France / Parents & enfants

La réforme du collège renforce les inégalités sociales, pas le niveau moyen des élèves

L'objectif de cette réforme est de parvenir à «l’excellence pour tous». Mais confondre égalité des chances par la valorisation du mérite et même cursus pour tous est un non-sens.

<a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Salle_de_classe_nature.jpg?uselang=fr">Salle de classe d'un établissement de l'enseignement secondaire</a> | via Wikimedia Commons <a href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/deed.fr">License by</a>
Salle de classe d'un établissement de l'enseignement secondaire | via Wikimedia Commons License by

Temps de lecture: 8 minutes

Les documents dont on a pu prendre connaissance ces derniers jours concernant la réforme du collège prévue pour la rentrée 2016 peuvent prêter à sourire sinon à rire, comme c’est hélas le cas depuis des années en raison de la manière absconse, prétentieuse et pour tout dire ridicule dont ils sont rédigés. C’est en particulier le cas des «nouveaux programmes», dans lesquels on retrouve tout un charabia désormais typique de l’administration de l’Éducation nationale et des experts en pédagogie qui l’accompagnent.

Il n’y a pourtant là rien de drôle. La question est en effet trop importante et l’heure trop grave pour se laisser ainsi aller à prendre à la légère cette énième «réforme» ministérielle qui ambitionne de mettre en place un collège qui, selon les mots mêmes de la ministre, Najat Vallaud-Belkacem «permettra à tous les élèves de mieux apprendre pour mieux réussir en donnant plus de confiance aux enseignants, plus de liberté pédagogique, plus de capacité d’adaptation aux besoins divers des élèves».

Cette volonté ministérielle de réformer, une fois de plus, un collège qui demeure le point noir du système éducatif français n’est pas critiquable en soi. Les enquêtes Pisa et Cedre, citées d’ailleurs par le ministère à l’appui de sa réforme, montrent en effet combien le niveau des collégiens français a baissé à la fois par rapport à leurs prédécesseurs et par rapport au niveau moyen de ceux de l’OCDE, que ce soit en français, en mathématiques ou en histoire-géographie. L’urgence est donc bel et bien là. La réforme est indispensable.

Le problème vient de ce que les orientations qui viennent d’être annoncées ont toutes les chances d’aggraver encore un peu plus la situation. Elles ne répondent pas en tout cas aux objectifs qu’elles se fixent. À la fois parce qu’elles procèdent d’une logique, une nouvelle fois, de nivellement par le bas au nom d’une prétendue égalité, et parce qu’elles reposent, plus largement, sur une vision politique qui n’est pas à la hauteur des enjeux.

Graecum est, non legitur

La réforme du collège annoncée comporte en fait quatre volets: une réorganisation des cycles d’études, des changements dans les modalités de choix d’options linguistiques, la mise en place d’EPI («enseignements pratiques interdisciplinaires») pour 20% du volume horaire hebdomadaire, et des programmes refondus pour s’adapter aux nouveaux cycles.

Les mesures annoncées en matière d’options linguistiques mettent fin à la possibilité pour les élèves de choisir d’apprendre deux langues dès la 6e et de poursuivre dans des classes spécifiques puis en section dite «européenne» –les fameuses classes «bilangues» concernaient 16% des élèves de 6e et de 5e alors que 11% des élèves de 4e et de 3e bénéficiaient de la possibilité d’être en section européenne. Cette possibilité est remplacée par la généralisation dès la 5e de l’apprentissage d’une seconde langue vivante à raison de deux heures par semaine (soit 54 heures de plus sur l’ensemble de la scolarité au collège). De même, les options de langues anciennes, latin et grec, qui concernaient 18% des collégiens, sont supprimées en tant que telles, l’apprentissage des langues anciennes étant intégré aux EPI (dans la thématique «langues et cultures de l’Antiquité»).

Les raisons invoquées d’un tel changement sont, suivant la ministre elle-même, de mettre «l’excellence au service de la réussite de tous les collégiens».

«Il ne s’agit pas, a-t-elle ajouté, de supprimer un droit ou une possibilité pour quelques-uns. Il s’agit de le généraliser.»

Patrick Bloche, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale, l’a précisé ainsi:

«C’est ouvrir à tous l’accès à des dispositifs actuellement réservés à une minorité, le plus souvent privilégiée socialement et culturellement.»

Les élèves issus de milieux favorisés  continueront, dans l’enseignement privé ou grâce à des séjours linguistiques plus nombreux et fréquents, à mieux apprendre les langues étrangères que les autres

Il s’agit donc d’une volonté des pouvoirs publics d’égaliser les conditions d’accès à l’excellence et à la réussite au collège en permettant à tous les élèves de suivre les mêmes volumes horaires de langues étrangères.

On comprend immédiatement qu’il y a là un hiatus entre l’objectif affiché et les moyens mobilisés; plus précisément que l’intention de la réforme procède d’une confusion totale entre déterminisme social, sélection scolaire, égalité des chances et rôle de l’apprentissage des langues!

Des mesures contraires aux objectifs affichés

Comment en effet peut-on penser un instant de rendre plus égalitaire la réussite des élèves au collège –actuellement 75% des enfants issus d’un milieu défavorisé obtiennent le brevet contre 96% des enfants issus d’un milieu très favorisé– en supprimant filières et parcours «d’excellence» que constituaient, de fait, les classes bilangues et les options de langue ancienne? Comment, de la même manière, peut-on imaginer que deux heures de plus par semaine de seconde langue étrangère «pour tous» vont permettre leur apprentissage? Comment, enfin, peut-on envisager que l’enseignement du même nombre d’heures de langues étrangères à tous les élèves va permettre de renforcer le niveau général des collégiens français alors qu’ils ont précisément besoin de temps différenciés?

Les élèves issus de milieux favorisés –et les d’enfants d’enseignants!– continueront, dans l’enseignement privé ou grâce à des séjours linguistiques plus nombreux et fréquents, à mieux apprendre les langues étrangères que les autres, livrés à la seule compétence en la matière de l’Éducation nationale; comme ils continueront à bénéficier d’un accès privilégié aux humanités et à la culture classique, dont on connaît de longue date les vertus non seulement en termes linguistiques mais aussi rhétoriques et de compréhension des codes culturels (art, littérature, histoire…). Le rôle du capital social et culturel sortira donc encore renforcé comme moyen de sélection scolaire.

Bref, à force de discours sur «l’excellence pour tous», il est à craindre que ce soit au renforcement des inégalités sociales d’origine et certainement pas à celle du niveau moyen des élèves que cette réforme participe.

L’interdisciplinarité, paravent du renoncement

Le sentiment d’une occasion manquée est d’autant plus grand que le dégagement de 20% du temps scolaire pour les EPI aurait pu servir à renforcer les cours dans les disciplines fondamentales, dont les langues, pour les élèves en difficulté, en leur donnant ainsi des chances supplémentaires de compenser une origine sociale moins favorable ou un parcours scolaire déjà chaotique. En clair, d’organiser davantage de cours de soutien dans le temps et l’enceinte scolaire: le travail en petits effectifs, collectif et bien encadré permettant aux élèves issus de milieux moins favorisés ou en difficulté de bénéficier ainsi d’une sorte d’«Acadomia» public, donc gratuit.

Il n’est pas du tout certain en revanche que l’idée de développer, pour tous les élèves, quel que soit leur niveau, des enseignements interdisciplinaires (les EPI) fondés sur des «expériences pratiques» autour de thèmes  (deux par année) tels que «le développement durable», «sciences et société», «corps, santé et sécurité», «information, communication, citoyenneté», «culture et création artistiques», «monde économique et professionnel», «langues et cultures de l’Antiquité» ou «langues et cultures régionales et étrangères» soit la plus pertinente alors que nombre d’élèves n’ont pas encore acquis les bases élémentaires dans les disciplines fondamentales qui alimentent ces thématiques. Il est à craindre que, malgré la bonne volonté et le dévouement des enseignants, ce genre d’activités tournent à l’animation parascolaire.

Plutôt que de dissuader les bons élèves de rester dans le collège public en multipliant les obstacles sur leur chemin au prétexte qu’ils sont davantage issus de milieux favorisés, mieux vaudrait consacrer les moyens mobilisés par cette réforme à élargir l’accès aux filières et parcours d’excellence existants (voire développer ceux-ci) aux élèves venant de milieux moins favorisés. Le collège, et plus largement le système éducatif français, a en effet besoin à la fois de favoriser et d’encourager les bons élèves en son sein et de permettre au plus grand nombre de devenir l’un de ses bons élèves. Confondre égalité des chances par la valorisation du mérite et même cursus pour tous est un non-sens.

On éteint les Lumières

Il est à craindre que, malgré la bonne volonté des enseignants, ces activités tournent à l’animation parascolaire

La lecture des nouveaux programmes, adaptés au nouveau découpage des cycles, renforce encore le sentiment que cette réforme est davantage menée en fonction de déterminants politiques plutôt que de préoccupations pédagogiques. Ainsi, par exemple, en va-t-il du choix de favoriser en les désignant comme obligatoires ou optionnels différents points du programme d’histoire.

On y découvre en effet, entre autres, qu’en 5e la thématique «L’Islam: débuts, expansion, sociétés et cultures» est obligatoire alors que les thématiques sur le christianisme oriental ou occidental sont facultatives. De même, en 4e, que les thématiques «Pensée humaniste, réformes et conflits religieux» et «Sociétés et cultures au temps des Lumières» sont facultatives quand les thématiques «Un monde dominé par l’Europe: empires coloniaux, échanges commerciaux et traites négrières» pour les XVIIe et XVIIIe siècles et «Conquêtes et sociétés coloniales» pour le XIXe sont obligatoires. Si l’on peut se féliciter de l’excellence ainsi visée de la formation des élèves aux questions coloniales et à l’islam, on reste en revanche dubitatif sur la faiblesse de cette même formation à la pensée chrétienne et à l’humanisme induite par un tel programme.

De tels choix paraissent, au mieux, étranges. En effet, outre que l’on peut s’interroger sur la logique qui les a inspirés –s’agit-il de complaire à certains groupes de pression ou à un «air du temps»?–, on se demande comment des élèves ainsi formés vont pouvoir faire le lien entre les différentes thématiques abordées, et surtout comment ils pourront comprendre un certain nombre de références contemporaines –sans même parler de nourrir d’une culture de base commune leur participation comme citoyens en devenir aux débats de société actuels sur les questions de religion par exemple. Et une fois encore, cela renvoie vers les milieux d’origine des élèves cette familiarisation avec des éléments culturels qui devraient pourtant être communs, favorisant à nouveau les catégories disposant de capital social et culturel.

L’éducation nationale comme souci commun

Certains commentateurs avancent que cet ensemble de mesures et de choix témoignerait d’une entreprise idéologique, fruit de l’alliance d’une gauche devenue essentiellement «sociétale» à défaut d’être encore «sociale» avec des spécialistes de la pédagogie. Une telle lecture est d’une certaine manière rassurante, en ce qu’elle explique les réformes décrites ci-dessus comme le résultat d’une volonté déterminée et clairement réfléchie.

On penchera plutôt pour une explication moins rationalisatrice mais également moins rassurante: celle de l’impossibilité devenue chronique pour les responsables politiques comme pour les experts de maîtriser les enjeux et les nécessités en matière d’éducation, comme d’ailleurs dans nombre d’autres domaines de l’action publique –une impossibilité partagée d’ailleurs par l’ensemble des familles politiques. Impossibilité liée en partie au fait que l’éducation des enfants et des jeunes échappe désormais largement à l’école et au fait que la réflexion politique collective, de l’ensemble de la société, sur les finalités d’une «éducation nationale» est au point mort depuis des années. Ce qui explique d’ailleurs la main-mise de plus en plus grande des experts de tous poils sur le sujet: depuis le florissant business de l’enseignement particulier aux spécialistes des sciences de l’éducation qui en réclament le monopole.

Que la gauche puisse se laisser aller, davantage que la droite, à une telle dérive, en raison notamment de l’importance centrale dans son électorat du «monde scolaire», c’est probable, mais cela ne suffit pas à expliquer ce qui est à l’œuvre. On a ainsi vu depuis 2012, à l’occasion des débats suscités par la mise en place des «ABCD de l’égalité» dans les écoles primaires au nom de la lutte contre «les stéréotypes de genre» ou encore lors de la réforme des «rythmes scolaires», qu’un rien suffisait à ériger des mesures somme toute assez limitées en enjeux idéologiques majeurs, et que chaque camp s’adonnait volontiers à l’exacerbation des antagonismes.

Ce qui frappe, c’est la capacité à jouer politiquement, par provocation même, sans se rendre compte des dégâts potentiels sur les élèves et, finalement, la société à venir, avec des réformes trop souvent impensées et incohérentes. Les dernières sorties ministérielles sur la possibilité d’introduire des cours d’improvisation dans les établissements en mettant en exergue comme critère de réussite la carrière du comique Jamel Debbouze et son influence supposée auprès des jeunes –pour faire le pendant, positif, de la figure d’un Dieudonné par exemple– démontrent, au mieux, la légèreté avec laquelle sont traités de tels enjeux.

L’éducation nationale mérite mieux, bien mieux. Et de la part de chacun d’entre nous, car elle est sans doute, soyons-en conscients, à la fois un des derniers lieux, sinon le dernier, où peut se forger la communauté des citoyens et l’une des dernières voies possibles, sinon la dernière, de l’émancipation sociale et culturelle pour les plus défavorisés. D’autant comme le soulignait déjà Jean Zay, alors ministre de l’Éducation nationale:

«Les transformations profondes de la société française... nous font un devoir impérieux de veiller au salut de notre jeunesse.»

cover
-
/
cover

Liste de lecture