Temps de lecture: 13 minutes
Homme et féministe: pour certains, ce sont deux termes qui s’opposeraient presque, une alliance incongrue ou à tout le moins, un adjectif qui devrait être réservé aux femmes. Comment, alors que les féministes sont souvent taxées de «misandrie», et qu’elles n’ont pas toujours bonne presse, des hommes en viennent-ils à s’engager pour cette cause, voire même à militer activement dans des associations? Quelles raisons poussent donc ces garçons à surmonter les sarcasmes et à faire cette chose qui semble si peu logique à tant de gens au premier abord: se battre contre leurs propres privilèges?
C’est l’objet d’un livre du chercheur Alban Jacquemart, intitulé «Les hommes dans les mouvements féministes. Socio-histoire d’un engagement improbable». Nous avons aussi posé la question à quelques-uns des spécimens cette espèce rare, pas forcément quant à eux engagés dans une association strictement féministe mais ayant tous pris des positions publiques allant dans ce sens.
Le féminisme aujourd’hui est très majoritairement une affaire de femmes. Les hommes étaient, ces dernières années, largement minoritaires dans les associations, y compris celles qui sont ouvertes à la mixité, comme Les Chiennes de garde ou Osez le féminisme.
Pour l’année 2009, seuls 20 des 220 adhérents de la première association étaient de sexe masculin. Et «le même constat semble pouvoir être établi pour Osez le féminisme», note Alban Jacquemart. «Des hommes militants féministes, il n’y en a quasiment pas, ou très peu. Pour des raisons évidentes: quand on a des privilèges, on n’a pas envie de les perdre», abonde Patric Jean, fondateur de ZeroMacho, qui se définit comme «le réseau des hommes contre la prostitution».
Progressivement, un féminisme sans hommes ou presque
Mais ce ne fut pas toujours le cas, comme le rappelle le travail d'Alban Jacquemart. Dans les années 1870 à 1890 existait une véritable mixité, avec des figures masculines importantes, telles que celle de Léon Richer, qualifié par la militante Hubertine Auclert de «père du féminisme français» et même de «véritable fondateur du féminisme» par la philosophe Simone de Beauvoir.
Nous sommes arrivés à la nécessité de la non-mixité. Nous avons pris conscience qu’à l’exemple de tous les groupes opprimés, c’était à nous de prendre en charge notre propre libération
Les militantes du MLF en 1970
Les femmes avaient besoin, à cette époque, de ces appuis de poids, elles qui étaient dépourvues de capital politique et économique. En 1870, les hommes représentent ainsi la moitié des membres du bureau de l’Association pour les droits des femmes, tout comme ils sont une moitié de signataires membres de la Société de revendication des droits de la femme en 1869. Des noms célèbres apportent leur soutien à la cause, à l’instar de Victor Hugo et de plusieurs députés.
Mais après 1945, à mesure que les femmes s’affirment et s’organisent, conquièrent des droits et ont, in fine, moins besoin des hommes pour militer. Ces derniers sont aussi perçus comme moins légitimes. Cette exclusion des hommes du féminisme va atteindre son paroxisme dans les années 1970, où le Mouvement de libération des femmes (MLF) va leur interdire de participer aux réunions et à la plupart des actions, hormis les manifestations et quelques évènements.
«Nous sommes arrivés à la nécessité de la non-mixité. Nous avons pris conscience qu’à l’exemple de tous les groupes opprimés, c’était à nous de prendre en charge notre propre libération», écrivent des militantes du MLF en 1970, dans un numéro de la revue Partisans.
C’est d’ailleurs à cause de cette idée de non-mixité, mal comprise, que le féminisme va écoper d’une image d’un mouvement anti-hommes, qui pour Alban Jacquemart n’a jamais existé:
«Il n’y a jamais eu en France de communautés de femmes qui coupaient toute relation avec les hommes. Mais en instaurant la non-mixité, les féministes mettaient en évidence la position de dominant des hommes. Or, les dominants n'acceptent pas d'être renvoyés à leur position de dominants.»
Plus tard, au milieu des années 1970, les luttes pour l’avortement et enfin l’arrivée de nouvelles générations militantes plus ouvertes à la mixité dans les années 1990 seront l’occasion de réintroduire de la mixité, mais sans jamais retrouver les niveaux d’implication des hommes des années 1870.
Des professions plus propices à l’engagement féministe
Qu’est-ce qui pousse ces hommes si peu nombreux, ces «militants par conscience» qui luttent paradoxalement contre leur propre camp et leurs propres intérêts, à s’engager? Un peu comme le milliardaire Warren Buffet a défendu l’augmentation de ses impôts ou plus récemment Dan Price, ce patron qui a fait baisser son salaire de 90% pour pouvoir augmenter ses salariés.
Je me souviens de discussions animées à table. Lorsqu’une remarque sexiste était prononcée, celui qui avait le malheur d’avoir dit ça se faisait rabrouer. Mais cela ne m’a pas dégoûté! Au contraire, cela m’a invité à être moi-même plus vigilant et à réfléchir à la justesse de ces combats
L'avocat Martin Pradel
Spontanément, on s’imagine qu’ils ont dû être attirés là par une rencontre humaine, une mère, une amante ou une militante qui les aura émus, ou convaincus. La réalité est plus complexe, faite d’un ensemble de raisons personnelles, qui tiennent au vécu propre des militants; de raisons sociales, certains milieux favorisant cette prise de conscience; et, enfin, de raisons liées à la forme que prennent les associations rencontrées par ces futurs militants, selon que ces structures soient plus ou moins ouvertes à la mixité notamment.
Une association comme Mix-Cité Paris, qui faisait, comme son nom l’indique, de la mixité une priorité, a compté jusqu’à un sixième d’hommes. Les associations mettant en avant la lutte contre les stéréotypes plutôt que l’égalité des droits sont aussi, selon Alban Jacquemart, «plus attractives» dans la mesure où elles tendent «à mettre en parallèle la domination des hommes et la domination des femmes» et leur permettent ainsi «de ne pas se confronter au rapport de pouvoir concret entre hommes et femmes».
Certaines professions ou domaines d’études sont aussi plus propices à l’engagement, de manière générale, voire à l’engagement féministe. Parmi les militants du XIXe siècle, par exemple, de très nombreux avocats, à l’instar de Léon Richer. Plus tard, pendant les années 1970, ce seront surtout les médecins, témoins de scènes déchirantes d’avortements tournant au drame et de vies déchirées, qui s’engageront en masse. Et parmi les étudiants, ceux qui ont côtoyé la sociologie et les études de genre ont très naturellement plus de chances d’être sensibilisés au féminisme.
Tomber amoureux d’une féministe, ça aide
L’influence directe de mères féministes, montre Alban Jacquemart, existe, mais elle est minoritaire. Au tournant du XXe siècle, un homme comme René Viviani (co-fondateur du journal L’Humanité et ancien président du Conseil) se dit ainsi «redevable à l’éducation maternelle des idées dont (il) est fier et auxquelles (le) rattache la double fidélité de l’esprit et du cœur». En revanche, si les hommes féministes n’ont que très rarement subi l’influence d’une mère, ils sont nombreux, près d’une moitié parmi les profils rencontrés par le chercheur, à évoquer des rapports égalitaires dans la sphère familiale, ou à avoir eu comme modèles dans leur entourage des femmes émancipées.
«Mon arrière-grand-mère –Marie Josèphe Réchard– était une militante féministe très engagée. Dans ma famille j’ai toujours entendu que le féminisme était une des causes parmi les plus importantes et cela a sans doute joué un rôle, confie ainsi l’avocat Martin Pradel, qui, s’il ne milite pas dans une association féministe, est connu pour son engagement en faveur des femmes, ayant défendu notamment l’ex-Femen Amina Sboui ou la militante turque Pinar Selek. Je me souviens de discussions animées à table. Lorsqu’une remarque sexiste était prononcée, celui qui avait le malheur d’avoir dit ça se faisait rabrouer. Mais cela ne m’a pas dégoûté! Au contraire, cela m’a invité à être moi-même plus vigilant et à réfléchir à la justesse de ces combats.»
TeJ’ai été témoin de la souffrance de femmes. J’étais proche à 20 ans des idées masculinistes. Je trouvais normal que les femmes soient soumises. Puis j’ai eu une prise de conscience politique sur d’autres sujets, j’ai travaillé sur d’autres rapports de domination (nord/sud, racisme, classe sociale). Et je me suis rendu compte que l’inégalité hommes-femmes en était un. J’avais la sensibilité il ne me manquait que la grille d’analyse
Patric Jean
C’est aussi parfois l’absence de modèle, en particulier de modèle paternel, qui semble avoir eu un rôle dans l’orientation féministe de ces militants, relève le chercheur. Au total, ce sont près d’une moitié des militants rencontrés qui ont déclaré avoir un père défaillant ou absent… Pour le porte-parole des écologistes Julien Bayou, sympathisant de plusieurs associations féministes et signataire notamment en 2011 de l’appel d'Osez le féminisme et de La Barbe «Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent», c’est peut-être l’absence d’une mère qu’il n’a presque pas connue, morte alors qu’il avait cinq ans et demi, et qui militait au MLF. «J'ai baigné dans un environnement où c'était normal d’être féministe, ne serait ce que par les amis qui lui survivent», raconte-t-il.
Plus courante est l’influence des compagnes, épouses ou amantes féministes. Une organisation comme l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF) avait ainsi dans ses membres, entre 1912 et 1939, une proportion importante de couples: près de 30%. Parmi les couples les plus connus de féministes, on trouve, à différentes époques, Maria Vérone et Georges Lhermitte, Antonin Lévrier et Hubertine Auclert, Monique et René Frydman…. Mais ces rencontres de cœur ne sont, là encore, pas la raison la plus courante de l’engagement de ces hommes, puisque sur 82 profils de couples étudiés par le chercheur, seuls onze hommes avaient commencé une relation avec une féministe avant leur premier engagement.
«Il a vu Fadela Amara à la télé et décidé de s’engager»
Le facteur, en fait, le plus déterminant, est d’avoir déjà milité ailleurs. Une fois entré dans un réseau de militants d’extrême gauche, écolo, homo ou autre, ces hommes vont entendre parler d’autres luttes, et se les approprier. «La plupart des militants féministes sont déjà des militants d’autres causes», explique Alban Jacquemart à Slate. C’est le cas notamment, parmi les féministes que nous avons interrogés, de Stéphane Cazes, de Julien Bayou et de Patric Jean:
«Je viens d’un milieu anti-féministe classique, explique ce dernier. J’ai été témoin de la souffrance de femmes. J’étais proche à 20 ans des idées masculinistes. Je trouvais normal que les femmes soient soumises. Puis j’ai eu une prise de conscience politique sur d’autres sujets, j’ai travaillé sur d’autres rapports de domination (nord/sud, racisme, classe sociale). Et je me suis rendu compte que l’inégalité hommes-femmes en était un. J’avais la sensibilité il ne me manquait que la grille d’analyse», résume-t-il.
Des évènements peuvent aussi aider à la prise de conscience. C’est le cas par exemple de Julien Bayou, qui dit avoir été marqué par des agressions d’amies, mais surtout du cinéaste Stéphane Cazes. Il fait partie des signataires ayant rejoint l'appel de Jean-Luc Mélenchon pour une «VIe République féministe». Bénévole auprès du Génépi, il dit avoir été frappé par un évènement alors qu’il donnait un peu de son temps dans une prison pour femmes. Une des détenues était toujours absente au soutien scolaire qu’il animait, et Stéphane Cazes a un jour demandé la raison de cette absence.
Les rares hommes qui s’impliquent fortement y trouvent des bénéfices secondaires. À moi, cela me donne une importance, je suis invité à la télévision, etc. Je ne suis pas cynique, je ne le fais pas pour ça. Mais quand je fais le bilan entre pertes et profits, ce n’est pas si mal
Patric Jean
«C’est parce que vous êtes un homme», lui ont répondu ses co-détenues. Après plusieurs encouragements de la part de l’intéressé, la détenue finit par se présenter. Mais ce contact et l’attitude de cette femme le marque profondément. «Elle avait peur des hommes et de moi. Elle n’osait pas me regarder dans les yeux. Un jour je me suis assis à coté d’elle et elle était tendue. Cela m’a vraiment touché. Elle avait été battue pendant de longues années», raconte-t-il.
La médiatisation des causes féministes est une cause plus rare... ou moins avouée par les militants. Un seul a ainsi indiqué avoir «vu Fadela Amara (ex-présidente de l’association Ni Putes ni Soumises, ancienne secrétaire d’État à la Ville) à la télé et décidé de s’engager». «Cela m’a beaucoup surpris, explique le chercheur. Ce n’est pas la raison la plus classique en sociologie.»
Devenir le chouchou de ces dames
Comme pour tout engagement, il existe aussi des raisons plus «intéressées» ou «prosaïques» qui contribuent à l’entrée en militance de ces hommes, ou surtout à leur maintien dedans. Un certain nombre de ces bénévoles en tire une forme de prestige social.
«Les rares hommes qui s’impliquent fortement y trouvent des bénéfices secondaires. À moi, cela me donne une importance, je suis invité à la télévision, etc. Je ne suis pas cynique, je ne le fais pas pour ça. Mais quand je fais le bilan entre pertes et profits, ce n’est pas si mal», reconnaît avec une grande sincérité Patric Jean.
D’autres y ont vu un moyen de publier ou de faire connaître leur activité universitaire, des médecins de faire valoir une spécialité, des juristes une compétence. D’autres encore mettent en avant le plaisir qu’ils tirent d’être entourés de femmes et d’être devenu leur «chouchou», comme ce militant qui reconnaît en avoir un peu «joué», en arrivant avec «une tarte aux pommes dans une soirée»....
Il y a une vraie communauté de lutte quand t’es pédé ou quand t’es une nana, et je pense que c’est ça qui m’a motivé à aller vers le féminisme
Un militant des Panthères roses
Certains sont mêmes très reconnaissants à ces dames de ne pas exiger d’eux d’être des hommes virils, et voient dans le féminisme une manière de se «réconcilier avec une identité stigmatisée», en décalage avec le modèle masculin hégémonique. «Il y a une vraie communauté de lutte quand t’es pédé ou quand t’es une nana, et je pense que c’est ça qui m’a motivé à aller vers le féminisme», explique un militant des Panthères roses, mettant en avant la même «oppression de genre». «J’étais vachement soulagé d’être dans un endroit où on me laissait être la personne que j’étais sans que je me sente poussé à être quelqu’un d’autre», avoue quant à lui un autre militant, qui parle de sa souffrance pendant son enfance «de ne pas réussir à coller au modèle masculin».
«Humanistes» et «identitaires»
Malgré ces bénéfices, ce choix d’engagement n’a rien d’évident, dans un contexte où le militant «homme» est lui-même, d’une certaine manière, le sujet de l’oppression qu’il dénonce, et où il est donc sans cesse exposé à une forme de suspicion, à des critiques et à une culpabilisation difficile à supporter. «C’est quand même un peu se saborder», fait remarquer un militant interrogé par le chercheur. Le discours de justification produit et sa cohérence sont donc essentiels pour rester militant, et permettent un travail d’appropriation, de légitimation. Ainsi parmi les militants interrogés par Alban Jacquemart, la moitié affirment que les hommes sont importants pour le féminisme, et aident à sa réussite en aidant à convaincre d’autres hommes (18 sur 36).
Le sociologue distingue deux grandes catégories d’hommes féministes, correspondant à deux types de féminisme, et à deux grandes familles de «justifications». Il y a d’abord les «humanistes». Principalement actifs dans la sphère féministe, ils auraient pu aussi bien être anti-racistes, écolos, ou engagés dans la lutte contre les inégalités économiques. Ils ont d’ailleurs, le plus souvent, connu d’autres formes de militantisme avant le féminisme –comme le syndicalisme– et sont parfois multi-casquettes.
Je me souviens d’une femme que j’ai défendue en Tunisie, une femme qui avait été violée par des policiers et était poursuivie pour atteinte aux bonnes moeurs. Une abjection. J’étais le seul homme à défendre cette femme. Les autres hommes étaient mal à l’aise, parce qu’ils avaient l’impression que ce n’était pas leur cause
Martin Pradel
À l'instar de Ferdinand Buisson, ex-Prix Nobel de la Paix, né au milieu du XIXe siècle, éducateur et homme politique français, président de la Ligue des droits de l'Homme et surtout connu pour son engagement en faveur de la paix et de l’éducation, mais qui eut une importante activité en faveur des droits des femmes à partir de l’âge de 60 ans. En définitive, ce sont des militants qui, avant de militer pour les droits des femmes, militent pour les droits humains, dont les droits des femmes sont une sous-catégorie.
Les «identitaires», eux, s’attachent moins au droit qu’aux stéréotypes, aux clichés sexistes, et à ces différences socialement constituées et qui enferment chacun des sexes dans un rôle prédéfini. Ils ne militent pas «tant pour l’obtention de lois que l’abolition des assignations de genre», résume le chercheur. Le combat, du coup, envahit aussi la sphère privée. Une large majorité de militants interrogés par Alban Jacquemart utilisent des justifications de ce type (22 sur 36), mettant enfin en avant l’idée que le féminisme est surtout bon pour les hommes eux-mêmes, en les aidant à se débarrasser des stéréotypes de «virilité», qui les enferment dans un carcan.
Les féministes que Slate a interrogés utilisent les mêmes arguments, et s’inscrivent dans les mêmes catégories, à commencer par la catégorie humaniste.
«Je me souviens d’une femme que j’ai défendue en Tunisie, une femme qui avait été violée par des policiers et était poursuivie pour atteinte aux bonnes moeurs. Une abjection. J’étais le seul homme à défendre cette femme. Les autres hommes étaient mal à l’aise, parce qu’ils avaient l’impression que ce n’était pas leur cause. Moi je ne me dis pas qu’une cause doit être portée uniquement par ceux qui sont concernés. La cause des femmes ne sera bien défendue que si elle est défendue par tous», argumente l’avocat Martin Pradel, lui aussi signataire pour une «VIe République féministe», et qui se dit «humaniste». «Et pour moi l’humanisme contient le féminisme», affirme-t-il.
«Pour moi féministe c’est lutter pour l’égalité. On pourra toujours trouver des nuances dans les mots, mais cela ne m’intéresse pas», abonde Stéphane Cazes, qui dit s’inscrire totalement dans la «catégorie de militants qui militent pour diverses causes, le féminisme comme le racisme», mais rejette aussi le modèle de virilité dominant qui selon lui «s’exprime dans la violence, avec des expressions militaires comme “tirer un coup”, “faire une conquête”». «Je n’ai pas envie d’être un dictateur, résume-t-il. Un être humain gagne en humanité s’il n'oppresse pas des gens. Et faire du bien aux autres c’est se faire du bien.»
Patric Jean utilise quant à lui largement les arguments des militants dits «identitaires», affirmant le «plaisir» du travail sur soi, «de se prendre en flagrant délit de machisme, de stéréotype». Une démarche «quasiment spirituelle», selon lui: «s’améliorer soi-même pour améliorer le monde».
«Les féministes font un travail d’émancipation, d’empowerment. Pour nous les hommes pro-féministes, c’est plutôt un travail de “désempowerment”. Un travail sur nous mêmes, pour tenter de comprendre comment fonctionne la domination», explique-t-il.
La posture majoritaire aujourd’hui est même sans doute de ne plus trop insister pour faire venir des hommes
Alban Jacquemart
L’homme, l’avenir du féminisme ?
Les années à venir vont-elles être propices à l’émergence de militants hommes féministes plus nombreux?
«Je dirai que dans le coeur de ce qu’on peut appeler le féminisme au sens large, je ne pense pas qu’il y ait de tendance à un engagement plus massif des hommes, explique Alban Jacquemart. L’émergence d’un discours de la mixité et de la participation des hommes, à partir de la fin des 1990, se diffuse certes aujourd’hui dans d’autres sphères de l’égalité plus institutionnelles, comme à l’ONU –la campagne «He for she» –, dans les politiques publiques ou dans les entreprises. Mais pour ce qui est du mouvement féministe, je n’ai pas l’impression d’un changement particulier depuis le début des années 2000.
La posture majoritaire aujourd’hui est même sans doute de ne plus trop insister pour faire venir des hommes, comme à l’époque de l’association Mix-cités Paris ou des débuts d’Osez le féminisme en 2008. Caroline de Haas (fondatrice d’OLF, ndlr) a par exemple expliqué que les hommes dans les réunions filmées par les médias prenaient beaucoup plus la parole. C’est lié à la pratique, et à un certain désenchantement après une première période d’enthousiasme au début de l’histoire de ces associations.»
Mais cette perspective n’effraie pas Alban Jacquemart, pour lequel le féminsime ne doit pas chercher à «faire primer la mixité sur le fait que les femmes aient la parole»: «Si les femmes acceptent que les hommes prennent le pouvoir, alors cela devient contradictoire. Je ne sais pas s’il faut ou pas qu’il y ait des hommes. Mais si les mouvements féministes décident qu’il faut des hommes, je suis sûr que ce ne devrait pas être à m’importe quel prix.»