Santé

«Je suis déprimée à la simple vue de mon reflet dans le miroir»

Cette semaine, Lucile répond à une jeune femme obsédée par son corps, pourtant conforme aux canons de beauté.

«La Psyché», de Berthe Morisot <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Berthe_Morisot_-_Psych%C3%A9.JPG"> via Wikipedia, License CC </a>
«La Psyché», de Berthe Morisot via Wikipedia, License CC

Temps de lecture: 3 minutes

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes.

Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

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Je suis obsédée depuis plusieurs années par mon image et mon corps. Bien que plutôt dans les «canons« et «standards» de beauté imposés par notre société, je n'arrive pas à me sentir bien dans mon corps et cela me gâche la vie.

Je suis déprimée à la simple vue de mon reflet dans le miroir, une journée à la plage est pour moi une atroce torture et, lorsque quelqu'un me lance «Tu as pris ton maillot?», je me liquéfie complètement sur place.

Cette condition est extrêmement handicapante, car elle me fait perdre toute confiance en moi et me rend morose, ce qui n'est pas dans ma nature. Ces tracas finissent par se voir et déborder sur ma vie privée; j'ai quelqu'un dans ma vie et nous nous aimons sincèrement. Seulement, me voir dans cet état l'affecte, d'autant plus qu'il n'y a rien d'agréable à entendre la femme que l'on aime et que l'on trouve belle se critiquer sans cesse et se déprécier comme je le fais.

Je suis allée voir un psy mais la séance m'a déçue et ne m'a pas apporté l'aide que je cherchais. Cela fait plusieurs années que ça dure et les choses empirent; je me culpabilise pour un rien, je ne fais plus de sport depuis quelques mois et me le reproche sans cesse, sans pour autant réussir à me bouger. Je me blâme pour le moindre écart calorique, sans pour autant réussir à contrôler mon alimentation.

Je ressens aussi un sentiment d'injustice, face à cette condition physique que d'autres ne connaissent pas par le simple et heureux hasard du code génétique en leur faveur. Pourquoi certaines filles ont la chance de ne pas avoir de cellulite, une peau d'une qualité hors du commun, et d'autres se battent avec cette horreur depuis leurs 15 ans?

Cela me dépasse et me fait enrager. Je ferais tout pour faire disparaître ces défauts qui m'obsèdent et ne joue au loto que pour gagner le pactole et foncer sur le billard. J'aimerais être plus positive, plus rationnelle, me dire qu'il n'y a pas que ça qui compte dans la vie et apprendre à m'aimer «pour ce que je suis», mais rien n'y fait, ça ne prend pas.

Béa

Chère Béa,

Oui, il y a une injustice génétique. Elle tient autant au physique, qu’aux traits du visage, qu’au métabolisme. Nous ne sommes pas égaux. Et cette inégalité est amplifiée par la différence de moyens financiers et de temps que nous pouvons consacrer à nous contraindre aux normes de beauté actuelle (parce que vous n’ignorez pas non plus qu’elles sont fluctuantes de décennies en décennies). Et la société elle-même est un miroir déformant et une machine à culpabilisation permanente. Comment ne pas nourrir une rancœur et faire vivre au fond de soi la colère liée à l’injustice?

Ces colères ont un avantage: elles peuvent mener au rejet de ces diktats. Le plus important n’est pas techniquement la beauté mais le ressenti que l’on a de sa propre personne. Si l’on vit bien en pleine conscience et acceptation de ce que l’on pense comme des défauts, tant mieux.

En l'occurrence, je crois que vous devez essayer de comprendre pourquoi vous êtes obsédée par votre corps? Est-ce une manière de ne pas penser à autre chose? Vos aspirations professionnelles? Est-ce que vous avez le sentiment que c'est le seul domaine où vous pouvez valoir quelque chose? Avez-vous eu des traumatismes plus ou moins liés à votre corps? Est-ce que cette souffrance vous fait paradoxalement du bien: essayez-vous de la maintenir pour vous punir de quelque chose, pour vous empêcher de vous épanouir avec votre compagnon?

Le problème n’est certainement pas d'avoir des défauts, vous le savez bien. Je suis sûre que vous avez même dans votre entourage des personnes que vous trouvez belles malgré, ou grâce à, leurs défauts. 

Le problème est de ne pas voir au-delà, d’en faire un handicap au quotidien. Le fait de perdre pied avec la réalité au point de ne plus se voir comme on est réellement est une maladie, qui s’appelle dysmorphophobie. Elle prend différentes formes, elle a différentes origines, mais les personnes qui en souffrent ne peuvent se détacher au quotidien de ces considérations physiques terrifiantes. Peut-être que vous vous retrouverez dans les témoignages de personnes qui en sont atteintes, comme Marion, qui voit son nez difforme, ou Elisa, anorexique qui se voit énorme... 

Il existe pour y faire face des praticiens spécialisés, des psychiatres, des psychothérapeutes. À l’âge adulte, ce n’est pas un trouble qui se soigne tout seul. Il mène à un isolement social et au développement d’obsessions. Et c’est une souffrance qui ne fait que grandir.

Vous avez donné sa chance à un praticien qui ne vous a pas convenu. C’est tout à fait naturel car il est rare de tomber tout de suite sur la bonne personne. Je vous conseille de continuer vos recherches, de prendre le temps d’en rencontrer et d’oser exprimer votre malaise. Surtout continuez à vous exprimer, comme vous le faites aujourd’hui en m’écrivant ou en partageant vos angoisses avec votre conjoint, et si possible avec un professionnel: c’est la meilleure manière d’éviter l’enfermement et les dérives qui en découlent, et de diminuer votre souffrance à terme.

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