Culture

elles@centrepompidou est faussement féministe

A propos de l'exposition au centre Georges Pompidou.

Temps de lecture: 3 minutes

En cet été 2009, le Musée national d'art moderne a choisi de mettre en œuvre une «politique innovante» permettant, selon la brochure présentant l'exposition elles@centrepompidou, de renouveler la présentation de «ses» collections. L'usage du possessif par un musée national devient d'autant plus intéressant lorsque le visiteur comprend qu'il s'agit de consacrer «plus de 8000 m2» de ses espaces (au prix où ça coûte, rendez-vous compte!) «de présentation des collections aux femmes».

De quelles femmes s'agit-il donc? Pas un nom de femmes artistes ne figure en couverture de cette brochure qui propose timidement «l'hypothèse d'une histoire de l'art portée par les artistes femmes». En réalité, il s'agit de femmes écrivains, d'historiennes, plasticiennes, peintres, vidéastes, d'une grande variété de formes d'expression artistique regroupées ici sous le vocable «art contemporain». Le Centre Pompidou justifie son innovation par cette audacieuse «question des femmes dans l'art» sans toutefois oser parler de «gender» et d'histoire de l'art, idée d'autant moins saugrenue que cette question se développe en France depuis la seconde guerre mondiale.

L'histoire des femmes est liée à l'histoire tout court. Le discours sur le «genre» n'est donc pas nouveau et les Gender studies ont abondamment traité d'art. Mais la citation de l'historienne Michèle Perrot expliquant qu'il est important de placer le concept de genre au cœur de l'histoire (ce sont bien des femmes et des hommes qui font l'histoire), n'aura pas été retenue. En revanche, Une chambre à soi de Virginia Wolf arrive en premier lieu, comme métaphore de l'exposition toute entière, comme s'il s'agissait de dire un espace d'exposition à elles. C'est-à-dire détourner le sens de ce que Virginia Wolf développe dans son œuvre, à savoir qu'il est particulièrement difficile de s'isoler pour écrire —et créer au sens large— quand on est une femme mariée. Marguerite Duras le rappelle plus loin dans l'exposition: «l'idée qu'une femme écrive est insupportable pour un homme».

Il est vrai qu'il est particulièrement difficile aux artistes de pénétrer le lieu sacro saint de l'art moderne (un Musée, les femmes sont des muses). Pour être juste, il faut cependant rappeler la très belle exposition organisée il y a quelques années sur les Amazones, ces formidables artistes russes du tout début du XXe siècle. Cette exposition aurait dû éviter aux rédacteurs de la brochure d'écrire dans la partie présentant «le mot à l'œuvre», que les femmes ont été «longtemps exclues du discours sur l'art». Faut-il rappeler qu'au XVIIIe siècle les femmes faisaient état de leur appréciation de l'art dans les salons littéraires qu'elles organisaient?

User de ce lieu commun ne rend pas justice aux artistes présentées dans l'exposition, car il détourne le combat mené par certaines d'entre elles: avoir le droit à la vie d'artiste sans être jugées, être reconnues au titre de leur art. A trop vouloir être «moderne», on en vient à oublier l'art et l'histoire, réduisant l'expression artistique des femmes à une forme de distanciation de l'espace domestique ou encore à un discours sociologique. La présentation de l'exposition prévient le lecteur: le point de vue adopté n'est «ni féminin, ni féministe». Alors nous demandons-nous, pourquoi cette exposition et pourquoi l'accompagner de textes de grandes féministes? D'où vient cette contorsion de l'esprit? De quelle modernité s'agit-il que celle d'un musée qui n'ose affirmer une exposition féministe?

Le conseil d'administration du Centre Pompidou n'est-il donc pas acquis à la cause des femmes (y a t il seulement des femmes en son sein ?) L'étonnement est feint bien sûr mais on attendrait d'un musée comme celui-là qu'il soit plus en phase avec la société du XXIe siècle et les sciences humaines et sociales que font les femmes et les hommes. Car il s'agit bien aussi d'une histoire des femmes que les artistes exposées nous donnent à voir.

Cela tient peut être au fait que l'idée des femmes et de l'Internet —le titre elles@centrepompidou suggère un rapprochement avec un magazine pour femmes sur la toile— a été jugé vendeuse tandis que la thématique a été mal définie. Il ne s'agit effectivement ni d'une exposition sur la place des femmes dans l'art au XXe siècle, et encore moins d'une exposition sur le Genre et l'art moderne, qui aurait été tout à fait bienvenue, au demeurant. Il s'agit plutôt d'aérer les collections, de ressortir quelques artistes «oubliées». Il n'y a pas d'information sur la nature temporaire ou permanente de l'exposition.

En tout cas on ne peut pas dire que les thématiques choisies soient innovantes. Les catégories «pionnières», «corps slogan», «eccentric abstraction», «une chambre à soi» ne font pas plus écho à la théorie queer qu'aux différents courants du féminisme apparus dans les années 80 et 90. En somme si cette exposition donne à voir de formidables artistes, sa justification relève du malentendu qu'il y a à vouloir mettre sans la nommer, la sexualité au Musée.

Gabrielle Costa de Beauregard

Image de une: Suzanne Valadon, La Chambre bleue, 1923, Collection Centre Pompidou, Musée national d’art moderne (diffusion RMN, photo: Jacqueline Hyde) /dossier de presse

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