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Ce n'est pas toujours facile de s'appeler Charlotte

Le prénom de la fille de Kate et William n'est pas forcément le meilleur des choix.

La princesse de Cambridge, Charlotte Elizabeth Diana, à Londres, le 2 mai 2015 | REUTERS/John Stillwell
La princesse de Cambridge, Charlotte Elizabeth Diana, à Londres, le 2 mai 2015 | REUTERS/John Stillwell

Temps de lecture: 3 minutes

Le petit bébé royal, première princesse de Cambridge depuis 180 ans, se prénomme Charlotte Elizabeth Diana. Les hésitations ont duré quelques heures, elle aurait pu s’appeler Alice, telle l’une des plus grandes héroïnes de la littérature, elle aurait pu s’appeler Olivia, telle l’héroïne de la comédie musicale la plus culte de l’histoire des comédies musicales. Mais elle s’appelle Charlotte. Et je suis bien placée pour la prévenir: c’est un prénom pas toujours top.

J’ai commencé à me dire que c’était un prénom pas top quand à l’école primaire les instituteurs ont commencé à nous faire réfléchir à la signification de nos prénoms. Autour de moi, les filles s’appelaient Pauline (étymologie: petite), Coline (victoire du peuple), Colombe (colombe), et abondaient les Sarah (princesse en hébreu) ou Marion (qui s’élève). Charlotte vient de la racine germanique karl: «fort» ou «viril». Je me demandais comment être une fille virile. Ça ne me paraissait pas simple. Je n’étais donc pas une vraie fille. Ou pas une vraie Charlotte.

Un nom de gâteau

Puis je me suis mise à lire. Il y a eu une période de réconciliation entre mon prénom et moi: quand ma mère m’a offert un livre qui s’appelait On t’aime Charlotte, de Sandrine Pernush. J’étais fan de Sandrine Pernush (Un fantôme en classe verte, Le journal secret de Marine, Une année tourbillon, Une amie géniale). Et elle publiait dans la collection Cascade (j’étais aussi très fan de la collection Cascade, dont les couvertures plastifiées résistaient aux éclaboussures d’eau dans le bain et dont les rabats faisaient marque-page).

J’avoue qu’On t’aime Charlotte était son plus mauvais livre. Et l’héroïne était orpheline. Et plutôt de mauvais caractère, boudeuse et jalouse. Et je m’étais demandée si ma mère voulait me faire passer un message. Mais enfin il y avait mon prénom sur une couverture de livre.

Charlotte, dans le roman de Jane Austen, c'est celle qui est trop moche pour se payer le luxe d’attendre d’être amoureuse pour se marier

Cela compensait un peu le fait que je portais au quotidien un nom de gâteau, un gâteau que je déteste, fait de boudoirs, mot qui me soulève le cœur encore aujourd’hui et dont la sonorité m’a toujours évoqué le mot mouroir.

Un peu plus grande, j’ai lu Orgueil et préjugés. Dans le roman de Jane Austen, ce qui est chouette, c’est de s’appeler Elizabeth, comme l’héroïne –deuxième prénom du bébé princesse. Charlotte, dans le roman, est la meilleure amie d’Elizabeth. Celle qui est trop moche pour se payer le luxe d’attendre d’être amoureuse pour se marier. Et qui par conséquent épouse le cousin pasteur, disponible une fois qu’il s’est fait jeter par Elizabeth. Qui, elle, finit avec le mec beau.

Charlotte à gauche, Elizabeth à droite, dans le film de Joe Wright tiré du roman. 

Le mari fait pour les Charlotte:

Tom Hollander | DR

Le mari fait pour les Elizabeth:

Matthew MacFadyen | DR

«Un prénom de bourge»

Ensuite, il y a eu la période où je me suis rendu compte que l’une des plus grandes romancières du XIXe siècle s’appelait Charlotte. Mais c’était en cours d’anglais et, Jane Eyre en anglais, je ne comprenais pas bien. Il y a eu Les souffrances du jeune Werther, mais le héros a beau être fou d’amour pour Charlotte, la Charlotte en question me semblait ne rien comprendre à la vie en choisissant Albert, et elle poussait quand même un type chouette au suicide. 

À la même période, j’ai découvert Lolita: la mère de l'héroïne s’appelait Charlotte. Ensuite il y a eu Sex and the City, et la Charlotte de Candace Bushnell était la prude de service, incarnée dans la série par une actrice que j’avais quelques années plus tôt vue jouer Brooke dans Melrose Place, une affreuse peste capricieuse et machiavélique.

J’aurais aimé avoir un nom plus original, plus valorisé, plus amusant que le mien

Et puis, adulte, il y a eu le moment où j’ai rencontré François Bégaudeau pour une interview au sujet de son roman La Blessure la vraie. Il y avait dedans une Charlotte, je trouvais ça plutôt chouette. Mais pendant l’interview il avait dit qu’il l’avait appelée ainsi parce que c’était un «prénom de bourge».

Tout ceci m’a toujours conduit à avoir une relation fort mitigée à mon prénom. Je me suis toujours dit que j’aurais aimé avoir un nom plus original, plus valorisé, plus amusant que le mien. Devoir mon prénom à un roman formidable, ou à un film comme Paris-Texas.

Mais enfin j’imagine que la petite princess et moi n’auront pas forcément les mêmes préoccupations. Elle n’aura pas à lire Charlotte Brontë dans une langue étrangère. Et porter un prénom de bourge ne devrait pas l’ennuyer trop… Elle pourra d'ailleurs se référer à Charlotte Casiraghi pour savoir ce que c'est d'être une princesse nommée Charlotte.

Par ailleurs, si l’ordre de ses prénoms avait été inversé, la petite enfant royale aurait pu s’appeler Diana. Et porter en premier prénom celui d’une princesse flouée, trompée, malheureuse et morte dans un accident de voiture. Aurait-ce vraiment été de meilleur augure?

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