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En Israël, les Éthiopiens sont les nouveaux Marocains

Les manifestations violentes en Israël de juifs éthiopiens rappellent étrangement les manifestations des originaires d’Afrique du Nord dans les années 1970. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. La cohabitation de communautés de différentes contrées ne se fait pas sans heurts, même si elles ont en commun la même religion. Hier, les juifs d’Afrique du Nord souffraient de discrimination et aujourd’hui c’est au tour des juifs éthiopiens, victimes en plus de racisme.

Un juif éthiopien arrêté par des policiers lors d'une manifestation à Tel Aviv le 3 mai 2015 | REUTERS/Baz Ratner
Un juif éthiopien arrêté par des policiers lors d'une manifestation à Tel Aviv le 3 mai 2015 | REUTERS/Baz Ratner

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En Israël, dans les années 1970, les Blacks Panthers, par similitude avec les Afro-Américains, conduits par le leader marocain Charlie Biton, avaient créé un mouvement de protestation et de soutien des immigrants d’origine marocaine. En communauté de destin avec les Arabes israéliens, ils avaient constitué la première organisation qui s’était donnée pour mission d’œuvrer pour la justice sociale et pour la défense des défavorisés orientaux, victimes de discrimination dans le pays.

En mars 1971, les Blacks Panthers avaient manifesté pour protester contre la pauvreté de leur communauté, contre l’écart entre riches et pauvres et contre les tensions ethniques dans la société juive. Le 18 mai 1971, entre 5.000 et 7.000 manifestants s’étaient réunis à la place Sion à Jérusalem alors que la manifestation avait été interdite par la police. Les forces de l’ordre s’étaient violemment opposées à une foule en colère faisant une vingtaine de blessés hospitalisés et 74 arrestations. Le Premier ministre de l’époque, Golda Meir, avait refusé de reconnaître ce mouvement social. Mais la manifestation du 18 mai avait contraint le gouvernement israélien à prendre en compte les revendications des Orientaux en créant une commission dont les conclusions avaient confirmé que la discrimination existait à de nombreux niveaux de la société.

Des mesures avaient été décrétées qui n’ont pu être mises en place en raison de la guerre de Kippour de 1973.

Les Orientaux étaient soumis à des attitudes discriminatoires. Ils étaient abandonnés, plusieurs années après leur arrivée, dans les centres de transit, les ma'abarot, villages de tentes ou de caravanes dans lesquels ils avaient été placés à leur immigration en Israël. Ils avaient été humiliés par les autorités d’immigration qui leur rasaient la tête et pulvérisaient leur corps de pesticide DDT. Ils ont été forcés de se plier aux injonctions de l’élite socialiste avec une volonté affichée de détruire la structure familiale traditionnelle. Ils ont alors subi des années de pauvreté et de chômage qui les ont maintenus en état d’échec social. Il a fallu attendre le Premier ministre travailliste Ehud Barak pour que soit reconnue officiellement cette situation:

«Nous devons admettre que le tissu intérieur de la vie commune a été déchiré. Parfois, le tissu intime de la vie de famille a été déchiré. Beaucoup de souffrances ont été infligées aux immigrés et la souffrance a été gravée dans leurs cœurs, ainsi que dans le cœur de leurs enfants et petits-enfants… Je demande par la présente le pardon en mon nom propre et au nom du mouvement ouvrier historique.»

Différences culturelles

Mais ce soulèvement avait donné conscience du problème des juifs d’Orient qui a été exploité par Menahem Begin pour gagner les élections de 1977 et mettre fin au pouvoir des travaillistes installés aux commandes du pays depuis la création de l’État d'Israël en 1948. Il avait été le premier dirigeant ashkénaze à offrir aux orientaux des postes politiques de haut niveau.

Les différences culturelles entre Orientaux et Ashkénazes ont été réduites au fil du temps, grâce surtout à l’intégration par l’armée, mais subsistait toujours une ségrégation, en particulier dans le domaine du logement, des études universitaires et des possibilités d'intégration professionnelles.

Les problèmes rencontrés dans les années 1970 se renouvellent avec la communauté éthiopienne qui avait été amenée en Israël par deux opérations de sauvetage, l'Opération Moïse (1984) et l'Opération Salomon (1991), alors que la guerre civile et la famine sévissaient en Éthiopie. On évalue à 130.000 le nombre d’originaires d’Éthiopie, ou Falashas, dont 32% sont des Sabras, nés en Israël. Mais, contrairement aux Marocains, leur intégration a été compliquée par des attitudes racistes de la part de certains éléments de la société israélienne et de la part des rabbins qui contestaient leur judaïsme.

Un scandale en 2009 avait choqué l’opinion lorsque des enfants d'ascendance éthiopienne s'étaient vus refuser l'admission dans trois écoles religieuses semi-privées dans la ville de Petah Tikva, banlieue de Tel-Aviv.

Des erreurs ont par ailleurs été commises par l’administration, comme celle d’interdire les dons de sang de cette communauté sous prétexte de risques sanitaires. L’incompétence bureaucratique a entraîné une détresse et un fossé culturel entre une communauté traditionnelle et la majorité de la population technologiquement avancée. Mais nombreux sont ceux qui voyaient un alibi dans la lutte contre le racisme et les préjugés dans la désignation forcée de députés d’origine éthiopienne et dans la nomination en 2012 du premier ambassadeur d'origine éthiopienne, Belaynesh Zevadia.

Un scandale avait été éclaté en 2010 lorsqu’Israël avait été accusé d'une «politique de stérilisation» visant les juifs éthiopiens à partir de prescription de médicaments contraceptifs. Les autorités avaient d’abord nié cette allégation, puis l’avaient admise plus tard en ordonnant aux gynécologues l’arrêt de l'administration de ces médicaments pour les femmes d'origine éthiopienne.

Brutalité policière

Mais les manifestations actuelles ont pour origine la brutalité policière comme en 1971 contre les Marocains.

En avril 2015, un soldat israélien d’origine éthiopienne, Damas Pakedeh, a été arrêté et accusé d'avoir attaqué le policier alors qu’une vidéo de contrôle attestait du contraire, de son attitude passive.

Il a estimé que l'incident avait une motivation raciale. Le chef de la police a exigé de poursuivre le policier en raison «d’une violation flagrante de la loi fondamentale du respect des autres et de leur liberté par ceux qui sont censés nous protéger». Mais cet incident n’est pas le premier concernant le comportement de la police à l’égard des Israéliens éthiopiens.

Des centaines d'Éthiopiens ont participé à des manifestations dans les rues de Jérusalem, le 20 avril 2015, pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme «un racisme rampant».  Des centaines d’Éthiopiens sont descendus dans les rues de Tel-Aviv, le 3 mai, en bloquant totalement la circulation sur les artères principales et sur le périphérique aux heures de pointe. Ils ont été rejoints par des militants sociaux, des membres des mouvements de jeunesse, des députés de la Knesset et des militants des partis de gauche et du centre.

Les Éthiopiens représentent en majorité le prolétariat israélien en occupant des emplois à bas niveau, à l’instar des immigrés en Europe. Leur couleur est souvent un frein à l’embauche à des postes élevés. Seule l’armée ne connaît pas la discrimination puisque les Éthiopiens s’engagent en masse dans les unités combattantes et les unités d’élite. Mais il est difficile de changer l’état d’esprit de la population puisque l’origine des manifestations est la violence de la police contre un militaire en tenue. La comparaison avec la situation à Baltimore vient vite à l’esprit, la police blanche qui frappe un noir ou qui use du délit de «sale gueule».

La nouvelle génération d’Éthiopiens est plus contestataire que celle de leurs parents et elle exige d’être traitée avec égard. Israël risque donc de connaître les problèmes rencontrés en Europe avec les enfants d’immigrés. La situation des juifs orientaux a mis plus de trente ans pour être assainie. Il est à craindre qu’il en faille autant pour les juifs éthiopiens, qui ont l’inconvénient supplémentaire d’avoir une couleur de peau différente.

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