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Caitlyn Jenner et son armée

Comme vous le savez, Bruce Jenner est devenu une femme sous le prénom de Caitlyn. Un événement qui vaut surtout pour le déchaînement médiatique qui l'a entouré à la télé, dans les journaux ou sur Internet.

Caitlyn Jenner, anciennement Bruce Jenner, en 1985, aux côtés de la comédienne Pamela Sue Martin et Dick Butkus, footballeur américain | Bob Riha Jr/ REUTERS
Caitlyn Jenner, anciennement Bruce Jenner, en 1985, aux côtés de la comédienne Pamela Sue Martin et Dick Butkus, footballeur américain | Bob Riha Jr/ REUTERS

Temps de lecture: 4 minutes

Le changement de sexe de Bruce Jenner devenant une femme désormais connue sous le nom de Caitlyn Jenner a généré un nombre incalculable de commentaires et d’articles depuis la couverture de Vanity Fair, partagée sur son compte Twitter le 1er juin 2015. Vulture note ce succès médiatique mais assure que cette fois-ci cela n’a rien à voir avec un coup de communication classique: il ne s’agit pas de promouvoir ou vendre quoi que ce soit mais de «permettre à son sujet de retrouver la propriété de son histoire».

N’empêche que la trajectoire de Jenner, que l’article n’appelle que Caitlyn, comme s’il vous présentait un nouveau membre de votre famille, a suscité bien des convoitises et des tractations. Depuis des années, Caitlyn Jenner, portant alors le prénom de Bruce, était une des stars du show de téléréalité Keeping with the Kardashians, dont la vedette était assurée par sa belle-fille, Kim Kardashian. Une notoriété qui, visiblement, place Caitlyn Jenner à part dans l'univers du coming-out et du changement de sexe. 

Protégée par un entourage très professionnel, Jenner a pu jeter les bases de sa nouvelle vie comme de sa nouvelle carrière. Elle a aussi pu compter, ces derniers jours, sur de nombreux alliés de circonstances dont l'amour «jennerien» n'a d'égale qu'une extrême susceptibilité à l'égard des sceptiques.

Intéressant désintéressement

D'abord, il a fallu faire rouler les tambours dans les médias pour préparer le public au grand bouleversement à venir. Au moment de savoir qui orchestrerait l’interview servant à immortaliser les derniers instants de Jenner en tant qu’homme, la chaîne qui produit l’émission des Kardashian pensait récolter la tymbale. Mais non. Soucieux de souligner le désintéressement de leur client, les «nombreux conseillers de l’équipe Jenner», comme l’écrit encore Vulture, ont opté pour un entretien avec Diane Sawyer, présentatrice (et ancienne proche de Richard Nixon) de la plus sérieuse chaîne ABC.

Pour choisir la meilleure manière de présenter au monde Caitlyn Jenner, la même valse-hésitation s’est mise en place. Cette fois-ci, c’est le magazine Vanity Fair qui a été choisi, et son journaliste Buzz Bissinger, lauréat du prix Pulitzer, qui était, selon l’entourage de Jenner, le meilleur interlocuteur possible dans la mesure où il a, selon ses propres termes, «connu aussi des problèmes avec [son] genre».

Ne pas y voir une utilisation commerciale de l’opération de changement de sexe

Ce parcours médiatique s’est clos avec l’annonce, le 3 juin, par E! (qui diffuse la téléréalité mêlant Jenner et les Kardashian) de la création d’une émission autour de Caitlyn Jenner, intitulée: «I am Cait». Vulture, qui pense que l’héroïne touchera plus de 5 millions de dollars pour une saison, explique qu’il ne faut pas voir là une utilisation commerciale de l’opération de changement de sexe. La «preuve»: Caitlyn Jenner sera en plus productrice exécutive.

Fascination

Après la chirurgie et la couverture de Vanity Fair, la «Jennermania» a aussitôt gagné en puissance. L'heure est à la célébration. S’il restait encore des sceptiques quant à l’extraordinaire réussite du dévoilement de la nouvelle Caitlyn Jenner, un simple coup d’œil sur la Toile suffirait à les convaincre, comme le montre Brendan O'Neill sur The Spectator. En moins de quatre heures, le compte Twitter de Jenner a attiré plus de un million d’abonnés. Il en dispose aujourd’hui d’environ 2,5 millions. 

Et dans la presse, beaucoup sont à l’unisson. Dans les colonnes du Guardian, Paris Lees est subjuguée par la beauté de Caitlyn Jenner. Pour l'auteure, il n'est pas question d'épiphanie, ni même de renaissance, mais simplement de la reconnaissance d'un état de fait. Et la chose a la force de l'évidence, même si Jenner a d’abord connu la célébrité pour avoir remporté le décathlon aux Jeux olympiques dans la catégorie masculine. Paris Lees assène ainsi que Caitlyn Jenner «a toujours été une femme. Oui, même quand elle s’occupait de ses enfants en tant que père».

Bruce Jenner n'a jamais existé

Jarett Wieselman, de Buzzfeed, a lui aussi souhaité la bienvenue à Caitlyn Jenner ajoutant: «Nous t’attendions les bras ouverts.» Mais cette tendresse a pour corollaire la férocité à l'égard des personnes persistant à utiliser le prénom de «Bruce». Dans un autre tweet, Wieselman tombe ainsi à bras, cette fois-ci raccourcis, sur les «Brucistes». Et il n’est pas le seul car la question de la dénomination de Jenner est une affaire sensible. 

Un programme sur Twitter liste toutes les occurrences de pronoms masculins associés à Jenner et suggère aux fautifs de changer leur fusil d’épaule

Ainsi, le comédien Drake Bell a été foudroyé par la Twittosphère pour avoir persisté à évoquer «Bruce» avant de retirer son message, sans toutefois réussir à mettre fin à l’hallali. Pour que ce genre d’épisode désastreux soit évité à l'avenir, des internautes ont développé le robot @she_not_he sur Twitter, un programme qui liste toutes les occurrences de pronoms masculins associés à Jenner et suggère aux fautifs de changer leur fusil d’épaule. Malheureusement, le logiciel récupère aussi dans ses filets les infortunés redresseurs de torts francs-tireurs qui font également la police en matière de prénoms mais de leur côté.

Comme ces controverses pourraient faire mauvais genre, et parce que l’agence AP s’est fait épingler en parlant des débuts de «Bruce Jenner en femme transexuelle», l’organisation GLAAD, qui milite pour les droits des homosexuels, a délivré une feuille de route à la presse pour le traitement du cas Jenner. Le communiqué se termine ainsi:

«ÉVITEZ les pronoms masculins et le prénom précédent de Caitlyn, même quand vous évoquez des événements de son passé. Par exemple: “Avant son opération, Caitlyn Jenner a remporté la médaille d’or du décathlon masculin à Montréal en 1976.”»

Dans un mois, Caitlyn Jenner recevra le prix du courage Arthur Ashe aux ESPY, cérémonie qui distribue chaque année des prix à différentes personnalités sportives. Il n’est pas question de remettre en cause la sincérité de la démarche de Caitlyn Jenner, ni les difficultés rencontrées lorsqu’elle était un homme mal dans sa peau. Mais on ne pourra pas dire qu'elle évolue en terrain hostile. 

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