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Fabriquer des produits en open source, une révolution prometteuse

L'open source permet aussi de développer des produits physiques. Mais le matériel libre doit relever encore quelques défis avant de vraiment se démocratiser.

<a href="https://www.flickr.com/photos/martinluff/8520570148/in/photolist-ekMDKK-dYW9S1-dYY1Mu-dYQrB6-dYQsdV-dYW9DS-cd9bho-cd9beU-ecAF5x-egU5H3-egNWsS-egNXLC-egHcz6-egHav2-pbmN5P-egNj7V">Plan de la WikiHouse</a> | Martin Luff via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/%22">License by</a>
Plan de la WikiHouse | Martin Luff via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

Des plans à télécharger gratuitement sur Internet, une fraiseuse à commande numérique pour découper les différentes pièces et un lieu de fabrication pour les assembler. Voilà le principe de la maison WikiHouse, l'un des produits emblématiques du matériel libre («l'open source hardware»), mouvement qui regroupe tous les produits physiques développés selon les principes de l'open source[1] –c'est-à-dire dont les savoirs sont partagés sous licence libre. Lancé en 2011 par, entre autres, Alastair Parvin et Nick Ierodiaconou, architectes au studio d'architecture collaboratif 00 basé à Londres, la WikiHouse n'est pas qu'une technologie en kit bon marché –68.000 euros pour une maison de 68 mètres carrés, soit la moitié du prix standard, hors coûts d'isolation, de revêtement, etc.

C'est avant tout une philosophie de partage et de mutualisation des savoirs de l'humanité. «Au lieu d'envoyer un gâteau, on envoie la recette. Les gens peuvent ainsi la partager, la modifier, la développer, l'améliorer, selon leurs besoins», affirme Justyna Swat, responsable du «chapitre» France pour la fondation WikiHouse, qui compte 17 «chapitres» locaux dans le monde. Et le Wikipédia des objets actuellement développé par la fondation en est la preuve. Plate-forme de solutions open source pour un habitat intelligent, ce projet permettra à la communauté WikiHouse d'échanger des connaissances, de poser des questions, de proposer des idées, des expertises... Autrement dit, de stimuler la réflexion et les innovations à travers le monde, en y incluant des spécialistes mais aussi des non-spécialistes de tous genres (designers, inventeurs, bricoleurs, entrepreneurs, simples curieux...).

Copycats

Et c'est bien cela l'une des forces de l'open source. Joana Pacheco, fondatrice de Paperhouses.co –un site proposant des plans de maisons ultra design en libre accès–, en est convaincue:

«On n'a pas besoin d'être riche, dans un endroit en particulier, pour participer. La création et la prise de décisions ne sont pas dans les mains d'une seule personne. En ce sens, c'est quelque chose de très démocratique.»

D'autant plus que «la frontière entre consommateur et producteur est floutée. Entre le DIY, ou marché d'une personne, et la production de masse, émergent une longue traîne de marchés de niche: les meubles OpenDesk ou les voitures OSVehicle se distribuent à quelques dizaines ou centaines d'exemplaires. À chaque fois, l'utilisateur peut reprendre les sources et créer un projet dérivé», souligne Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare, collectif international, think-tank et do-tank dédié à l'économie collaborative, à l'origine du OuiShare Fest, qui se déroulera à Paris du 20 au 22 mai prochain.

Au lieu d'envoyer un gâteau, on envoie la recette. Les gens peuvent ainsi la partager, la modifier, la développer, l'améliorer, selon leurs besoins

Justyna Swat, responsable du «chapitre» France pour la fondation WikiHouse

Mieux encore, d'après Bernard Stiegler, philosophe et théoricien de l’évolution des systèmes techniques, ouvrir la recherche permettrait d'être davantage en phase avec les besoins du moment. «Le rythme s’est tellement accéléré, le niveau de complexité s’est tellement accentué qu’il faut qu’on coopère pour mieux le comprendre et l’analyser. Ouvrir la recherche à d’autres que ceux qui la produisent aujourd’hui permettra de rattraper notre retard sur les événements, d’être plus en prise avec ce qui se passe», avance-t-il dans Open Models. Les business models de l'économie ouverte.

Également interviewé dans cet ouvrage collectif de référence sur les business modèles de l'économie ouverte, Cesar Harada, qui développe depuis 2010 Protei, un drone marin open source capable de nettoyer les mers, remarque que le fait de pouvoir être copié renforce le niveau d'exigence et d'exemplarité de ceux qui produisent les technologies. «Nous devons être meilleurs et plus rapides que ceux qui pourraient nous copier. C’est ce qui se passe avec Arduino: il y a de nombreux copycats et on constate que, plus ils se multiplient, plus l’original se développe et devient fiable», indique l'ingénieur franco-japonais.

Démocratisation

Et les chiffres de fréquentation du site Arduino.cc parlent d'eux-mêmes. «18 millions de personnes se sont connectées sur Arduino.cc l’an dernier, avec un temps moyen de visite de 6 minutes», confie au site Makery Massimo Banzi, l'un des fondateurs de la société-phare dont la fameuse carte programmable s'est vendue à plus de 1,2 million d'exemplaires en dix ans. Est-ce là un signe révélateur de la démocratisation de l'open source hardware? «Ça commence à venir depuis un an», estime Benjamin Tincq, coordinateur du chapitre «Manufacturing» dans l'ouvrage Open Models. Avec tous ces atouts, son avenir semble aussi prometteur que celui de son aîné, le logiciel libre, qui, en trois décennies, a conquis le secteur informatique (pour ne citer qu'un exemple, Apache HTTP Server est aujourd'hui le serveur le plus populaire de la toile). Reste néanmoins quelques défis à relever avant cela...

Tout d'abord, parce que l'utilisation des technologies numériques n'est pas encore un réflexe pour tout le monde. «J'ai rencontré lors d'un Open Bidouille Camp à Brest un maker qui avait fabriqué dans son garage un robot démineur, pour son usage personnel... Le projet était intéressant, mais il ne semblait pas à l'aise avec le numérique. Le partage ne l'attirait pas du tout», raconte Benjamin Tincq. Ensuite, parce que les produits open source n'ont pas encore trouvé leurs utilisateurs. «Les produits open source disponibles aujourd’hui ne sont pas encore très attractifs. Ils ne sont pas connectés aux usages de ceux qui voudraient les avoir chez eux. En comparaison, les marques classiques savent très bien comment travailler sur la désidérabilité de leurs produits», estime le designer Asselin Jouanneau, initiateur d'OpenLifeLab, un projet d'habitat composé d'équipements 100% open source.

Toyota a placé les brevets de sa voiture hydrogène en open source

Mais, selon Benjamin Tincq, le plus gros enjeu du moment demeure les modèles économiques de l'open source hardware qui ne sont pas encore totalement «stabilisés, même s'il existe bien sûr des modèles pérennes». «Si open source software et hardware relèvent tous deux d’un mode de développement industriel comparable à bien des égards (intensité de la R&D, complexité technique des objets, caractère stratégique des fonctions de design et d’ingénierie, etc.), le passage à la production de biens matériels ajoute une couche de complexité dans le modèle économique de l’open hardware», écrit-il dans l'ouvrage Open Models. «Des coûts marginaux de fabrication et de distribution», «une chaîne de valeur fragmentée et complexe mobilisant des compétences et des outils hétérogènes répartis entre plusieurs entités géographiques et/ou juridiques» et «des processus qualité et des normes plus contraignantes» sont les principaux points soulevés par le spécialiste des modèles peer-to-peer et des transformations numériques.

Industrie

Plus généralement, d'après Gilles Babinet, entrepreneur qui représente la France à la Commission européenne en tant que «Digital Champion», l'émergence des nouveaux modèles économiques issus de l'open source hardware vont probablement amorcer un cycle de régulation important en matière de droit du travail, de droit sur la propriété intellectuelle, la fiscalité... «Ces principes qui nous dirigent aujourd’hui sont issus de la seconde Révolution industrielle. Ils avaient déjà constitué une rupture par rapport à ceux issus de la première Révolution industrielle. Il y a fort à parier qu’ils vont à nouveau être redéfinis à l’aube de la nouvelle ère numérique», prédit-il dans une interview accordée à Louis-David Benyayer, coordinateur de l'ouvrage collectif Open Models.

Les raisons de croire en l'open source hardware sont bien là. Et l'un des signes les plus significatifs viendrait... d'acteurs de l'industrie traditionnelle. Certains grands groupes ont commencé à s'ouvrir à des stratégies industrielles plus décentralisées. C'est le cas de l'entreprise Tesla, d'Elon Musk, qui a annoncé en juin 2014 que ses technologies brevetées pourront être utilisées librement par n'importe quelle entreprise ou n'importe quel particulier, ou Toyota, qui a placé en janvier 2015 les brevets de sa voiture hydrogène en open source.

«Ils ne le font pas par pur altruisme, commente Benjamin Tincq. En s'ouvrant, ces entreprises vont pouvoir se développer plus vite, en travaillant avec une communauté, et faire en sorte que leurs produits et technologies deviennent peu à peu des standards.»

En attendant l’avènement du matériel libre, le cofondateur de OuiShare a mis en place le projet POC 21, un workshop qui réunira du 15 août au 20 septembre 2015 une centaine de makers, designers, inventeurs et autres au château de Millemont (Yvelines) pour bâtir un village de la transition énergétique 100% open source. Les prototypes arrivés à maturité seront exposés en amont de la conférence COP 21. Un village pour commencer, et qui sait quoi d'autre plus tard.

1 — Pour les puristes, «libre» et «open source» ne sont pas tout à fait synonymes. Richard Stallman, président-fondateur de la Free Software Foundation, l'explique en détail ici. Retourner à l'article

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