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«Nous sommes 86»: face au projet de loi renseignement, une opposition transpartisane ou hétéroclite?

Le projet de loi sur le renseignement a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, mardi 5 mai. 86 députés, de groupes parlementaires très variés, ont voté contre.

Les détails du vote sur le projet de loi sur le renseignement, le 5 mai 2015. REUTERS/Christian Hartmann.
Les détails du vote sur le projet de loi sur le renseignement, le 5 mai 2015. REUTERS/Christian Hartmann.

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Nous Sommes 86, Github

Ils n'étaient pas assez nombreux pour empêcher le projet de loi sur le renseignement d'être largement adopté à l'Assemblée nationale. Le 5 mai, 86 députés ont voté contre le texte, pendant que 438 votaient en sa faveur et que 42 s'abstenaient.

Les opposants ont évidemment fait part de leur déception. Quelques minutes après le vote, la Quadrature du Net condamnait «cet abandon des principes démocratiques» et appelait «les sénateurs, maintenant saisis du texte, à contrer ce vote inadmissible».

Dès le mercredi, une carte interactive est apparue sur Github. Intitulée «Nous n'oublierons pas», elle montre le vote de chaque député sur le projet de loi et fournit un formulaire de contact.

Il ne s'agit pas du seul site ou média à distinguer les «bons» et les «mauvais» députés. Sur Twitter, plusieurs tweets ont ainsi relayé l'analyse détaillée du scrutin, publiée par le site de l'Assemblée nationale.

Un site est même dédié aux «86» et affiche le nom, le visage et l'étiquette politique des députés qui se sont opposés au texte. En tête, on peut lire:

«Ces parlementaires ont voté contre le projet de loi renseignement lors du vote solennel du 5 mai 2015. 

Ces parlementaires ont compris les enjeux du numérique.

Ces parlementaires sont du bon côté de l'histoire.»

Son créateur, Elliot Lepers –qui était l'un des organisateurs de la campagne «24 heures avant 1984»– explique que ces lignes sont une référence au discours de l'ex-porte-parole de la Quadrature du Net Jérémie Zimmerman, qui avait expliqué, en avril, que les opposants étaient «du bon côté de l'histoire».

Avec ce site, il nous explique avoir «voulu mettre en exergue la disparité parmi les 86 députés. C'est un assemblage assez hétéroclite et étrange». Dans son communiqué, la Quadrature du net évoquait elle «une opposition transpartisane.» On y retrouve en effet des députés communistes comme Marie-George Buffet, des écologistes comme Sergio Coronado, des socialistes –pour la plupart des «frondeurs»–, mais aussi des personnalités de droite, comme Hervé Mariton, Henri Guaino ou Patrick Balkany, ou d'extrême-droite, puisque Gilbert Collard, Jacques Bompard et Marion-Maréchal Le Pen ont tout trois voté contre.

«Ca ne me fait pas forcément plaisir d'avoir Patrick Balkany ou Marion Maréchal-Le Pen sur cette page», reconnaît Elliot Lepers, qui a participé à la campagne 2012 d'Eva Joly en tant que directeur artistique. Il rappelle cependant que le FN a également affirmé son opposition sur ce texte en expliquant que la priorité était avant tout à la lutte concrète contre l'islam radical, et tient à se différencier du parti frontiste sur ce point. (Notons par ailleurs qu'une partie des opposants au texte a utilisé comme argument... une éventuelle arrivée du FN au pouvoir).


Le député PS Pouria Amirshahi –l'un des dix membres du groupe socialiste à avoir voté contre le texte– tient d'ailleurs à mettre le vote FN de côté quand il parle de l'opposition transpartisane au projet de loi:

«C'est un vote à caractère exceptionnel, car la loi est exceptionnelle. D'abord parce que, de fait, elle renforce des pouvoirs d'exception –quoi qu'en dise le Premier ministre– à l'exécutif et aux services. Ensuite, plus philosophiquement, car sur un sujet comme celui-ci, un sujet qui touche fondamentalement les libertés, on ne s'enferme pas dans la vision binaire des partis. Nous sommes dépositaires, tous –j'en exclus bien sûr l'extrême-droite pour des raisons de tradition politique– d'une Révolution française, qui, avant même d'avoir installé le triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité", s'est fondé d'abord sur le refus de tous les abus de pouvoir.  Dès qu'on touche à ses questions sensibles, les consciences se réveillent et elles ont bien raison de le faire.»

La députée UMP Laure de la Raudière, qui a voté contre le texte, rappelle de son côté qu'un vote identique ne signifie pas une vision identique du texte:

«Nous défendons des valeurs communes et transpartisanes, et au premier chef la liberté et le respect de la vie privée. Nous partageons une même analyse sur ce texte, mais je ne suis pas sûre que nous le rédigerions de la même façon que les groupes écologiste ou communiste.»

Le texte va désormais être discuté en commission des lois du Sénat à partir du 20 mai, puis en séance plénière au début du mois de juin. D'ici-là, Elliot Lepers indique qu'une deuxième journée d'action visant à appeler les parlementaires à ne pas voter ce texte, en les contactant un par un, aura lieu. Laure de La Raudière et plusieurs autres députés, quant à eux, ont déjà indiqué qu'ils saisiraient le Conseil Constitutionnel si le texte venait à être adopté. Pouria Amirshahi explique de son côté qu'il ne s'y joindra pas, étant satisfait de la saisine du Président. En revanche, il nous indique qu'il saisira le Conseil, «sur la base d'un memorandum en droit», dans lequel il détaillera pourquoi il estime que «certains articles sont contraires à la loi fondamentale et à l'esprit de la loi».

Cet article a été mis à jour le 8 mai 2015 avec les propos de Pouria Amirshahi.

 

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