutefois, si elle est présentée comme un geste de bonne volonté d’Athènes vis-à-vis de ses créanciers, cette volte-face des autorités grecques semblent avoir douché les ardeurs de certains investisseurs. Alors que huit groupes internationaux auraient été sur les rangs en juin 2014, on n’en compterait plus que trois, parmi lesquels le chinois Cosco toujours déterminé, en concurrence avec la filiale pour l’exploitation des conteneurs du géant des mers danois Maersk (leader mondial du transport maritime) et du consortium International Container Terminal Services basé aux Philippines.

Mission de l’État pour soutenir ses plateformes portuaires: que les infrastructures terrestres suivent

La décision de ne plus privatiser que 51% du port du Pirée au lieu de 67% dans le scénario initial de privatisation a aussi pu dissuader certains postulants potentiels, à moins qu’ils aient renoncé à entrer en compétition avec Cosco.

Quoi qu’il en soit, les candidats existent, soulignant l’intérêt du port du Pirée mais aussi celui de Thessalonique. Et avec la relance des privatisations qui doivent être assorties d’investissements et d’un apport d’activité, les grands ports grecs sont appelés à prendre une plus grande importance dans la relance économique du pays. À condition, comme pour tous les ports dans le monde entier, que les infrastructures terrestres suivent pour permettre les acheminements jusqu’aux dessertes finales. C’est là une mission de l’État pour soutenir ses plateformes portuaires.

Si un aéroport comme Dubaï, hub de la compagnie Emirates, a pu s’extraire des sables du golfe Persique jusqu’à devenir la première plateforme de transit international dans le monde en transport aérien, un port comme Le Pirée fort de la puissance des armateurs grecs peut aussi devenir un hub de tout premier plan dans le transport maritime de marchandises en Méditerranée. Ce qui ne peut actuellement passer que par l’organisation d’une concession de l’État grec à un exploitant.

Mais la compétition avec les autres ports, tous en quête de croissance, est forte. Par exemple, si on ne considère que les opérateurs chinois, Cosco est également à Port Saïd, et le hongkongais HPH à Barcelone et à Alexandrie. La Grèce possède des atouts; l’Italie, la France, l’Espagne, l’Égypte et la Turquie –qui investit massivement– en ont d’autres. Le succès des ports grecs dépendra de l’ouverture politique du nouveau gouvernement pour attirer les capitaux et de l’engagement des armateurs grecs à ses côtés.

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