Tech & internet / Économie

Apple, la petite pomme prête à racheter le monde

Apple, pour des millions de gens à travers le monde, c'est une boîte sympa qui fait des produits d'un usage incroyablement convivial grâce à des technologies innovantes toujours en avance d'un cran sur celles des concurrents. Beaucoup moins de personnes s'interrogent sur les profits incroyables que réalise la firme de Cupertino, la plus riche que l'on n'ait jamais vue au monde.

Tim Cook, en septembre 2014. REUTERS/Stephen Lam
Tim Cook, en septembre 2014. REUTERS/Stephen Lam

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Apple, aujourd'hui, c'est un mythe. La force de l'entreprise ne réside pas seulement pas dans sa capacité à innover et à proposer des produits toujours plus performants, mais aussi et peut-être surtout dans son art de communiquer et de construire sa propre légende.

De quoi discute-t-on sur les réseaux: des caractéristiques de sa nouvelle montre connectée, de la possibilité et de l'utilité d'y installer un navigateur, des applications disponibles pour l'iPhone 6, des comparaisons avec le Samsung Galaxy 6.

Il fut une époque où on a un peu discuté des conditions de travail chez Foxconn, son sous-traitant chinois qui, grâce en partie au succès de l'iPhone 6, a enregistré l'an dernier un bénéfice en forte hausse à 130,5 milliards de dollars taïwanais (3,8 milliards d'euros).

De temps en temps, il est signalé que l'action de l'entreprise a battu un nouveau record, mais on parle en général assez peu de ce que le groupe représente maintenant dans l'économie mondiale. Pourtant, ses résultats financiers méritent quelques commentaires.

Des marges royales

Au premier trimestre 2015 (Apple parle de deuxième trimestre parce que son exercice fiscal commence le 1er octobre), le groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 58 milliards de dollars, en recul de 22% par rapport au chiffre incroyable de 74,6 milliards de dollars réalisé au dernier trimestre de 2014, mais tout de même en hausse de 27% par rapport au chiffre d'affaires enregistré au 1er trimestre 2014. Le succès de l'iPhone6 (plus de 61 millions d'appareils vendus au cours du trimestre), qui fait aussi un tabac en Chine, devenue le deuxième marché du groupe devant l'Europe, explique pratiquement cette performance à lui tout seul.

Mais Apple ne se contente pas de vendre beaucoup, la firme gagne aussi beaucoup d'argent grâce à une marge brute (différence entre le prix de vente hors taxes et le prix de revient) de plus de 40% que l'on rencontre rarement dans l'industrie.

Le prix de vente moyen des iPhone est de 659 dollars; il a augmenté de 62 dollars en un an, alors que la hausse du cours du dollar face à la plupart des devises aurait dû normalement aboutir à des prix plus serrés pour maintenir la compétitivité-prix du produit. Mais, apparemment, au moins jusqu'à la mise en vente du Samsung Galaxy 6, la question ne s'est pas posée en ces termes pour Apple, qui vu son résultat net bondir de 33% au cours de ce premier trimestre de l'année civile, à 13,57 milliards de dollars.

Des actionnaires gâtés

Une entreprise qui gagne autant d'argent peut distribuer du dividende. Apple a d'ailleurs décidé d'augmenter le sien de 11%. Mais ce n'est pas tout. Il existe une autre façon de gâter ses actionnaires: leur racheter une partie de leurs actions. Ainsi, mécaniquement, le bénéfice par action augmente et le prix des actions restées en circulation augmente.

Le groupe avait précédemment décidé de procéder à un rachat d'actions pour un montant de 90 milliards de dollars; il a décidé de faire un effort supplémentaire et de porter le montant de l'opération à 140 milliards de dollars. En faisant le total des rachats d'actions et des dividendes déjà programmés, il compte redistribuer 200 milliards de dollars à ses actionnaires d'ici à la fin mars 2017, après leur avoir déjà versé 112 milliards de dollars entre août 2012 et mars 2015.

A titre de comparaison, on peut rappeler que 200 milliards de dollars, c'est presque 180 milliards d'euros, soit l'équivalent de ce que dépense l'Etat français, cinquième ou sixième puissance mondiale (plutôt sixième si l'on en croit les derniers calculs du PIB britannique), en un an pour payer les intérêts de la dette publique et financer l'enseignement, la recherche, la défense, la solidarité, l'insertion, l'égalité des chances, le travail et l'emploi...

L'entreprise peut d'autant plus facilement se montrer généreuse que cela n'entame pas sa capacité à accumuler des réserves. Fin mars, ses liquidités disponibles s'élevaient à 193,5 milliards de dollars, contre 178 milliards de dollars fin décembre 2014 et 155,3 milliards de dollars fin septembre 2014.

Petit rappel: ici, en France, fin avril, on a beaucoup discuté au sommet de l'Etat pour décider que, finalement, le ministère de la Défense verrait ses moyens augmenter de 3,8 milliards d'euros (4,2 milliards de dollars) pour faire face à ses besoins, sur cinq ans... 

Petit détail croustillant: pour ne pas avoir à toucher à ses liquidités placées dans des paradis fiscaux (leur rapatriement conduirait le groupe à payer des impôts sur le bénéfice), Apple envisage de continuer à emprunter sur les marchés internationaux pour financer en partie ses libéralités envers ses actionnaires.

Tant d'argent, pour faire quoi?

Tout cet argent disponible, à quoi peut-il servir? Éventuellement à assurer le groupe contre les risques d'un retournement de conjoncture dans ses métiers ou d'éventuels échecs.

Mais il peut aussi servir à financer des développements nouveaux. C'est encore plus vrai si l'on tient compte de la capitalisation boursière d'Apple (sa valeur en Bourse), actuellement de l'ordre de 735 milliards de dollars: aucune entreprise dans le monde n'a jamais atteint un tel sommet (Microsoft arrive loin derrière, aux environs de 385 milliards de dollars, juste devant Google à 370 milliards de dollars et Exxon Mobil  à 364 milliards de dollars).

Quelques analystes la voient même atteindre assez rapidement mille milliards de dollars (ce qui n'est pas totalement impossible, mais très peu probable à un horizon d'un ou deux ans). Quand on sait que les prises de contrôle se paient souvent en partie en cash (OPA, pour offre publique d'achat) et en partie en actions (OPE, pour offre publique d'échange), avec une capitalisation boursière de 735 milliards et des liquidités disponibles de 193,5 milliards de dollars, Apple peut tout se permettre, tout envisager.

Quelques références: les sociétés françaises les mieux valorisées en Bourse ont une capitalisation, en dollars, d'environ 135 milliards pour Sanofi, 128 milliards pour Total, ou 108 milliards pour L'Oréal. Si l'on considère un secteur qui serait de nature à intéresser Apple, Renault vaut un peu plus de 31 milliards et Peugeot un peu plus de 15 milliards...

Le cocktail explosif innovation + mondialisation

Apple racheter un constructeur automobile? C'est peu probable, mais il est certain que ses dirigeants s'intéressent beaucoup à cette activité. Depuis plusieurs mois déjà, on parle d'une possible arrivée d'Apple dans l'industrie de la voiture électrique et Elon Musk, fondateur de la célèbre firme californienne Tesla, ne rate jamais une occasion de dire qu'il serait enchanté de voir l'équipe de Tim Cook venir travailler avec lui.

Le 9 mai, Sergio Marchionne, administrateur délégué de Fiat Chrysler, a confié à des journalistes avoir rencontré les dirigeants de Tesla et d'Apple lors d'un récent déplacement en Californie; à cette occasion, il a confirmé que son groupe s'intéressait à la voiture sans chauffeur, qui se profile à l'horizon (à ceux qui seraient passés à côté de l'information, signalons que Daimler a reçu l'autorisation de tester des camions Mercedes-Benz sans chauffeur sur les routes de l'Etat du Nevada).

Quelle sera la stratégie d'Apple? On pourrait multiplier les hypothèses à l'infini tant les perspectives offertes par les développements techniques dans le domaine des objets connectés sont vastes.

Mais, quoi qu'il arrive, ce groupe est l'exemple le plus spectaculaire et le plus significatif de la puissance que peut apporter aujourd'hui à une entreprise l'innovation technique associée à la mondialisation des débouchés.

De plus en plus, on parle des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) pour illustrer le poids pris en quelques années par les firmes américaines de l'économie numérique. Dans le cas d'Apple, ce pouvoir n'est pas seulement intellectuel et scientifique, il se mesure en milliards de dollars. A une époque, on s'est inquiété de la puissance des majors pétrolières, les Exxon Mobil et autres  Shell et BP, et de leur rôle géopolitique. Aujourd'hui encore, quand on s'interroge sur les aspects cachés d'un conflit, on recherche d'éventuelles odeurs de pétrole. Peut-être un jour s'apercevra-t-on que les outils numériques ne sont pas que conviviaux.

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