Santé / France

Pourquoi ne se balade-t-on pas nu dans la rue?

Alors que l'on pourrait gambader dans le plus simple appareil, tels des naturistes permanents...

Des modèles nus se préparent à poser pour l6artiste Spencer Tunick dans le Peel Park, à Salford, dans le nord de l’Angleterre, le 1er mai 2010 | REUTERS/Phil Noble
Des modèles nus se préparent à poser pour l6artiste Spencer Tunick dans le Peel Park, à Salford, dans le nord de l’Angleterre, le 1er mai 2010 | REUTERS/Phil Noble

Temps de lecture: 4 minutes

Le 19 juin, c'est traditionnellement la journée mondiale –l'une des 330 journées mondiales qui existent...– du naturisme. (Cette année c'est le 28 juin[1]). Même si «naturisme» ne doit pas être totalement confondu avec «nudisme», il n'est pas rare que les naturistes, adeptes d'une philosophie de vie respectueuse de la nature, choisissent de vivre nus. Ce qui nous a conduit à nous demander: pour quelle raison ne nous baladons-nous pas tout nus?

1.La loi

Tout être humain connaît la pudeur, qu'il soit nu ou habillé. Mais ce degré de pudeur varie selon les époques, les lieux, et même selon les individus. En France, être habillé est devenu une norme sociale; se montrer nu est même presque puni par la loi. Si aucun article de loi n'interdit clairement de se balader tout nu dans la rue, l'article 222-32 du code pénal énonce que «l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende».

Encore faut-il définir l'exhibition sexuelle, ce que se sont efforcés de faire les tribunaux. Les usages et les mœurs en vigueur dans l'endroit où l'acte a été commis sont ici déterminants pour délimiter s'il y a ou non ce que l'on appelait autrefois «outrage à la pudeur».

L’exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende

article 222-32 du code pénal

Les juges vérifient tout d'abord si une «partie à caractère sexuel» a été dévoilée: si les organes génitaux ne font pas de doute quant à leur caractère sexuel, le torse nu fait plus débat, surtout chez les femmes. Le contexte dans lequel la personne s'est exposée apparaît alors important: pas de problème si c'est sur une plage nudiste, ou dans une démarche artistique, mais si elle se trouvait dans la rue, à la vue de tous (notamment de mineurs), sa situation s'avère plus délicate aux yeux de la loi.

Le tribunal doit également déterminer si l'exhibitionniste en question avait «conscience du caractère obscène ou impudique de l'acte». C'est là que l'on fera une distinction entre l'exhibition active, qui suppose par exemple un rapport sexuel ou la masturbation, ou passive: je me balade simplement nu, sans volonté de choquer. Qu'advient-il du dernier? Peu d'exemples existent. Un garçon ivre baissant son pantalon a été gracié car déclaré inconscient de ses actes. En revanche, un homme bronzant nu dans sa voiture a, lui, été condamné.

Toutefois, peu de personnes semblent tentées de se balader nues sans avoir conscience que cela pourrait choquer. Car il n'y a pas que la loi qui nous empêche de nous promener dans le plus simple appareil.

2.La pudeur

Des thèses anthropologiques montrent que l'être humain, contrairement aux autres animaux, a choisi de s'habiller. Pour avoir moins froid, peut-être. Mais aussi pour ne pas être perpétuellement tenté par le désir sexuel. En effet, chez les singes, cousins de l'homme, c'est la coloration des parties génitales de la femelle qui signale aux mâles qu'elle est apte à la reproduction. L'humain étant debout, tout le corps se serait érotisé, incitant ainsi les êtres humains à la pudeur pour protéger l'intégrité des corps, la paix sociale, ou encore les structures familiales –les bonobos, très proches de l'homme, eux, ne le font pas et, le résultat, c’est qu’ils copulent tout le temps (en moyenne, huit fois dix secondes par jour).

Avoir moins froid et aussi ne pas être perpétuellement tenté par le désir sexuel

C'est donc notre condition d'être humain qui nous a conduits à porter des vêtements, quels qu'ils soient, au moins pour cacher nos parties génitales. Même dans les civilisations les moins vêtues, il est rare que les corps soient totalement nus: en plus d'un bout de tissu qui vient souvent cacher le sexe, des tatouages, des peintures ou des scarifications viennent agrémenter la peau.

Selon la psychanalyse de Freud, la pudeur s'apprend pendant l'enfance: si cela ne le dérange pas de se montrer nu pendant les premières années de sa vie, l'enfant va commencer à avoir de la gêne «naturellement», après sa période œdipienne. C'est un stade de son développement qui lui permet de «canaliser ses débordements». Le comportement de ses parents va alors jouer un rôle primordial quant à cet apprentissage de la pudeur: ils vont lui transmettre leur conception de la pudeur, ce qu'ils considèrent comme pudique, ou impudique.

3.La société

Nos parents ne sont pas les seuls à nous apprendre la pudeur. Si nous portons des vêtements, c'est bien parce que c'est la norme dans notre société. La pudeur est donc aussi une construction sociale. On en a pour preuve la diversité des seuils et des formes de pudeur à travers le temps et les régions: la nudité était beaucoup moins taboue à l'Antiquité grecque ou encore au Moyen Âge; certains groupes ethniques, encore aujourd'hui, ne portent pas de vêtements qui leur recouvrent tout le corps; en France, on ne voit pas souvent le torse nu de l'homme comme une violation de la pudeur, alors que celui des femmes fait plus souvent scandale. Enfin, ceux qui pratiquent le naturisme définissent leur pudeur malgré l'absence de vêtements.

La nudité se trouve très liée au péché, et la pudeur à la chasteté

Quelle qu'elle soit, toute société a sa conception de la pudeur. Les codes ne font que varier de l'une à l'autre. Dans notre société occidentale marquée par les traditions judéo-chrétiennes, le tabou du nu est institué par la Genèse, avec le péché originel d'Adam et Eve. Par ce texte, où ils se rendent compte de leur nudité après qu'Ève a croqué la pomme, la religion inscrit l'obligation de cacher son corps dans la société. C'est ainsi qu'à partir du XIXe siècle surtout, la nudité se trouve très liée au péché, et la pudeur à la chasteté. En se montrant nu, les naturistes veulent renverser ces codes. 

Mais les normes restent bien ancrées: même si vous aviez brutalement le droit, aux yeux de la loi, d'aller nu au travail demain, parce qu'il fait trop chaud par exemple, le feriez-vous vraiment? Pas sûr.

L'explication remercie Me Anne-Marion de Cayeux, avocate au Barreau de Paris; Christophe Colera, sociologue et philosophe, auteur de La nudité - Pratiques et significations; Lyliane Nemet-Pier, pédopsychiatre; et aussi les écrits de Jean-Claude Bologne, auteur d’Histoire de la pudeur; de Hans-Peter Duerr, auteur de Nudité et pudeur, le mythe du processus de civilisation; de Régis Bertrand, auteur de La nudité entre culture, religion et société; de Me Sabine Haddad, avocate au Barreau de Paris; de Sabine Szejer, dans cet article.

1 — Nous avions par erreur écrit au départ que cette année encore la journée du naturisme était le 19 juin.  Retourner à l'article

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