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Les chrétiens restent profondement divisés sur le mariage gay

Pour la première fois en France, une Eglise protestante ouvre la voie à la bénédiction religieuse du mariage homosexuel, mais les partisans du «mariage pour tous» auraient tort de se réjouir trop vite.

Lors du premier mariage homosexuel en France, à Montpellier, le 29 mai 2013. REUTERS/Jerard Julien/Pool.
Lors du premier mariage homosexuel en France, à Montpellier, le 29 mai 2013. REUTERS/Jerard Julien/Pool.

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L’Eglise protestante unie (EPUdF), qui réunit depuis 2012 les deux grandes branches historiques –luthérienne et réformée– du protestantisme français, a adopté, dimanche 17 mai à Sète, la «possibilité» d’une bénédiction liturgique dans ses temples de couples mariés de même sexe «voulant placer leur alliance devant Dieu». Soit un geste de pure tolérance, manifestant le pragmatisme et le libéralisme traditionnel des «réformés» en matière de mœurs et d’éthique, bien loin de la tradition catholique et évangélique, beaucoup plus conservatrice et rigide. Après tout, disent-ils, si toutes les Eglises ont milité, avec plus ou moins de conviction, contre la loi Taubira, le mariage gay existe bien. Il faut faire avec. Une foi chrétienne bien comprise ne peut mettre à la porte des lieux de culte les couples homosexuels qui désirent y entrer.

Mais malgré ce geste généreux, comment ignorer qu’il aura fallu, même dans cette partie la plus progressiste du protestantisme français, des années de débat pour en arriver là! Et encore, les pasteurs (et pasteures) luthériens et réformés ne pourront bénir les couples gays mariés civilement qu’avec l’assentiment du «conseil presbytéral» de leur paroisse. Puis des «équipes de coordination» devront les conseiller sur le meilleur accompagnement et la préparation de ces bénédictions liturgiques. Si certains de ces pasteurs, plus rétifs à leur hiérarchie, bénissaient déjà de manière sauvage des couples gays, d’autres ont fait savoir qu’ils n’accepteront jamais d’appliquer cette nouvelle disposition adoptée dimanche à une assez forte majorité. Et le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a déjà condamné cette «décision consternante» de leurs «frères» protestants.

On avance donc sur ce sujet tabou de l’homosexualité, mais avec combien de prudences! Et comment pourrait-il en être autrement quand on sait que l’homosexualité sépare non seulement les protestants, de tempérament plus libéral, et les catholiques, mais divise la famille protestante elle-même. Les protestants évangéliques et pentecôtistes, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, en Asie, dans les pays d’Europe du Nord et même en France, où ils sont désormais majoritaires (sur un total de 700.000 protestants), restent foncièrement hostiles à l’homosexualité. Pour ces fondamentalistes chrétiens, qui se veulent le plus proches de la lettre de l’Evangile, l’homosexualité est un interdit biblique et un péché grave.

Des divisions qui remontent aux grands schismes

Mais ce sont toutes les grandes Eglises protestantes à travers le monde –anglicane, luthérienne, méthodiste, presbytérienne, réformée– qui sont ici divisées. Elles sont traversées par des polarisations idéologiques très fortes entre ceux qui plaident l’exclusion des homosexuels et ceux qui militent pour leur intégration totale dans les communautés. Ces Eglises libérales tolèrent une grande pluralité de doctrines et de pratiques et leurs points de friction concernent non seulement les bénédictions d’unions de même sexe, mais aussi l’accueil des gays dans les paroisses et leur accès aux fonctions de pasteur et d’évêque.

Depuis des années, par exemple, le schisme au sein de l’Eglise anglicane (80 millions de fidèles dans le monde) est consommé entre, d’un côté, les «provinces» anglo-américaines, acquises depuis longtemps aux unions homosexuelles, aux bénédictions, parfois même à l’accès de gays et de lesbiennes aux «grades» de pasteurs (et d’évêques!) et, de l’autre côté, les pays anglicans d’Afrique noire ou d’Asie, beaucoup plus préoccupés par la polygamie que par l’homosexualité, qu’ils considèrent comme contre nature. Ainsi, ces Eglises anglicanes du Sud ont-elles rompu tout lien avec leur «Eglise-sœur» des Etats-Unis (dite «épiscopalienne») qui a osé ordonner, en 2003, un évêque ouvertement homosexuel et avec un diocèse anglican du Canada qui procéde depuis longtemps à des bénédictions liturgiques de couples de même sexe.

Et que dire du fossé qui demeure, sur l’homosexualité, avec l’Eglise catholique romaine? La décision prise en France par les protestants (en partie) d’autoriser la bénédiction de couples de gays et de lesbiennes ne va certainement pas contribuer au progrès des relations œcuméniques au sein d’un christianisme toujours fracturé. Ce qui reste un objet de scandale aux yeux de croyants qui se désolent de ces déchirures internes sur ces sujets de morale, alors que la foi chrétienne ne cesse de rétrécir, que les communautés s’épuisent ou disparaissent, que les minorités chrétiennes, au Proche-Orient, en Afrique, en Inde, sont persécutées, menacées dans leur existence même. Comment justifier, en 2015, des divisions doctrinales qui remontent aux grands schismes du XIe siècle (rupture entre chrétiens d’Occident et chrétiens d’Orient «orthodoxes») et du XVIe siècle (rupture, chez les chrétiens d’Occident, entre les catholiques romains et les protestants)?

Quand le pape François devient muet

Le pape François a bien prononcé des paroles d’ouverture très fortes et remarquées envers les personnes homosexuelles (notamment le «Qui suis-je pour les juger?» de juillet 2013). De même, la doctrine catholique fait toujours le «distinguo» entre «l’homosexualité», qu’elle condamne fermement, et les «personnes homosexuelles», qu’elle respecte et demande d’accueillir dans les communautés. La question de l’accueil, dans les lieux de culte catholiques, des gays et des couples de même sexe est donc posée et entraîne de nombreuses réflexions et initiatives.

Mais le sujet de la bénédiction religieuse des couples homosexuels mariés –désormais tolérée par la fraction la plus ouverte du protestantisme– n’est pas du tout à l’ordre du jour dans l’Eglise catholique, pour laquelle le mariage est, d’abord et avant tout, un «sacrement», soit un «signe de Dieu», et non un simple geste humain, seulement transmis par le prêtre en charge du sacré (rien à voir avec le «pasteur» protestant, qui remplit une fonction). Si la question de l’accueil des pratiquants homosexuels touche donc, à l’occasion, quelques communautés catholiques à la base, elle est évidemment rejetée par la haute hiérarchie. Jusqu’à Rome, où de plus en plus d’observateurs notent que, depuis la fin du synode des évêques sur la famille en octobre 2014, qui avait révélé de profondes tensions sur les divorcés-remariés et précisément sur la place des homosexuels, le pape François est devenu terriblement muet sur ces sujets!

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