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Elections britanniques: le triomphe annoncé des nationalistes écossais

Le SNP, qui n'a jamais envoyé plus de 11 députés à Westminster, devrait cette fois-ci en faire élire plus de 50, remettant complètement en question le système politique local, dont auront quasiment disparu travaillistes comme conservateurs.

REUTERS/Cathal McNaughton.
REUTERS/Cathal McNaughton.

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Le 2 avril dernier, les téléspectateurs britanniques ont vu sur leurs écrans une scène inédite: sept pupitres en arc de cercle derrière lesquels siégeaient sept leaders de partis politiques, qui ont débattu en direct pendant deux heures. Dans un système politique traditionnellement bipartite, avec d’un côté les conservateurs, de droite, de l'autre les travaillistes, de gauche, et les libéraux-démocrates, centristes, qui venaient titiller les deux grands partis, c’est une révolution. Voir mis sur un pied d’égalité David Cameron, Premier ministre conservateur, Nick Clegg, le vice-Premier ministre et partenaire de coalition libéral-démocrate, Ed Miliband, le challenger travailliste, Nigel Farage, du parti eurosceptique Ukip, Natalie Bennett, des Verts, Leanne Wood, du parti gallois Plaid Cymru, et Nicola Sturgeon, Première ministre d’Ecosse et leader du Scottish National Party (SNP), était tout simplement extraordinaire.

C’est que ces derniers mois, les cartes de la politique britannique ont été complètement redistribuées, si bien que les élections générales du jeudi 7 mai, lors de laquelle les Anglais, les Gallois, les Ecossais et les Nord-Irlandais iront élire leurs MPs (Members of Parliament, les députés) sont les plus imprévisibles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 50, 97% des votes allaient soit aux Tories, soit aux travaillistes. Il semblerait que dans le meilleur des cas, ils ne remportent chacun qu’un tiers des voix. Dans ce paysage qui s’est considérablement fragmenté en très peu de temps, ce n’est pas l’extrême-droite qui vient changer la donne: c’est le score du SNP, seulement présent en Ecosse, et dont le but original est de militer pour son indépendance, qui va – ironiquement– influencer l’issue du scrutin ce jeudi.

Si l’on en croit les sondages, les travaillistes, habituellement ultra-majoritaires en Ecosse, ne devraient avoir que cinq ou six élus dans le meilleur des cas, tandis que leur adversaire SNP passerait de six MPs à plus de 50. Certaines grandes figures du Labour tomberaient en face de nouvelles têtes, qui ont fait leur apparition pendant la campagne du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse ces deux dernières années.

Pour comprendre ce qui se passe, il faut se pencher sur le cas de Tommy Sheppard. Fondateur et propriétaire des salles de comédie The Stand Comedy Club à Edimbourg, Glasgow et Newcastle, il se présente dans la circonscription d’Edimbourg Est. Il est bien parti pour détrôner Sheila Gilmore, députée travailliste élue en 2010.

«On est devenu l'une des nations les plus politisées d'Europe»

Tommy Sheppard est très représentatif du cataclysme qui se passe en Ecosse. Il n’est pas nouveau en politique: il s’est déjà présenté à la députation en 1992 dans le Suffolk, au sud de l’Angleterre, sous l’étiquette travailliste. Les années passent et, en 2003, «il échoue à renouveler son adhésion au Labour Party, car le Labour Party l’a quitté», comme il le dit de manière humoristique sur son site. «Après, je n’ai pas été très actif politiquement, car j’ai monté ma propre affaire. Et au fur et à mesure, j’ai été convaincu par les arguments en faveur de l’indépendance de l’Ecosse, car c’était le moyen de mettre en oeuvre l’agenda social-démocrate dans lequel je croyais quand j’étais au Labour. Mes convictions fondamentales n’ont jamais changé, ce qui a changé, c’est ma manière de vouloir les voir se mettre en place.»

Dès lors, il s’est fortement investi dans la campagne pour l’autodétermination, qui a duré des mois mais qui a passionné les électeurs écossais jusqu’au bout. Tommy Sheppard s’en souvient avec émotion. «Je pense que la campagne du référendum a été unique. J’ai 56 ans, j’ai fait deux-trois choses dans ma vie, et je n’ai jamais rien vécu de semblable», commence-t-il. «C’était formidable, un véritable éveil politique du peuple. On est devenu l’une des nations les plus politisées d’Europe, sinon du monde. Les gens se rassemblaient dans les pubs non pas pour regarder le football, mais pour regarder les débats politiques.» Au pic de tension de la campagne, l’été dernier, partout il n’était plus question que du référendum. Les soutiens pour le «oui» à l’indépendance s’activaient, et début septembre, un sondage le donnait gagnant. Pourtant, le 18 septembre, 55% des Ecossais ont exprimé leur souhait de vouloir rester dans le Royaume-Uni.

«Après le référendum, j’étais complètement dégoûté et perdu… pour deux ou trois jours», avoue Tommy Sheppard. «Et après, je me suis rendu compte que 45% de votes en faveur de l’indépendance, c’était un bon résultat et que cette énergie politique n’allait pas s’envoler. Par la suite, beaucoup de gens comme moi se sont dit: il faut qu’on s’organise. Et beaucoup se sont dit que rejoindre le SNP était la chose la plus logique à faire.»

C’est là que les choses sont devenues intéressantes pour les commentateurs, fantastiques pour le SNP et désastreuses pour le Labour. Les vainqueurs semblaient avoir perdu, les perdants semblaient avoir gagné. Le Labour a connu une polémique interne qui a conduit à la démission de la dirigeante locale, Johann Lamont, remplacée par Jim Murphy, député de Glasgow, qui va, comme la quasi-totalité de ses camarades travaillistes, peiner à garder son siège. Pendant ce temps, au SNP, c’était le grand soir. Tommy Sheppard semble être à court de superlatifs pour décrire ce qu’il se passe. «C’est complètement fou. Le nombre de militants a quadruplé depuis le vote. Dans ma circonscription, un adulte sur trente est membre du SNP.»

Ce vent de changement dans les rangs du SNP vient du fait que les pro-indépendance ont pu prendre conscience de leur nombre et de l’influence qu’ils peuvent avoir. Mais le leadership du party n’y est pas pour rien non plus: l’ancien Premier ministre écossais Alex Salmond, qui avait fait du combat pour l’indépendance sa raison d’être, a choisi de laisser sa place dès le lendemain de la défaite à son adjointe, Nicola Sturgeon, moins clivante que son mentor. Nicola Sturgeon a très clairement dit que l’élection du 7 mai n’avait rien à voir avec l’indépendance et qu’elle n’avait aucune intention d’organiser un second référendum dans le futur proche, à moins que des circonstances exceptionnelles ne le commandent, comme une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, à laquelle une majorité d’Ecossais sont opposés.

Dans le même temps, elle reste sur une ligne sociale-démocrate assumée, dans laquelle elle affirme la nécessité de réduire le déficit public sans étouffer les gens ordinaires, en défendant l’impôt progressif et les services publics. Elle dédiabolise le SNP, décrit par les autres partis comme dangereux et qui divise les Britanniques, tout en faisant campagne sur des thèmes chers aux électeurs traditionnels travaillistes. C’est une stratégie qui a l’air de marcher: elle serait aujourd’hui la femme politique la plus populaire du Royaume-Uni.

«Le parti travailliste mène une campagne basée sur la peur»

Alors, quelles conséquences si jamais le Scottish National Party remporte presque tous les sièges en Ecosse? Par la force des choses, aucun des deux principaux partis, Labour et Tories, ne remporterait une majorité. Ce fut déjà le cas en 2010, et David Cameron a du obtenir le soutien de Nick Clegg pour former une coalition. Cette fois-ci, les libéraux-démocrates ne devraient pas être en mesure de peser dans la balance car ils perdraient énormémement de sièges, à cause notamment de leur promesse non tenue de supprimer les frais d’inscription à l’université –frais qui ont été triplés en 2010.

Nicola Sturgeon a donc proposé un pacte à Ed Miliband, le challenger travailliste: le SNP votera la confiance s’il accepte de mettre fin à l’austérité. Lors du dernier débat télévisé avec les chefs de partis, Miliband a dit que dans aucune circonstance, il ne ferait alliance avec les nationalistes écossais. Or, selon les études d’opinion, la seule majorité qui tiendrait la route serait une majorité Labour-SNP.

Les déclarations de Miliband vont probablement faire réfléchir les électeurs à deux fois. «Le parti travailliste mène une campagne basée sur la peur, en disant aux gens que voter SNP, c’est comme donner une voix aux conservateurs. Certaines personnes le croient et voteront Labour parce que c’est le moindre mal. Nous, nous disons que nous pouvons mettre les Tories dehors, car jamais nous ne les soutiendrons», affirme Tommy Sheppard. Avec les électeurs historiques du Labour et ceux qui ne veulent pas donner leur voix à un parti indépendantiste, on a affaire à un vivier d’électeurs qui ne voteront de toute manière jamais pour le SNP. Mais cela fait de nombreuses années que la base électorale du Labour s’effrite en Ecosse. Le parti a tout de même réussi à garder de nombreux élus, mais certains signes ne trompent pas: il a perdu le Parlement écossais en 2007 face au SNP, qui, en 2011, a obtenu une majorité absolue des sièges, chose qui paraissait jusque là inimaginable dans le système de représentation proportionnelle utilisé pour désigner les élus à Edimbourg.

Cette fois, le changement de stratégie du parti par rapport aux élections britanniques va chambouler la représentation politique de l’Ecosse –jusqu'ici, jamais le SNP n'a envoyé plus de 11 députés à Westminster. «Pour être honnête, il n’y a même pas dix ans, le SNP ne se souciait pas vraiment des élections générales britanniques. Il présentait des candidats, mais c’était secondaire par rapport aux élections législatives écossaises. Mais ça a changé. Nous ne voulons pas faire partie du gouvernement, mais nous voulons pouvoir l’influencer», explique Tommy Sheppard.

La dynamique du parti est inouïe, et elle est bien partie pour durer jusqu’aux prochaines échéances électorales de 2016, où les Ecossais éliront leurs députés au Parlement décentralisé à Edimbourg. Une hégémonie qui pose beaucoup de questions sur le visage qu’aura la politique de la nation celtique, avec des conservateurs quasiment rayés de la carte et des travaillistes qui semblent prendre le même chemin.

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