Sports

Foot: pourquoi il ne faut pas que les Bleus aillent au Mondial 2010

Une qualification ne permettrait pas de résoudre les problèmes dont souffre l'équipe de France.

Temps de lecture: 7 minutes

Il y a tout juste deux mois, le 9 septembre, nous publiions cet article, entre deux matchs de l'année pour l'équipe de France. Les Bleus n'ont pas réussi à se qualifier directement pour le Mondial 2010 et ils jouent ce samedi soir et mercredi leur place pour l'Afrique du Sud. Il suffit de modifier le maillot de l'équipe que les joueurs de Domenech rencontrent, le fond de l'article de Mathieu Grégoire ne change pas: une élimination serait finalement pas une mauvaise chose. Cet article était alors titré allez les Serbes. bis repetitae: Go Ireland, go!

***

Deux alternatives s'offrent désormais aux Bleus. Une série de victoires mirifiques — à commencer par ce mercredi soir à Belgrade (cela n'a pas été le cas) — qui résoudra provisoirement tous les problèmes et obligera l’auteur de ces lignes à s’exiler comme correspondant aux Iles Féroé. Ou un remake de France-Bulgarie 1993, qui écroulera les ruines et laissera le champ à de nouvelles fondations.

A revoir le match de samedi face à des Roumains besogneux, la fin de la campagne tricolore pour l'Afrique du sud ressemble beaucoup à la sortie de l'autoroute américaine. Le but d’Emil Kostadinov avait alors fait pleurer la France entière, hurler les journalistes qui avaient envoyé leur premier papier annonçant la qualification des Bleus, mais surtout permis l’aube d’une époque fastueuse. Moins de trois mois plus tard, le traumatisme à peine dissipé, Ginola banni à jamais, l’équipe cornaquée par Jacquet s’imposait en Italie (1-0, but de Djorkaeff) et relevait la tête. L’été suivant, un certain ZZ signait de la pointe de ses crampons un doublé contre les Tchèques en amical, pour sa première sélection. Cette renaissance est tout ce que l'on peut souhaiter aux principaux intéressés, des joueurs au sélectionneur en passant par le public et la presse. Mais pour ça, il nous faut commencer par une belle défaite, condition extrême mais nécessaire pour débuter le grand nettoyage et solder les comptes. Mon plan d'action en cinq points.

1. Au revoir Raymond.

Il va vous manquer. Vous ne vous en doutez pas encore, mais son immuable quart de sourire aux coins des lèvres, ses réponses sardoniques aux questions en bois de David Astorga, l’homme de terrain de TF1, ses choix incompréhensibles et lunaires… sans jamais rien gagner, coach Ray est déjà passé à la postérité. Domenech. Un être fascinant qui se dit lui-même atteint de dédoublement de la personnalité, qui se fait humilier par la presse, par le président de sa Fédération, par le public, par ses joueurs. Le bouc émissaire ultime, la plus belle excuse de l’histoire du foot français. Le garçon boucher de la défense lyonnaise des seventies a souvent dit qu’il souhaitait jouer le rôle de «bouclier». Aimanter les critiques pour protéger les siens, son équipe. Il a plutôt réussi. Mais même les siens, fidèles soutiens au sortir d’un Euro 2008 désastreux, semblent désormais l'avoir abandonné. Bientôt l’Afrique du Sud s’éloignera définitivement, Raymond ira retrouver Estelle, et tous les acteurs du foot français devront se regarder dans le blanc des yeux.

2. Un président de Fédération plus franc

Domenech a un drôle de chaperon. Jean-Pierre Escalettes est président de la FFF depuis février 2005. Sa voix fut décisive pour apaiser les divisions lors du conseil fédéral qui a reconduit Ray, le 3 juillet 2008. Le dirigeant biterrois n’a guère apprécié le lobbying forcené de certains anciens de France 1998 (Dugarry, Lizarazu…) en faveur de Didier Deschamps, candidat au poste. On ne dicte pas la conduite à suivre à ce fin politique, qui veut intégrer progressivement les glorieux champions du monde dans le giron de la Fédé, mais à sa façon, c’est-à-dire en diluant leur influence. En décembre 2008, Escalettes est réélu à la tête de la FFF, Lilian Thuram intègre le conseil fédéral. Tout le monde est content. Le consensus s’est fait sur le dos de Domenech. Même TF1, diffuseur des Bleus a été consulté sur son maintien. Ce bon Escalettes n’aurait surtout pas voulu contrarier la poule aux œufs d’or : 45 millions d’euros versés chaque année pour les matches des Bleus et les interviews exclusives de David Astorga. La chaîne avait eu l'élégance de voter blanc. Le président de la Fédération doit arrêter de choisir son sélectionneur au gré du vent et de ses intérêts.

3. Clarifier les objectifs

Malgré son Euro à un point et un but, Domenech a survécu. Là où Roberto Donadoni, sélectionneur de l’Italie, est évincé après un quart de finale perdu. Une demande en mariage en direct ou d’autres simagrées n’auraient rien changé pour Donadoni : sa fédération lui avait assigné pour mission une place en demi-finale. Une transparence qui inspirera peut-être un jour la FFF et Escalettes, qui fixe chaque automne à Ray des objectifs fluctuants, sur deux ou trois matches: «Allez, prends moi quatre points sur six et c’est bon. Si t’en prends que trois et que tu fais le spectacle, on te pardonnera.» Je caricature. Un peu.

Il n’y a pourtant aucune honte à changer de patron. Henri Michel, Michel Platini, Gérard Houllier, Roger Lemerre, Jacques Santini ont quitté les Bleus après leurs échecs respectifs. Pas Ray, désormais sélectionneur à la longévité record depuis Michel Hidalo (1976-84)… La FFF a fait preuve d’une frilosité sans égale, préférant garder le fidèle Domenech, homme du sérail (la direction technique nationale), plutôt que de prendre un entraîneur de club confirmé (Deschamps) ou prometteur (Blanc). Alain Boghossian, un autre homme du 12-Juillet, a bien été dépêché aux côtés de Ray, notamment pour préparer l’après Afrique du Sud. Il eut été tout aussi intéressant de préparer un avant Afrique du Sud. Il nous faut un Jacquet pour préparer 2014. L'échéance de l'euro 2012 doit être le point de balancier comme l'avait été l'euro anglais de 1996. Et le tour est joué.

4. Virer les gardiens du temple

Thierry Henry et Nicolas Anelka sont les seuls membres du commando envoyé en Serbie à avoir gagné un trophée avec les Bleus. Cela ne transpire pas dans les attitudes. Un symbole: le blasé Benzema a encore réussi à énerver tout le banc français samedi dernier. Faute d’avoir enfilé ses protège-tibias, il n’était pas prêt à entrer en jeu. Si fort en club, Benzema patauge en sélection, il est l’éternel soupirant, au sens propre comme au figuré. Il symbolise une génération à l’aise dans les meilleurs championnats du monde, installée confortablement dans le sillage et les souvenirs encore fumants des grands Bleus de 1998 et 2000. Qui se croit déjà arrivée sans rien avoir soulevé.

Pour l’enthousiasme d’un André-Pierre Gignac, combien de regards hautains qui ne reflètent en rien le pedigree international du bonhomme. Plus que le jeu développé (on s’ennuyait terriblement sous l’ère Aimé Jacquet, le summum restant France-Suède, somnifère prescrit le 22 avril 1998), c’est ce décalage qui choque. Le bunker suisse où se sont retranchés les Bleus pendant l’Euro. Les caprices d’octobre 2008, quand Gallas, Henry et… Flamini (3 petites sélections) ont demandé au nom du groupe un petit déjeuner plus tardif et un entraînement allégé pour le lendemain du match Roumanie-France (2-2).

Là encore, on notera que Raymond Domenech a tenté dès son arrivée, en août 2004, de faire table rase du passé, remettant en cause certains acquis devenus surannés. Parfois maladroitement, comme avec Robert Pires, mais dans l’idée de façonner un nouveau groupe, prêt à repartir au combat, avide de triomphe. Les retours des héros de la patrie Zidane et Thuram, à l’été 2005, ont changé le destin de cette équipe. Pour son plus grand bonheur, à court terme, avec une finale de Coupe de monde à la clé, Zidane n'adressant pas la parole de l'épreuve à Domenech. Pour son plus grand malheur, à long terme, en déresponsabilisant des héritiers qui se sont barricadés derrière leur énorme casque d'IPod.

5. Se réconcilier avec son public

Après des matches la trouille au ventre — période 2002-2006 — et le calvaire des années suivantes, regarder le Mondial 2010 sans les Bleus reposera tout le monde. Nourri au caviar de Zizou et consorts, le public tricolore n’a plus désormais que ses yeux pour pleurer et ses sifflets pour blesser. Il a aussi la mémoire courte. Malgré l'artiste du quartier de la Castellane, regarder un match des hommes de Jacquet tenait souvent du sacerdoce. Le sélectionneur aimait d’abord les Bleus de travail, imprégnés de culture tactique. Voilà pour le spectacle, notion très relative. La donne est presque similaire pour le fond du problème, le résultat.

La France s’est qualifiée au forceps pour les phases finales de 1996, 2000, 2006 et 2008 (elle était invitée en 1998, 2002 et 2004). Très souvent à la dernière journée, et parfois avec une chance monstrueuse. Une pensée ici pour le pauvre gardien russe Filimonov, auteur d’une boulette mémorable le 9 octobre 1999 à la 89e minute d’un ultime match décisif contre l’Ukraine. Aleksandr Filimonov avait envoyé directement la France à l’Euro 2000, alors que celle-ci se voyait déjà en barrage, derrière une Russie première de la poule.

La gagne a rendu le gentil ‘‘Footix’’ de 1998 moins patient, plus exigeant. Si les supporters de clubs de L1 sont prêts à se fader des années de 0-0 sans sourciller, voire 16 saisons sans trophée pour les admirables disciples de l’OM, le public bleu se veut versatile et intransigeant. Depuis l’Euro 2008, il a sifflé à peu près tout ce qui bougeait, sauf Franck Ribéry, Yoann Gourcuff et l’intendant de l’équipe de France. Quoique pour l’intendant, on n’est plus si sûr. Pour combler ce désamour grandissant, la Fédé a tenté d’éditer une charte miracle (respect du maillot, du public)... Piteux échec. Les supporters ont haussé les sourcils, et Nicolas Anelka n’a pas pour autant chanté la Marseillaise samedi dernier. Le mal est trop profond pour être résolu par un règlement de centre aéré.

Ce soir, on saura si la France va enfin se créer les conditions du renouveau, comme elle aurait dû le faire il y a bien longtemps. En 1994, le jeune Zidane s'était installé en bleu à son rythme, pas forcément frénétique au début.Jamais les Bleus de Domenech n’ont eu cette opportunité depuis cinq ans. Repartir de zéro. Redonner du temps au temps de jeu. Faire des essais, des vrais, et pas juste lancer Pascal Chimbonda, Franck Jurietti, Rio Mavuba, Steve Savidan, Bafétimbi Gomis pour amuser la galerie ou apporter une touche de diversité. Reconstruire, de long en large, un onze qui n’est pas un simple puzzle de talents éparpillés (quelle triste fin de match contre la Roumanie, tant d’âmes en peine sur le terrain). Renaître avec un peu plus de modestie, dans le vestiaire, dans les travées et en coulisses.

Allez les Serbes!

Mathieu Grégoire

Image de une: Thierry Henry et Williams Gallas, au Stade de France, samedi 7 septembre 2009. Benoit Tessier/REUTERS

cover
-
/
cover

Liste de lecture