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Et si on s'inspirait du modèle finlandais pour que les collégiens soient meilleurs en maths?

L'épreuve de mathématiques du brevet a changé, mais pas les programmes ni la façon d'enseigner.

<a href="https://www.flickr.com/photos/matsurika27/6654080347/in/photolist-dCpTmf-4Nmjzj-axzPy4-av3Lyc-9Md5QC-9Md5Mf-5kTkVq-b8ZUge-5GWNTT-9Mai3i-4UUkLE-4UQ488-hbV1zY-djaFtt-771N9b-aJPdQn-djaFet-4PyLho-624N9B-Gu5qY-djaFxZ-8N2xDo-682ozp-88bgji-5sidGk-4KgiQw-8ML3xv-8MPazf-8ML5hB-7MMSrV-pnUqgS-5dikgj-2AS5Db-8MKZnr-n8rt2Z-drdN2F-8ML8wF-7rfZZy-2AMGkz-5gd7Yx-5gd7W4-5ghs1u-4wpEBh-4wkuxi-4wpEBo-4wpCxY-4wpE97-4wpEBu-4wkuxe-4wpCxW">Ces multiplications vous laissent perplexes?</a> | JJ Losier via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Ces multiplications vous laissent perplexes? | JJ Losier via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

Le chiffre est tombé comme un couperet: dans une note délivrée sur le site du ministère de l’Éducation nationale, on a appris récemment que près de deux tiers des collégiens n’avaient pas obtenu la moyenne lors de l’épreuve de mathématiques du brevet 2014.

À l’annonce de ce piètre résultat, les salles des profs se sont comme toujours scindées en plusieurs clans. Il y a ceux qui pensent que c’est évidemment la faute des élèves, dont le niveau et le sérieux diminuent d’année en année. D’autres entrent dans un mécanisme de culpabilité, pensant qu’ils sont sans doute passés à côté des enjeux de l’épreuve, et donc qu’ils y ont mal préparé leurs élèves.

Un peu honteusement, j’avoue avoir été soulagé par ces résultats inquiétants: les élèves du collège dans lequel j’enseignais l’an dernier n’ont donc pas été les seuls à obtenir des notes décevantes, ce qui m’a permis de ne pas en faire un échec personnel. Pour autant, il n’était évidemment pas question de se réjouir qu’une grande partie des élèves français ait subi les mêmes déconvenues que dans mon établissement. Il fallait donc creuser plus loin.

On le sait depuis de trop nombreuses années: nos jeunes pousses ne brillent pas par leurs résultats en mathématiques. Les résultats du dernier test Pisa ont apporté des résultats très mitigés et guère surprenants: en maths, la France n’est que 25e sur 65 pays participants. Du test Pisa au DNB (diplôme national du brevet) 2014, la conclusion est la même: les élèves français peinent à mettre en application les notions qui leurs sont enseignées. Ce qui n’est guère étonnant.

Épreuve moins scolaire

Ce qui se produit en classe de troisième relève du paradoxe le plus aberrant. Depuis 2013, l’épreuve de mathématiques du brevet a changé. Auparavant, elle se présentait en trois parties, toutes notées sur 12 points: activités géométriques, activités numériques, problème. Quatre points concernant la bonne tenue et rédaction de la copie venaient compléter la note sur 40. D’une manière générale, réussir l’épreuve revenait à appliquer des techniques mises en œuvre au cours des années de collège, au gré d’exercices souvent peu innovants. Thalès, Pythagore, l’algorithme d’Euclide: savoir appliquer les grands classiques sur des exemples standards permettait d’accéder sans trop de difficultés à une note acceptable.

Mais parce qu’il fallait pousser nos élèves à prendre davantage d’initiatives et à se montrer moins scolaires, l’épreuve a donc changé il y a deux ans.

Voilà ce que disent les textes:

«Le sujet est constitué de six à dix exercices indépendants. Les exercices correspondent aux exigences du socle commun pour la série professionnelle et portent sur différentes parties du programme de troisième pour la série générale. L'ensemble du sujet doit préserver un équilibre entre les quatre premiers items de la compétence 3 du socle commun de connaissances et de compétences –les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique appliqués à l'activité de résolution d'un problème mathématique:

  • rechercher, extraire et organiser l'information utile;
  • mesurer, calculer, appliquer des consignes;
  • modéliser, conjecturer, raisonner et démontrer;
  • argumenter et présenter les résultats à l'aide d'un langage adapté.

L'essentiel de l'épreuve évalue ces capacités.

Un des exercices au moins a pour objet une tâche non guidée, exigeant une prise d'initiative de la part du candidat.»

Pour réussir l’épreuve du brevet, l’élève doit maintenant faire preuve d’esprit d’initiative. Pythagore et les autres sont toujours de la partie, mais ils ne suffisent plus

Traduction: pour réussir l’épreuve, l’élève doit maintenant faire preuve d’esprit d’initiative, montrer sa capacité à raisonner au-delà des simples grandes lignes du programme, se débrouiller comme un grand face à des tâches plus concrètes que ce qui était proposé auparavant. Pythagore et les autres sont toujours de la partie, certes, mais ils ne suffisent plus.

Élèves cobayes

En toute logique, qui dit refonte de l’épreuve de mathématiques du brevet dit refonte de l’enseignement des mathématiques en collège (ou, au minimum, en classe de troisième). Sauf que, sur ce plan, il ne s’est rien passé. Absolument rien.

On a continué à enseigner les mêmes notions, de la même façon, sans qu’aucune modification du programme ne soit apportée pour permettre de préparer réellement les élèves à la nouvelle épreuve qui les attendait. Les profs de maths de troisième ont continué leur course contre la montre pour boucler le programme, sans avoir le temps de se soucier réellement de ce qui allait attendre leurs élèves au mois de juin.

Bien sûr, certains enseignants quatre étoiles ont eux-mêmes fait preuve d’un esprit d’initiative admirable en se livrant à des expérimentations pédagogiques poussées de façon à livrer un enseignement adapté. Pendant ce temps, les profs de ma trempe, à savoir ceux qui ne se sentent pas capables de réinventer leurs pratiques de fond en comble sans qu’on leur tienne la main, ont continué à travailler comme si l’épreuve du brevet n’avait pas changé, en croisant les doigts pour que ça passe. Et badaboum. Ça n’est pas passé.

Dans l’idéal, il faudrait que chaque enseignant, en mathématiques comme ailleurs, soit assez courageux et assez finaud pour parvenir à modifier en profondeur sa façon d’aborder le programme. La réalité est plus compliquée, notamment parce que nous n’avons aucun recul.

Seuls avec nos élèves la plupart du temps, nous n’avons pas d’enseignants référents ou de grands chefs pédagogues auxquels demander un avis sur les méthodes que nous pourrions avoir envie d’expérimenter. Les inspecteurs ont beau nous assurer de leur disponibilité en cas de besoin, il est clairement impossible de leur demander de nous rendre visite quand bon nous semble pour donner leur avis sur telle ou telle façon de faire. Il faut donc modifier sa façon d’enseigner seul dans son coin, avec pour seul avis celui des élèves, pas toujours ravis à l’idée de jouer les cobayes.

Repenser l'enseignement

Il faut donc repenser en profondeur les programmes, et surtout la façon de les enseigner. Pour réussir des épreuves plus concrètes que par le passé, censées refléter les réalités de la vie d’adulte en termes de besoins mathématiques, il faut travailler dans cet objectif pendant toute l’année de troisième, et a fortiori dans les quatre années de collège.

Tant pis pour la beauté des cours magistraux sur les grandes notions mathématiques, qui font plaisir aux professeurs mais ont tendance à assommer les élèves: il nous faut désormais réfléchir en termes de besoins à court terme (l’épreuve du brevet) et à plus long terme (la vie courante). Pourquoi pas en suivant le modèle que s’apprête à adopter la Finlande, qui veut abandonner les matières au profit des «sujets».

Pour que plus jamais les profs de maths n’entendent le fameux «Et le cosinus, à quoi ça sert en vrai?»

Ce modèle finlandais est totalement dans le bon esprit. Appliquer mille fois le théorème de Pythagore dans le triangle ABC, c’est bien, mais l’utiliser à bon escient pour calculer la longueur d’un toit et en déduire le nombre de tuiles nécessaires, c’est mieux.

Plus jamais les profs de maths n’entendront le fameux «Et le cosinus, à quoi ça sert en vrai?» si justement, dès le départ, l’objectif est de s’ancrer dans le réel pour en dégager ensuite des besoins mathématiques. Pour que les collégiens deviennent de jeunes actifs indépendants et innovants, capables de ne compter que sur eux-mêmes si besoin et de mener à bien des projets concrets, il convient de les responsabiliser le plus tôt possible.

Meilleurs en maths, meilleurs en langues, meilleurs en français: c’est sans doute par ce modèle à la finlandaise que passe le salut de nos jeunes. Pas sûr que le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui vient d’être publié par le ministère permette de changer quoi que ce soit au problème: modifier les grilles de lecture sans repenser le contenu et les façons de le dispenser, c’est jeter de la poudre aux yeux des élèves, de leurs parents et de leurs enseignants.

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