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Au cas où vous ne le sauriez pas, Columbo était (en partie) hongrois

L'interprète du célèbre limier cathodique Peter Falk appartient au club surchargé des vedettes aux racines magyares.

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Peter Falk en inspecteur Columbo | Yury Ostromentsky via Flickr CC License by

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Il ne devait même pas jouer le rôle qui l’a rendu immortel. En 1968, Peter Falk enfile la gabardine du lieutenant Franck Columbo au nez et à la barbe du crooner Bing Crosby pour un téléfilm. Opportunité décisive. Le pilote devient série policière à succès (1971-78; 1989-2003) puis trésor audiovisuel. Soixante-neuf épisodes au cours desquels le public suit un flic distrait et mal fagoté en Peugeot 403. Un détective à l’épouse fantôme et au basset sans blaze, traquant les assassins à vitesse de limaçon.

Il l’ignore de là-haut, mais Peter «Columbo» Falk, disparu en 2011, a sa propre statue à Budapest. Un bronze sculpté par Géza Fekete et dévoilé en mars 2014 sous la houlette d’Antal Rogán, maire du 5e arrondissement à l’époque, patron de la majorité Fidesz au Parlement et proche de Viktor Orbán. Cigare à la main et imperméable froissé, le limier cathodique domine un toutou baptisé Fruzsi. Le monument d’1,83 mètre (taille réelle) trône au bout de la rue Miksa-Falk, à un souffle du Danube.

Et au pied du domicile de son concepteur, plutôt ravi:

«La municipalité du 5e a diffusé un appel d’offre public en 2012 dans son journal après avoir appris que Miksa et Peter Falk étaient peut-être unis par le sang. Nous étions vingt créateurs en compétition et j’ai été choisi. Le projet s’est étendu sur quatre mois en 2013. La moitié pour façonner le gypse (pierre à plâtre), l’autre pour mouler le bronze. J’aperçois mon œuvre tous les matins. J’éprouve un sentiment de fierté extraordinaire.»

Géza Fekete a un demi-siècle de métier derrière lui. Peter Falk était le deuxième acteur à passer entre ses mimines chevronnées après le regretté Imre Sinkovits (1928-2001), icône magyare des planches. Ajoutons à cet illustre tableau un buste du boxeur László Papp, triple médaillé d’or aux JO, et celui du prince Ferenc Rákoczi II, leader de la guerre d’indépendance contre l’Autriche des Habsbourg (1703-1711). En ce qui concerne Columbo, sa représentation in situ se rattache effectivement à son pedigree.

Héros des soirées TV communistes… et orbánistes

Car, selon la légende urbaine, l’intellectuel Maximilian (ou Miksa) Falk (1828-1908) serait l’arrière-grand-père du comédien-policier. Un aïeul touche-à-tout. Journaliste (rédacteur en chef du quotidien germanophone Pester Lloyd), politicien (ponte du Parti Libéral créé par le «sage de la Nation» Ferenc Deák), membre de l’Académie des Sciences et chevalier de l’Ordre de Saint-Étienne (premier roi de Hongrie en l’an mil). L’artiste himself assure dans ses mémoires appartenir à une famille juive d’Europe centrale.

Son arbre généalogique le confirme. Papa Michael était le fils de Louis, immigré russe débarqué à New York à la fin du XIXe  siècle. Il tenait un magasin de fringues dans le Bronx, où le chouchou et ami intime du cinéaste John Cassavetes (Husbands, Opening Night…) a vu le jour le 16 septembre 1927. Maman Madelyn, aînée de trois filles, est issue de l’union entre Péter Hochauser, né en Hongrie vers 1874, et de Rosa Heller, conçue sur le sol tchèque (1877). La parenté Miksa Falk-Columbo? Confuse.

«J’ai travaillé pendant un an sur les racines magyares de Peter Falk et j’ai seulement pu établir une correspondance avérée du côté maternel. J’ignore d’où viennent les liens supposés avec Miksa Falk. J’ai vérifié les registres de chaque ancêtre et je n’ai trouvé aucune preuve tangible d’hérédité à quelque niveau que ce soit», atteste Gabriela Csiffáry, des archives municipales de Budapest (BFL). La fable en prend un coup. Mais pas la renommée du personnage, adulé par la population locale.

J’ai travaillé pendant un an sur les racines magyares de Peter Falk et j’ai seulement pu établir une correspondance avérée du côté maternel

Gabriela Csiffáry, des archives municipales de Budapest

Dans les années 1980, au moment où le régime de János Kadar et son «socialisme du goulash» s’essoufflent, Columbo et sa dégaine se pointent sur les écrans de la télévision d’État (MTV). Comme dans la Pologne du général Jaruzelski ébranlée par Solidarnosc, le Parti tente de sauver les meubles en octroyant quelques fragments de culture occidentale aux travailleurs. Une pincée de Kojak, une lichette de Drôles de Dames. La Hongrie sera d’ailleurs le premier pays-frère à découvrir le câble.

Trente ans plus tard, le lieutenant noircit inlassablement les grilles de programmes. Certaines trames sont recyclées jusqu’à quatre fois en une semaine. La chaîne privée Galaxy bloque la bagatelle de dix créneaux (du lundi au vendredi, à 9h35 et 16h40). Film+ et RTL+, huit à elles deux (du mardi au vendredi, 9h et 23h). Story 4 en remet une couche le week-end (le samedi et le dimanche à 17h25). Et Duna Televízió lui dédie les vendredis en prime-time (20h40). Impossible d’échapper à Mister Falk.

Une «gouttelette» de sang magyar

Petit-fils de Hongrois, donc, il appartient au club déjà surchargé des vedettes aux racines magyares. Parmi elles: le magicien Houdini (né à Budapest), Robert Capa (alias Endre Ernő Friedmann), Tony Curtis (parents), Paul Simon (parents aussi), Alanis Morissette (sa mère), Mark Knopfler (son père), Monica Seles (née en Serbie de parents hongrois) et Drew Barrymore (du côté de sa mère). Curtis, star de Certains l’aiment chaud, incarna les VRP de prestige pour Budapest dans une pub mémorable.

 

La liste, longue comme le bras, inclut également le styliste Calvin Klein (parents), l’acteur Joaquin Phoenix (côté maman), son «collègue» Adrien Brody (idem) et Flea, bassiste des Red Hot Chili Peppers. Des grands noms que la petite Hongrie cite à l’envi histoire de bomber le torse. Elle qui a enfanté le prix Pulitzer (1917), le stylo bille (1931), la vitamine C (1937) et le Rubik’s Cube (1974). Elle qui a été amputée des deux-tiers de son territoire suite à la signature du traité de Trianon (1920).

«Peter Falk est l’un des nombreux archétypes du “Mindenki Magyar” (Tout le monde est hongrois, ndlr). La gouttelette de sang maison dans ses gènes a suffi à légitimer la construction de cette statue. Les Hongrois adorent l’idée qu’une personnalité aussi célèbre que l’interprète de Columbo soit des leurs. Les gens le voient dans cette rue et font l’association. Sa véritable descendance, au fond, importe peu», détaille Ivan Alleaume, guide touristique installé sur les bords du Danube depuis 2002.

2 milliards de téléspectateurs

Les Hongrois adorent l’idée qu’une personnalité aussi célèbre que l’interprète de Columbo soit des leurs

Ivan Alleaume, guide touristique

Exact. Budapest a l’hommage facile. Elvis Presley soutenait le soulèvement de 1956 contre l’URSS? Un square du 2e arrondissement, côté Buda, porte désormais le nom mythique du King. Ronald Reagan appelait Gorbatchev à détruire le mur de Berlin? On érige un bronze du 40e président des États-Unis (1980-1988) sur la place de la Liberté, non loin du Parlement, où figurent notamment un mémorial de l’Holocauste contesté ainsi qu’une stèle rendant grâce aux «libérateurs» soviétiques.

L’habit d’enquêteur collait si bien à Peter Falk qu’on en zapperait presque le reste de son parcours. Des débuts au théâtre (1956) dans la peau du Sganarelle de Dom Juan. Cinquante-neuf prestations au cinéma dont une collaboration avec Frank Capra pour laquelle il sera nominé aux Oscars (Milliardaire pour un jour, 1961) et deux Wim Wenders (Les Ailes du désir, Si loin, si proche). Une ribambelle de piges dans des séries hors-Columbo, dont Les Incorruptibles et La Quatrième dimension. Plus 18 téléfilms.

Lorsqu’il apprit que deux milliards d’humains avaient visionné au moins une de ses aventures dans le monde, le Magyaro-tchéco-américain eut le triomphe modeste. «Dieu ne destine aucun homme à être connu par deux milliards de ses semblables», lâche-t-il dans son autobiographie. Sur le Walk of Fame de Hollywood, son étoile, la 503e, le rapproche de Charlot et de Marilyn. Faute de boulevard aux astres, la Hongrie a glorifié à sa façon l’un des siens, y compris de loin. C’est l’intention qui compte.

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