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Décapitation des Ethiopiens en Libye: la violence est le message de l'Etat islamique

L'EI est en train de remporter la guerre de propagande et de recrutement qui l'oppose à al-Qaida.

Capture d'écran de la vidéo d'exécutions des Ethiopiens en Libye, le 19 avril 2015. EUTERS/Social Media Website via Reuters TV
Capture d'écran de la vidéo d'exécutions des Ethiopiens en Libye, le 19 avril 2015. EUTERS/Social Media Website via Reuters TV

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Avec ses prisonniers agenouillés dans leur combinaison orange, les yeux bandés, et ses bourreaux, la vidéo du meurtre et de la décapitation de 30 Ethiopiens chrétiens en Libye, mise en ligne le 19 avril, reprend tous les codes pour lesquels l'Etat islamique est connu.

Même avant que l'Etat islamique ne devienne l'EI, les vidéos de décapitation d'Abou Moussab al-Zarqaoui –le fondateur de ce qu'on connaissait alors sous le nom d'al-Qaida en Irak– lui avaient valu le surnom de «Cheikh des égorgeurs».

Mais ces vidéos lui ont aussi valu des réprimandes de la part de son chef, Ayman al-Zaouahiri (l'ancien numéro 2 d'al-Qaida, devenu son chef à la mort de Ben Laden), qui lui avait écrit en 2005 dans une lettre que «nous sommes dans une bataille médiatique et au milieu d'une course pour les cœurs et les esprits de notre Oumma», et que les «jeunes hommes zélés» autour de lui «n'expriment pas la vision générale de l'admirateur et du défenseur de la résistance en Irak», qui ne trouveraient jamais de tels spectacles «convenables». Zarqaoui n'a pas suivi son conseil.

Neuf ans plus tard, alors que les médias sociaux permettent aux vidéos comme celle de dimanche d'atteindre une audience que Zarqaoui ne pouvait imaginer, il semble que les deux djihadistes avaient raison à leur manière. La sauvagerie dont se vante l'Etat islamique a rendu furieuse l'opinion publique dans le monde musulman, mais aussi certains qui auraient autrement soutenu son combat contre les gouvernements soutenus par l'Occident et ses efforts pour instaurer la charia. 

Dans le même temps, alors que l'Etat islamique n'a pas beaucoup de soutiens extérieurs, il semble pouvoir s'appuyer sur un apport inépuisable de «jeunes hommes zélés»: le nombre de combattants étrangers qui arrivent en masse pour soutenir le groupe augmente à un rythme alarmant. Ils ne semblent pas être rebutés par les vidéos de décapitation.

L'Etat islamique n'est pas le premier groupe terroriste à filmer des actes de torture et de violence contre ses prisonniers, mais la «culture délibérée de l'ultraviolence» est plus centrale au sein de sa propagande qu'elle ne l'était au sein de celle de ses prédécesseurs. Un de ses textes fondateurs est intitulé «Gestion de la sauvagerie».

Le gouvernement américain a condamné la vidéo libyenne, expliquant qu'elle «montre la brutalité insensée des terroristes», mais cette brutalité est exactement l'objectif recherché. Le «théâtre de cruauté» du groupe, comme le chercheur Hussein Ibish l'a défini, vise moins ses ennemis que ses recrues potentielles, et le sang –autant que le message idéologique du groupe– semble être ce qui attire ces jeunes hommes en colère et hostiles –ainsi que quelques femmes– à les rejoindre pour combattre.

Al-Zaouahiri voyait les vidéos brutales de l'Etat islamique comme un handicap pour la marque al-Qaida, mais c'est l'EI qui est en train de remporter la guerre de propagande et de recrutement. Ceci a été souligné par l'arrestation le 20 avril de six Américano-Somaliens accusés de conspiration et de fournir un soutien matériel à des terroristes, d'avoir essayé de recruter des gens à Minneapolis et San Diego pour rejoindre l'EI. 

Les autorités s'étaient déjà concentrées sur les communautés somaliennes de ces villes parce qu'elles estimaient qu'elles étaient potentiellement des sources de recrutement pour les shebabs. Mais comme un rapport du Combating Terrorism Center de West Point l'a pointé à l'automne dernier «les informations indiquent que les Somaliens qui ont été trompés par l'appel culturel des shebabs se dirigent désormais vers une destination improbable: la Syrie».

Un attentat qui a tué 33 civils à l'extérieur d'une banque de Jalalabad en Afghanistan, lors du week-end –la première attaque revendiquée par l'EI dans le pays– a également souligné ce contre quoi les experts nous avertissaient depuis des mois: des factions de Talibans se séparent pour former de nouveaux groupes qui se consacrent au carnage médiatique de l'Etat islamique.

En ce moment, il semble que l'EI ressemble moins à un groupe qui utilise la violence pour présenter un message, qu'un groupe dont le message est la violence. Et malheureusement, l'EI a une audience de plus en importante.

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