Culture

Films français: rendez-vous dans un désert très habité

«Love» de Gaspard Noé, «Dheepan» de Jacques Audiard, «Valley of Love» de Guillaume Nicloux.

Extrait du film «Dheepan», de Jacques Audiard. Via <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-232070/photos/">Allociné</a>.
Extrait du film «Dheepan», de Jacques Audiard. Via Allociné.

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Suite et fin du passage en revue de la décidément excessive présence française dans ce festival – passage en revue incomplet, puisqu’il aura été impossible de voir tous les titres concernés. Pour la sélection officielle, manquent ainsi Asphalte de Samuel Benchetrit, Amnesia de Barbet Schroeder, La Glace et le ciel de Luc Jacquet, Je suis un soldat de Laurent Larivière, Maryland d’Alice Winocour, Une histoire de fou de Robert Guédiguian, sans oublier Fatima de Philippe Faucon et Les Cowboys de Thomas Bidegain à la Quinzaine,  Les Anarchistes d’Elie Wajeman et La Vie en grand de Mathieu Vadepied à la Semaine de la critique. Et ce après les 8 autres titres déjà critiqués au cours des précédents jours.

Glissons rapidement sur Love (Séance spéciale), film pseudo-scandaleux de Gaspard Noé qui se caractérise par une indigence totale. Autour d’un personnage masculin aussi antipathique que dépourvu d’intérêt gravitent quelques protagonistes qui consacrent une part significative de leur temps à de fougueux ébats amoureux. Grand bien leur en fasse, mais cela ne présente aucun intérêt pour le spectateur, même si tous ces jeunes gens sont d’apparence agréable et en parfaite possession de leurs moyens physiques. Le reste du temps est consacré, à peu près selon la règle des trois tiers, en absorption de drogues diverses et en hurlements répétant l’amour du garçon pour une des filles, ou en voix off du même réitérant ad nauseam la même affirmation sur le mode geignard, sentiment dont on peut confesser n’avoir rien à faire. L’usage de la 3D n’apporte strictement rien, même au cours des scènes où le relief des organes érectiles, voire l’émission des liqueurs attenantes, pourraient supposer une forme d’utilité au procédé. Un précédent film du réalisateur s’appelait «le vide», c’était plus clair.

En compétition, retrouvailles avec un habitué de Cannes, Jacques Audiard. Il semble d’abord que Dheepan vienne grossir la cohorte des films français consacrés à des drames contemporains, après La Tête haute et La Loi du marché. Mais la situation se révèle bientôt différente: accompagnant le parcours de réfugiés tamouls fuyant la terrifiante répression qui a suivi la défaite des Tigres de l’Eelam au terme de la guerre civile atroce qui a ravagé le Sri Lanka, le film suit le parcours d’une «famille» fabriquée de toutes pièces par les circonstances, un homme, une femme et une petite fille que les circonstances contraignent à se prétendre le père, la mère et la fille alors qu’aucun lien du sang ne les lie. Arrivés en France, ils sont installés dans une cité peuplée presqu’uniquement d’immigrés de toutes origines, où règnent des gangs violents et le trafic omniprésent de la drogue. Dheepan, le «père», y officie comme gardien d’immeuble, sa «femme» s’occupe d’un handicapé, leur «fille» va à l’école. Dheepan semble suivre un temps un chemin intéressant, celui de la reconstruction d’une famille dans un milieu hostile, mais pas forcément sans issue, reconstruction qui passe par un tissage complexes de liens réels et de croyance voulue, ou acceptée, par chacun. 

Cette croyance volontariste s’accompagne de cette autre idée intéressante, celle de l’illusion d’une distance avec l’état du monde réel, matérialisée par la fenêtre à travers Dheepan et les siens observent les agissements des racailles, puis par sa tentative de tracer une illusoire ligne de démarcation. Mais cela ne suffit pas au réalisateur, qui éprouve le besoin d’un surcroit de dramatisation, aussi forcée et complaisante semblera celle-ci. C’est une chose d’affirmer que c’est la guerre ici comme là-bas, affirmation d’ailleurs pour le moins simplificatrice. C’est est une autre d’en profiter pour basculer dans une sorte de règlement de compte à banlieue Corral, pour le plaisir d’aller nous aussi (nous le personnage et les spectateurs) faire pan pan pan avec des armes à feu omnipotentes. Vient le moment où le film donne l’impression d’avoir moins cherché à comprendre et raconter que d’avoir fait son marché dans les malheurs du monde, emplissant sans mesure son caddie de violences exotiques et d’affrontements locaux, en raison des bénéfices spectaculaires qu’il sera loisible d’en tirer. Ce que ne manquera pas de faire un réalisateur aussi efficace que le signataire de De battre mon cœur s’est arrêté et d’Un prophète.

En compétition également, voici enfin que s’avance l’étonnant Valley of Love de Guillaume Nicloux, qui réunit un étrange quatuor. Soit, par ordre d’apparition à l’image, Isabelle Huppert plus fluette et nerveuse que jamais, Gérard Depardieu, énorme masse de chair, le désert californien, et la mort. Présences à la fois humaines, et tout à fait charnelles dans le contraste extrême de leur physique, et graphiques, quasiment abstraites, les deux acteurs sans doute les plus représentatifs du cinéma français des 30 dernières années interprètent Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Convoqués par des lettres écrites par un fils de fiction juste avant son suicide, ils s’engagent dans les lieux eux aussi abstraits de la Death Valley dans une étrange opération de chamanisme, fabriquant comme ils peuvent une croyance dans la possibilité d’une réapparition du défunt, qui est aussi bricolage de retrouvailles de parents désunis depuis très longtemps. 

La masse imposante de Depardieu comme la tension nerveuse d’Huppert s’inscrivent dans ce double environnement,  un lieu vide et torride, et un espoir irrationnel. Ils sont très beaux, Isabelle H. en extrême tension et Gérard D., toute bedaine dehors, toute poutinerie bue. Oui, beaux, vraiment. Quand bien même le scénario peine un peu ensuite à broder sur cette situation instaurée, recourant à des artifices de film fantastique pas toujours convaincants, la puissance d’incarnation de ces deux acteurs d’exception confrontée à l’abstraction du lieu et au mystère de l’instant font de Valley of Love un objet intrigant, d’autant plus attachant qu’inattendu. Une invocation, en effet, et d’autant plus pertinente que la question de savoir de quoi elle est l’invocation demeure en suspens.

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