Boire & manger

Voyage à Hérisson, au pays du whisky de Cocagne

Dans un village de 600 âmes planté au centre de la France, la Distillerie de monsieur Balthazar fabrique un whisky unique, qui emprunte à la magie du bourbon et à la tradition cognaçaise. Un truc bien de chez nous en somme.

Le village de Hérisson, dans lequel se trouve la Distillerie de monsieur Balthazar | Christine Lambert
Le village de Hérisson, dans lequel se trouve la Distillerie de monsieur Balthazar | Christine Lambert

Temps de lecture: 4 minutes

Et le whisky français, on en parle quand? me demandez-vous souvent. La question va donc nous jeter cette semaine sur les routes de campagne jusqu’à Hérisson, pile au centre du pays. Ce bourg médiéval de l’Allier, gardé par les ruines d’une forteresse des ducs de Bourbon, lové dans l’étreinte des eaux claires de l’Aumance et tapi dans l’ombre de la forêt de Tronçais, se classe parmi les plus beaux de France. Mais, pour le tourisme, vous repasserez un autre jour sans moi.

Pour l’heure, c’est l’une des plus anciennes et des plus atypiques distilleries de whisky français que nous venons visiter, celle de monsieur Balthazar, coincée dans une grange à l’écart du village, entre les prés à charolaises et les mares à grenouilles. Ici, depuis trois ans, le jeune David Faverot a repris la mise en scène d’une pièce qui n’a jamais connu de dernier acte depuis 1984. Cette année-là, les Rencontres théâtrales de Hérisson montent Les Mémoires d’un visage pâle à l’initiative d’un enfant du pays, le comédien Olivier Perrier. Un drôle de balthazar, celui-ci, car c’est ainsi qu’on désigne dans le coin ceux qui font le bien sans bruit. Qui décide de distribuer son whisky à la fin de la représentation, en écho au spectacle narrant le massacre de colons par des Indiens rendus ivres morts de cet alcool vendu par leurs victimes.

Cette grange abrite les chais, où fermente et vieillit le whisky bourbonnais. La partie distillation se trouve dans une petite annexe (à gauche) qui n’apparaît pas sur la photo | Christine Lambert

Juste un léger souci dans l’histoire: monsieur Perrier n’a jamais rien distillé de sa vie. Mais dans la troupe, un musicos de Caroline du Nord, James Leva, tenait le secret du moonshine (ce whisky non vieilli distillé au clair de lune en toute clandestinité) d’un de ses compatriotes, le violoniste Tommy Jarell. Admirez au passage la polyvalence des musiciens américains. La fine bande bricole un alambic à l’étanchéité aléatoire, et ainsi naquit le premier whisky bourbonnais, une gnôle qui empruntait d’ailleurs bien plus au bourbon qu’au scotch. Piqué au jeu, le maître des lieux fit dès l’année suivante l’acquisition d’un alambic, un vrai, pour distiller une ou deux fois l’an, tout en potassant le sujet.

Génial bricolage

Brouet épais gorgé de sucres qui part en fermentation

Sans rien renier de cet héritage foutraque qui fait tout le charme du whisky de Hérisson –le Hedgehog, in english dans le texte–, David Faverot a entrepris d’y imprimer sa patte en douceur. Et de professionnaliser la micro-distillerie où il passait auparavant ses week-ends, penché sur l’épaule de monsieur Balthazar. Micro-distillerie, disais-je? Hum, le mot est presque trop large quand on sait que l’alambic doit tourner trois semaines pour remplir un seul fût de 400 litres! Mais ici, les rêves se perchent haut dans le ciel et l’ambition leur fait la courte échelle, bien plantée sur terre.

David Faverot, l’homme qui a profesionnalisé la «micro-distillerie» | Christine Lambert

«Toutes les matières premières sont récoltées localement depuis les débuts, avance David. Mais les proportions ont évolué dans la recette: de 60% de maïs bio broyé, je suis passé à 45%, complété par 45% de trois sortes d’orge maltée concassée et 10% de seigle réduit en farine très fine. Les levures ont changé, ainsi que les temps de fermentation et les coupes[1]

Le whisky a donc évolué, bien sûr. En mieux. Il a gagné en caractère, en présence, sans trop sacrifier de sa rondeur joviale. Il y a deux ans, une cuve d’empâtage achetée d’occase a remplacé les marmites dans lesquelles on touillait à la main les céréales mélangées à l’eau –en attendant, en août, la nouvelle bête de 2.000 litres. Byzance! La tambouille monte en température par paliers et c’est ce brouet épais gorgé de sucres, et non le jus soutiré, qui part en fermentation.

Les fûts de fermentation: du jamais-vu | Christine Lambert

Oubliez les cuves en pin d’Oregon qui font la fierté des Écossais: à Hérisson, la fermentation fait tanguer de petits fûts en épais plastoc bleu pendant dix à douze jours, dans un gargouillis de bulles. Et, quand l’hiver se montre teigneux, David les emmaillote sous une couverture chauffante pour laisser les levures bouffer le sucre dont elles feront de l’alcool. Et on se prend à regretter que, dès cet été, du matériel en inox thermo-régulé remplace ce génial bricolage.

Science et magie

L’alambic Holstein à bain-marie, lui, est arrivé l’an dernier pour remplacer trois petites bécanes qui refusaient pourtant de crever. Rutilante bestiole de cuivre qui, en deux passes, recrache la gnôle à 73%, quand les vapeurs consentent à se faufiler dans quinze mètres de serpentin en cuivre plongés dans une cuve d’eau froide pour se condenser. Après… Après la science cède à la magie, à l’art, au théâtre qui se joue dans les chais, un peu plus loin sous la grange de pierre.

Hedgehog passe d’abord six à douze mois en fûts de chêne neuf de la forêt de Tronçais, avant de se la couler douce pendant deux ans et demi dans d’anciens fûts de cognac. Patience, patience. Comme dans le cognaçais, qui fournit l’inspiration en même temps que le bois, la réduction à l’eau se fera progressivement, sans chahuter le whisky, sur six à douze mois encore. Le hérisson sort ses piques si d’aventure on le brusque. À petit trot, Hedgehog se vend à 3.500 bouteilles bon an, mal an, au prix modeste d’une quarantaine d’euros qui devrait vous inciter tous à le goûter.

L’alambic, rutilante bestiole de cuivre | Christine Lambert

Mais David fabrique aussi une liqueur, la Bourbonnaise, ainsi qu’une vodka de distillat, Borvodéu. Surtout, il compte relancer à l’automne Le Tronçais, un whisky un tantinet boisé élevé sous chêne du même nom. Et nous promet son frère, L’Aumance, pour l’été 2016. Ça, ce sera son chef-d’œuvre à lui, intégralement vieilli en ex-fûts de sauternes. «J’aimerais bien essayer un corn à présent, 100% maïs. Et faire du rhum», semble-t-il rêver à voix haute.

Et quand je lui fais remarquer que sa démarche locale prendra du plomb dans l’aile, la canne à sucre ne poussant pas franchement dans le coin, il répond dans un sourire:

«Pour l’instant. Mais sous une serre chauffée par l’alambic… J’étudie le projet.»

Au fond, c’est quand les rêves s’accrochent au plus haut derrière les étoiles qu’il suffit de tendre la main pour les cueillir.

La Distillerie de monsieur Balthazar se visite sur demande, et les produits peuvent se commander en ligne sur http://www.whisky-hedgehog.fr

1 — Les coupes délimitent la part d’eau-de-vie que l’on conserve pour faire vieillir de celle que l’on écarte pour la redistiller. Retourner à l'article

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