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Le Royaume-Uni aurait plus à perdre que l’Europe à en sortir

Une poussée des europhobes britanniques aux élections législatives ne serait pas de bon augure pour l’économie britannique. Les incertitudes sur l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’Europe créent déjà des inquiétudes à la City.

Des cochons tirelires aux couleurs de l'Union Jack | REUTERS/Darrin Zammit Lupi
Des cochons tirelires aux couleurs de l'Union Jack | REUTERS/Darrin Zammit Lupi

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N’en déplaise aux 56% de Britanniques qui souhaiteraient sortir de l’Union européenne, et sans vouloir les provoquer, le Royaume-Uni aurait peut-être plus à perdre que l’Europe si l’hypothèse se réalisait. Au moins au plan économique.

Le commerce extérieur constitue un bon indicateur. Selon l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), le Royaume-Uni pointe à la sixième place mondiale pour les importations de marchandises et à la huitième pour les exportations. Dans les services, grâce à l’activité de la City qui défend toujours face à New York son titre de première place financière mondiale, il se hisse à la deuxième place internationale pour les sorties et à la cinquième pour les entrées.

On ne s’étonnera pas de ce dynamisme dans les échanges mondiaux, historique pour la nation dont le pavillon rayonna longtemps au plus haut sur tous les océans et qui reste incontournable dans la finance internationale. Mais si la balance est positive pour les services, elle affiche un lourd déficit pour les marchandises.

Partenaires européens

Aujourd’hui d’après les statistiques d’Eurostat, environ 55% des échanges du royaume sont réalisés avec les autres pays membres de l’Union européenne. Il est intéressant de noter que, jusque dans les années 1970-80, la majorité des échanges revenait aux anciens «dominions», colonies britanniques avec lesquelles la Grande Bretagne conserva des relations commerciales étroites même après les indépendances.

L’ancien empire colonial tenait alors la place occupée aujourd’hui par l’Union européenne dans le commerce extérieur britannique. Les États-Unis entretenant par ailleurs des liens commerciaux historiques avec le Royaume Uni, celui-ci regardait donc l’Europe continentale d’assez loin et ne lui réservait qu’une part minoritaire dans ses échanges.

Mais l’émancipation des anciennes colonies obligèrent les Britanniques à trouver d’autres débouchés et de nouveaux fournisseurs. Londres se mit alors à s’intéresser d’un peu plus près à l’autre côté de la Manche. Après l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne en janvier 1973, l’idée y germa de rompre avec son insularité pour développer ses échanges avec le continent.

Le projet d’un lien fixe –en l’occurrence, un tunnel sous la Manche– n’était pas nouveau. Les nostalgiques d’un Royaume-Uni conquérant, farouchement jaloux de son superbe isolement, avaient déjà eu l’occasion de faire échec à de précédents projets. Le plus avancé, lancé en 1957 pour des travaux engagés en 1973, avait été abandonné dès 1975. Aussi lorsque François Mitterrand et Margaret Thatcher –pourtant peu europhile– s’entendirent pour lancer un nouvel appel d’offres en 1984, les lobbies attachés à l’insularité se mobilisèrent à nouveau contre la construction d’un lien fixe.

Mais cette fois, bien que l’aventure se soit soldée dans un premier temps par un fiasco financier (le coût, initialement avancé de 7 milliards d’euros, dépassa finalement 15 milliards), le chantier lancé en 1987 déboucha sept ans plus tard sur la mise en service du tunnel sous la Manche, en 1994. Et en 2004, seulement dix ans d’exploitation, le Royaume-Uni avait doublé ses échanges avec l’Europe continentale. La tendance s’est ensuite poursuivie.

De sorte qu’aujourd’hui, selon Eurotunnel, en plus des 20 millions de passagers qui empruntent chaque année le tunnel en Eurostar ou sur des navettes, ce sont quelque 20 millions de tonnes de marchandises (18,7 millions de tonnes par les poids lourds sur les navettes et 1,65 million par les trains de fret) qui passent par le lien fixe. Tout cela en plus du trafic des ports, pour l’acheminement des marchandises provenant des autres régions du globe. Le tunnel a véritablement arrimé le Royaume-Uni à l’Europe.

4 à 5% du PIB

Bien sûr, une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne signifierait pas que les 64 millions de Britanniques couperaient les ponts avec les 510 millions d’habitants de l’Union européenne, ni même avec les 335 millions de la zone euro, dont les Britanniques ne font de toute façon pas partie. Mais cette distance introduite avec l’Europe continentale aurait forcément des conséquences sur les relations établies de part et d’autre du Channel.

De nouveaux accords commerciaux pourraient être conclus, mais ils n’assureront jamais une aussi grande fluidité des échanges

Au point que des groupes internationaux s’en inquiètent, et que certains installés outre-Manche pourraient décider de déplacer leur siège européen sur le continent, là où le marché leur semble le plus porteur compte tenu de son volume.

La Grande-Bretagne perdrait les avantages de son intégration dans le marché unique européen. Certes, de nouveaux accords commerciaux pourraient être conclus, à l’image de ceux qui existent par exemple entre l’Union européenne et la Norvège ou la Suisse. Mais ils n’assureront jamais une aussi grande fluidité des échanges.

La Confédération de l'industrie britannique (CBI), qui représente environ 240.000 entreprises, a déjà pris position en faveur du maintien dans l’Union européenne, évaluant à 4 ou 5% du PIB britannique l’intérêt de poursuivre cette adhésion. Cette prise de position n’est pas étonnante: elle était déjà la même lors de précédentes consultations électorales, ce qui n’empêche pas le patronat britannique de critiquer la Commission européenne et les lourdeurs de fonctionnement de l’Europe.

La fondation allemande Bertelsmann Stiftung va plus loin encore. Elle estime que la sortie de l’Union se traduirait par une réduction de 3% du PIB par habitant à l’horizon 2030. Mais selon les scénarios, en intégrant des effets induits, comme la perte d’influence de la place financière de Londres, une sortie de l’Union pourrait coûter au Royaume-Uni jusqu’à 14% de son PIB!

En outre, ce n’est pas une sortie de l’Union qui permettrait à la Grande-Bretagne de renouer avec son passé rayonnant. Son potentiel industriel a beaucoup diminué, même si le redressement de la production manufacturière a permis à la valeur ajoutée industrielle du Royaume Uni (20,2% du PIB) de rattraper voire légèrement dépasser celle de la France (19,8%), selon la Banque mondiale.

Suprématie financière bousculée

Par ailleurs, la monnaie britannique n’a plus la puissance qu’elle exerçait au siècle dernier. Pire: aujourd’hui, c’est l’euro qui joue le rôle de deuxième monnaie de réserve internationale derrière le dollar. Ainsi, dans la guerre des monnaies, la livre a été vaincue par l’euro –même si, sous l’effet des réformes menées outre-Manche, elle s’est redressée.

Surtout, Londres pourrait bien perdre sa place de première place financière mondiale. Déjà en 2013, New York lui a déjà ravi ce leadership. Les incertitudes sur son maintien au sein de l’Union européenne inquiètent les opérateurs de marché, qui font de plus en plus le voyage de Hong-Kong. De sorte que la place asiatique, troisième mondiale, progresse quand la britannique est sur la défensive. Et Singapour, aussi, marque des points.

En outre, la notoriété de la City a été entachée par plusieurs scandales de manipulation du taux interbancaire dans lesquels les établissements-vedettes de la place ont été impliqués.

On pourra toujours prétendre que ce sont les réglementations de l’Union européenne, notamment pour encadrer le montant des bonus, qui poussent les opérateurs à s’installer hors d’Europe. Mais le déplacement du centre de gravité de la finance mondiale tient à des raisons plus fondamentales, qui tiennent à la compétitivité et au potentiel de développement de la région asiatique.

Or, déconnecté de  la région du monde –l’Union européenne– où le PIB est le plus élevé, le Royaume-Uni obligerait les grandes banques de la zone euro à réviser leur stratégie d’implantation. Sans déserter complètement la City, mais en procédant à de nouveaux arbitrages pas forcément à l’avantage de Londres. Les incertitudes sur le «Brexit» (la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne) ont déjà des conséquences qui s’en rapprochent: manquant de visibilité, des grandes banques d’affaires délocalisent leurs équipes.

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