Économie

Le vélo, futur meilleur ami des livreurs urbains?

De plus en plus de Français laissent la voiture au garage et font leur course à bicyclette. Des entreprises les imitent et livrent des marchandises légères en zone urbaine. Moins cher, plus écolo… L'avenir du transport en hyper-centre passe-t-il par le triporteur, autrefois plébiscité par les commerçants?

Temps de lecture: 4 minutes

Il est 8 heures du matin en ce jour de semaine parisienne. Les franciliens se ruent au travail en voiture, en transports en commun ou à pied. Thomas Arnaudo, lui, gare son triporteur dans une rue centrale et file chez son client afin de récupérer ses costumes sales. Puis il reprend son trois-roues. Le co-fondateur de Soyez BCBG a deux jours pour laver les habits dans l'un de ses pressings partenaires, avant de les rendre propres –au petit matin ou un soir, afin que son propriétaire soit à son domicile.

Certes, Thomas Arnaudo utilise aussi le métro ou la marche à pied depuis le lancement de sa start-up. Mais il privilégie le vélo, car il représente un «moyen logistique facile», assure l'entrepreneur, qui se déplace également en Vélib «pour des questions de coût et de stockage». La bicyclette permet de se faufiler entre les files de bouchons aux heures de pointe et de se garer aisément. Et elle jouit d'une image positive:

«Quand le client aperçoit notre moyen de déplacement, il trouve cela intéressant.»

«Une problématique d'efficacité»

A l'instar de Soyez BCBG, dans le contexte de développement du e-commerce, de plus en plus d'entreprises sautent le pas et investissent dans l'achat de triporteurs ou de biporteurs. Y compris des artisans. Par exemple, à Paris, un plombier a choisi cette voie pour percer, tout comme une entreprise de chaudière –Saunier Duval, en l'occurrence–, qui a choisi des vélos pouvant transporter 70 kilos. À Nantes, une vingtaine d'entrepreneurs se déplaçant en deux ou trois-roues ont même décidé de se rassembler en collectif (Les Boîtes à vélos). D'autres ont créé une sorte de Uber des coursiers indépendants et urbains, Deliver.ee,  dont 40% des livraisons sont effectuées sur un guidon sans moteur.

Un plombier a décidé de se déplacer uniquement en vélo

 

Alors, tous écolos? C'est vrai que le vélo ne pollue pas, n'émet pas de CO2 dans l'atmosphère. Et sa présence permet de verdir l'image d'une société. Mais d'après Romain Libeau, le co-fondateur de la société, «c'est avant tout une problématique d'efficacité en zone très souvent congestionnée». Lui et ses compères font livrer, en particulier, les clients de la Fnac.com «plus rapidement qu'à l'accoutumée», dit-il. Ils peuvent aussi remplacer la Poste pour des petits colis «en seulement trois heures», ou chercher le linge sale en vélo pour l'apporter au pressing (avant de le rapporter propre… en camionnette thermique ou électrique). L'ambition, partagée par tous: livrer vos achats à domicile… à l'heure.

Avant, tous les commerces livraient en triporteur

«Des deux ou trois-roues, on en voit dans tous les domaines, car le transport en vélo de charges, lourdes ou pas, paraît de moins en moins incongru, confirme Frédéric Héran, maître de conférences en économie à l'université de Lille. Ce n'était pas le cas il y a dix ans.»

A l'époque, La Petite Reine, entreprise parisienne de livraison, née en 2001 et possédant une flotte d'une cinquantaine de «cargo-cycles» (terme que la société privilégie pour désigner des triporteurs à assistance électrique), était l'une des seules dans le secteur. Après les petites marchandises (jusqu'en 2009), la messagerie (lettres et colis entre 2009 et 2011), c'est désormais les sorties de courses de supermarchés parisiens partenaires et des plateaux-repas qu'elle livre. En «cargo-cycles» dans 80% des cas –pour le reste, La Petite Reine possède également des camionnettes électriques.

Le Solex et la Mobylette ont mis un terme au succès du vélo au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

 

Ce phénomène des livraisons «écolo» prend de l'ampleur, mais ne date pas d'hier, souligne Frédéric Héran, auteur de l'ouvrage Le retour de la bicyclette (La Découverte, 2014). «Dans les années 30, tous les petits commerces livraient avec des triporteurs. La voiture, onéreuse, était une affaire de riches…» Selon l'économiste, c'est «la démocratisation massive du cyclomoteur, comme le Solex ou la Mobylette», qui a mis un terme au succès du vélo après la Seconde Guerre mondiale.

Les Parisiens sortent le vélo

Or, après quelques décennies de disette, les Français ressortent leur bicyclette du garage. Et ils pédalent aussi pour faire des courses, chercher leurs colis à un point-relais. «En réalité, observe Frédéric Héran, les entreprises ne livrent, en ville, que la moitié du volume des marchandises transportées; l'autre moitié est effectuée par les Français eux-mêmes.» À pieds, mode de déplacement préféré des urbains, et, de plus en plus, à vélo, donc.

Il n'y a qu'à voir l'évolution de nos déplacements depuis trente ans, par exemple à Paris. L'Enquête globale transport (EGT) de 2010 montre qu'en 1976, 0,2% des déplacements journaliers s'effectuaient en deux-roues non-motorisé. Selon la même source, c'était 3% en 2010. «Cela doit représenter 4 ou 5% cinq ans plus tard», estime l'universitaire, selon lequel la part des déplacements en bicyclette va continuer de grimper. Pour plusieurs raisons. D'abord «pour des questions de santé publique», analyse-t-il. L'idée de «se bouger», de faire des activités physiques sera de plus en plus en vogue, car cela permet de «prévenir et même de guérir de nombreuses maladies chroniques».

Les livraisons à vélo vont se développer

Ensuite, un deux-roues non-motorisé sera «toujours moins cher qu'une camionnette». On peut se procurer un biporteur ou un triporteur à partir de 1.200-2.000 euros, et cela permet de réduire ses coûts liés à l'achat de carburant.

En tous les cas, «les livraisons de marchandises, avec ce mode de transport, ne peuvent qu'augmenter, assure l'économiste, car on commence à peine à explorer cette solution». En effet, même si on distingue de plus en plus de triporteurs sur les routes des centre-ville, l'immense majorité des marchandises sont transportées en véhicules motorisés. Et ce alors que 42% des marchandises déplacées sont légères, selon l'association Départements et régions cyclables.

On peut imaginer que 30% des livraisons soient effectuées en deux ou trois-roues non motorisés

Romain Libeau, du service Deliver.ee

D'après la fédération européenne de livreurs cyclistes Cyclelogistics, les vélos pourraient d'ores et déjà accomplir la moitié des livraisons urbaines de marchandises légères actuellement effectuées par des véhicules, car «il s'agit souvent de petits trajets réalisés par les entreprises ou par les ménages», explique Frédéric Héran.

«Ce ne sera jamais 100% sur un secteur, mais on peut imaginer que 30% des livraisons soient effectuées, ici ou là, en deux ou trois-roues non-motorisés», pronostique Romain Libeau de Deliver.ee.

Restrictions automobiles

De nouvelles entreprises voudront-elles passer à l'acte parce qu'il y aura davantage de pistes cyclables –une des mesures phares du plan Vélo de la Ville de Paris? «C'est une mesure importante, mais pas indispensable pour que les entreprises sautent le pas», note Frédéric Héran. Pour lui, ce sont avant tout des restrictions de la circulation automobile qui favorisent la hausse du nombre de déplacements en bicyclette. «Si Paris décidait demain de créer une "zone à trafic limité" (ZTL), comme il en existe de très nombreuses en Italie, assure-t-il, on verrait après-demain une horde de livreurs en vélo.»

À Nantes, la bicyclette a largement profité de l'instauration, en septembre 2012, de la première ZTL de France, dans l'hyper-centre. Même si les livreurs en camionnette peuvent obtenir une autorisation de passage, quatre fois plus de cyclistes ont été observés un an plus tard.

Selon Thomas Arnaudo, de Soyez BCBG, il conviendrait également, à Paris, de rénover certaines voies «difficiles en raison de la présence de trous, surtout au niveau des quais ou sur la bande jouxtant les caniveaux», détaille-t-il, avant d'évoquer «les aides à l'achat» de vélo à assistance électrique qu'offrent certaines villes.

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