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La victoire de Cameron est mauvaise pour l'Europe

Le Premier ministre est plutôt favorable à un maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE, mais il avait promis que les Britanniques seraient appelés à se prononcer sur la question. Or il devra compter avec les eurosceptiques, UKIP, et avec la force nouvelle des indépendantistes écossais.

David Cameron à Londres le 5 mai 2015. REUTERS/Toby Melville
David Cameron à Londres le 5 mai 2015. REUTERS/Toby Melville

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Les sondages laissaient craindre cinq années d’incertitude et d’instabilité au Royaume-Uni, avec un Parti conservateur et un Parti travailliste à peu près à égalité. Ils ont été démentis par les électeurs qui ont redonné leur confiance au Premier ministre David Cameron, mais l’incertitude demeure. Non pour le gouvernement qui sera dominé par les conservateurs, avec ou sans une coalition avec un Parti libéral-démocrate bien affaibli, en fonction des résultats définitifs. Mais pour l’avenir du Royaume-Uni dans l’Europe.

David Cameron avait en effet promis que les Britanniques seraient appelés à se prononcer sur leur maintien dans l’Union européenne au plus tard en 2017, s’il gagnait les élections. C’est chose faite et il devra maintenant organiser la consultation, peut-être même avant deux ans s’il ne veut pas prolonger l’incertitude. 

Composer avec les eurosceptiques

Sa faible majorité à la Chambre des Communes, où la troisième force sera le Parti national écossais (SNP), l’obligera d’autant plus à composer avec les eurosceptiques, dans son Parti, et dans l’opinion en général. Car le seul siège obtenu par UKIP, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, ne doit pas tromper. UKIP a obtenu près de 13% des voix, environ quatre fois plus qu’aux précédentes élections générales de 2010 et il ne doit qu’au système majoritaire à un tour (first past the post) sa faible représentation aux Communes. Certes il a fait moins qu’aux élections européennes de 2014 (26,6%) mais ce scrutin lui était particulièrement favorable.

David Cameron devra compter avec UKIP

Il n’empêche que David Cameron devra compter avec lui. Le Premier ministre lui-même est plutôt favorable à un maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE. Comme le sont les milieux économiques britanniques. Ils savent bien tout ce qu’ils auraient à perdre à un «Brexit», une sortie de l’Europe qui pourrait les priver d’accès au marché unique. Mais il n’a de chance de gagner un référendum que s’il obtient des concessions de ses partenaires européens. Des mois d’incertitude, de négociations, de bras de fer, de jeux au bord du précipice sont d’ores et déjà programmés. 

La majorité des gouvernements européens sont favorables au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union. En particulier ceux d’Europe du nord qui voient en Londres un défenseur du libéralisme économique mis régulièrement en cause par les pays du sud. La chancelière allemande Angela Merkel s’est montrée sensible à certaines revendications britanniques, par exemple en faveur de la réduction de la bureaucratie bruxelloise ou pour la libéralisation des marchés, la dérégulation y compris bancaire. Elle s’est cependant montrée très ferme contre ce qui pourrait être l’exigence prioritaire du nouveau gouvernement britannique: la limitation drastique de la liberté de circulation au sein de l’UE. Or ce sont sans doute les accents anti-immigration que David Cameron a donnés aux derniers jours de la campagne qui ont contribué à son succès.

Paralyser l'Europe

Pendant la renégociation de la participation britannique ce ne sera pas business as usual. Les discussions risquent d’accaparer toute l’attention des responsables européens (Commission, Parlement, Conseil) au cours des prochains mois, paralysant les initiatives dans d’autres domaines dans une Europe déjà bien trop préoccupée d’elle-même. 

L’incertitude ne sera pas bonne pour l’économie, et d’abord pour l’économie britannique.

L’incertitude ne sera pas bonne pour l’économie, et d’abord pour l’économie britannique. Les marchés ont salué la victoire des conservateurs avec une hausse de la livre par rapport au dollar de 2%, qui place la devise anglaise à son plus haut niveau depuis cinq ans. La Bourse aussi a réagi favorablement. En même temps les milieux d’affaires sont inquiets non seulement de l’issue de l’inévitable confrontation avec les partenaires européens –l’UE absorbe la moitié environ des exportations britanniques–, mais aussi des conséquences immédiates: les investisseurs industriels et financiers, et en particulier les investisseurs étrangers, risquent de se réfugier dans l’expectative, avant d’être sûrs que Londres restera la porte d’entrée privilégiée dans l’UE.

L’incertitude est d’autant plus grande qu’un autre référendum se profile à l’horizon. Le Parti national a raflé toutes les circonscriptions de l’Ecosse, sauf une, et ce triomphe devrait l’amener à relancer le projet d’indépendance qui a été rejeté en 2014 par 55% des Ecossais. Le rapport de forces pourrait s’inverser d’autant plus facilement qu’un référendum à l’échelle de toute la Grande-Bretagne donnerait une majorité à une sortie de l’Europe. Pour parer à ce danger, David Cameron devra mettre en œuvre les promesses faites aux Ecossais au lendemain de la consultation de 2014, en ajoutant sans doute quelques nouvelles concessions qu’il ne pourra pas refuser aux autonomistes gallois ou nord-irlandais. Le Premier ministre conservateur devra prendre garde que son succès inattendu ne se transforme pas rapidement en une victoire à la Pyrrhus.

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