Politique / France

Le Parti socialiste existe toujours... sur le papier

La lecture des motions pour le congrès qui se tiendra à Poitiers en juin montre combien il y a d'un côté la littérature de la rue de Solférino et de l'autre la politique menée par François Hollande et Manuel Valls.

Jean-Christophe Cambadélis, à l'université d'été de la Rochelle, le 29 août 2014. REUTERS/Stephane Mahe
Jean-Christophe Cambadélis, à l'université d'été de la Rochelle, le 29 août 2014. REUTERS/Stephane Mahe

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Il existe sans nul doute des voyages intellectuels plus palpitants que la lecture des motions soumises au prochain congrès du Parti socialiste. Mais il en est peu d’aussi déconcertants.

Voilà un parti qui gouverne, pratiquement seul, le pays depuis 2012 sur une orientation de plus en plus ouvertement libérale et sécuritaire. Lutte contre les déficits, sacrifices au nom de la compétitivité, combats contre le terrorisme scandent le paysage mental de nos socialistes au pouvoir.

Or c’est un tout autre univers qui s’offrent aux lecteurs des motions du congrès qui se tiendra à Poitiers en juin 2015. Cette littérature rose nous chante, sur tous les tons, les mérites de l'«éco-socialisme», nous fait miroiter d’alléchantes avancées sociales et nous prophétise des socialistes enfin réconciliés avec les classes populaires.

Défense molle de la politique gouvernementale

De vraies différences de sensibilités s’expriment au travers des quatre motions entre lesquelles arbitreront les militants du parti. Mais, à bien y réfléchir, ce qui les réunit est plus important que ce qui les sépare collectivement de l’exécutif issu de leurs rangs.

Rappelons que François Hollande est membre du PS depuis 1979 et que Manuel Valls est socialiste depuis 1980. Même Emmanuel Macron, le héros de l’orientation (sociale-)libérale, a adhéré à ce parti dès l’âge de 24 ans –il semble néanmoins n'avoir été à jour de ses cotisations qu’une courte période (2006-2009).

D’origine trotskiste, Jean-Christophe Cambadélis n’a rejoint le PS qu’en 1986. Mais la motion qu’il présente, avec une majorité de premiers secrétaires fédéraux, se veut gardienne de la vieille maison socialiste. Signé par Martine Aubry, qui ne dissimule pas le peu de considération dans lequel elle tient la politique gouvernementale, ce texte intitulé «Le Renouveau socialiste», se contente de la défendre très mollement.

«Pas encore de résultats économiques, plus d’avantage idéologique», diagnostique sombrement la motion potentiellement majoritaire. Elle se désole de constater que la politique suivie a «perdu en lisibilité» et en appelle, sans toutefois le dire franchement, à une réorientation des choix gouvernementaux pour enfin «faire de l’égalité le fil d’Ariane de la fin du quinquennat».

La motion A plaide ainsi en faveur d’un «meilleur ciblage des aides publiques vers les PME» et rappelle à l’exécutif l’opportunité de réaliser sans tarder «la grande réforme fiscale que nous avons voulue». Usant d’un euphémisme, le texte relève que le gouvernement garde «de sérieuses marges de progression» pour «remettre la finance à sa place».

Trop d’écart entre les proclamations et les actions

Il invite encore le pouvoir à se souvenir que «chaque fois que la gauche a gouverné, elle a laissé sa trace par de grandes avancées sociales», ce qui n’est pas encore précisément le cas cette fois-ci. La motion Cambadélis suggère, pour ce faire, de créer une «cinquième branche de la Sécurité sociale» sous forme de «véritable assurance temps-formation».

Tout cela est assez cohérent avec le rêve maintenu d’une réunification des forces de gauche. La motion A évoque une «belle alliance populaire» qui «ré-élargisse notre socle politique vers nos partenaires de gauche et de l’écologie». Il n’est pas certain que cette visée stratégique soit partagée par Hollande et Valls, plutôt tentés de jouer la carte d’une recomposition politique des modérés contre la menace lepéniste.

«Jean-Christophe Cambadélis, dans son texte, reprend trois ou quatre des idées pour lesquelles nous nous battons depuis un an», a pu observer Christian Paul, député «frondeur» qui se veut désormais plutôt «éclaireur». La motion A relève toutefois le risque, pour le PS de «perdre en force et en crédibilité par trop d’écart entre les proclamations et les actions». Ce qui la conduit à cet avertissement:

«Les orientations décidées par notre parti lors du congrès de Poitiers devront avoir prise sur le cours du quinquennat.»

Une précision qui n’allait pas de soi.

Pas vraiment de plan B

La motion B, qui réunit les différentes sensibilités de l’aile gauche du parti derrière Christian Paul, ne définit pas réellement une politique alternative à celle qui est menée aujourd’hui. Elle n’hésite certes pas, contrairement à la motion A, à se livrer à une critique idéologique du discours gouvernemental accusé de miser sur la «peur», d’emprunter «les mots des adversaires» quand il ne se réfugie pas dans une «pétition de principe naïvement libérale».

Mais le principal texte s’opposant à la direction du parti, intitulé «A gauche pour gagner!», se garde bien de durcir les angles. Il considère que les «divisions» entre socialistes «sont surmontables». Et se conclut en appelant au «compromis», pour peu que «chacun fasse un pas vers l’autre». Bref, il ne s’agirait que de «repositionner nos choix économiques», par exemple en reconsidérant «toutes les aides directes et crédits d’impôts» ou encore en établissant «un barème progressif de la CSG».

Mais, ici aussi, on se méfie des belles paroles qui ne débouchent sur rien. Le thème éternel de l'«Europe sociale» est l’occasion de ce constat désabusé:

«Tous ces sujets dont nous parlons dans nos congrès ne font même pas l’objet d’un agenda.»

D’où cette mise en garde:

«Quand on exerce le pouvoir, ce que l’on est se mesure à ce que l’on fait.»

Les militants qui choisiront cette motion, qui milite notamment pour une «augmentation du smic», mesure «particulièrement favorable aux jeunes», risquent néanmoins d’être déçus par la suite des événements.

L'étendard de l'idéalisme

Deux motions portent enfin haut l’étendard de l’idéalisme socialiste. La motion D, intitulée «La Fabrique» et présentée par Karine Berger, occupe une position faussement centriste. Elle se propose certes «d’éviter le bloc contre bloc qui conduirait à couper le parti en deux» mais son contenu est encore plus éloigné de la politique gouvernementale que celui de la motion B.

Le courant qui veut «vendre Solférino» pour installer le siège du PS en banlieue parisienne décline pas moins de 86 propositions toutes plus ambitieuses les unes que les autres. La motion n’hésite pas à prôner, pour relancer l’Europe, un traité «Maastricht II» ou bien de proposer «la création d’un impôt mondial sur le capital, avec expérimentation européenne».

Relevons encore la suggestion de multiplier «par quatre» le budget de la politique de la ville, de créer une «class action discrimination» permettant aux victimes de «faire reconnaître collectivement» leur handicap, sans oublier l’ouverture d’un droit à la procréation médicale assistée. Ces idées, qui rappellent un peu la «Nouvelle Gauche» d’antan, ne sont pas précisément en phase avec le raisonnement des éminences socialistes qui peuplent les ministères.

C’est encore plus vrai avec la motion C qui prend le risque de rêver toute éveillée. Conduite par Florence Augier, elle est de loin la plus bavarde avec de longs développements, agrémentés de graphiques, sur l’écologie. Sous le titre «Osons un nouveau pacte citoyen et républicain», ce texte égrène pas moins de 115 propositions dont beaucoup sont particulièrement audacieuses, comme celle d’imposer des administrateurs salariés dans les entreprises ou de hisser le minimum vieillesse à un niveau «au moins équivalent au smic pour toutes et tous».

On imagine les fous rires d’Emmanuel Macron s’il lui prenait la fantaisie de se plonger dans ces dissertations. Aucune de ces quatre motions ne saurait satisfaire un tant soit peu l’influent ministre de l’Economie pour qui la gauche traditionnelle n’est qu’une «étoile morte». La droite du parti, qui s’égosille dans les médias par la voix de Jean-Marie Le Guen, s’est bien gardée de défendre ses propres idées. Elle sait que son audience risquerait de n’être guère supérieure aux 5% de voix obtenues par Manuel Valls à la primaire socialiste de 2011.

C’est ainsi que s’instaure un partage des rôles plutôt malsain: aux uns les décisions effectives, aux autres le ministère de la parole. En dépit des efforts de Jean-Christophe Cambadélis, il n’y a plus guère de langage commun entre le «socialisme» des ministères et celui des congrès. Les deux univers n’ont plus vraiment de correspondance. Le hic, c’est que les électeurs, insensibles à la logorrhée socialiste, sanctionneront quant à eux la politique réellement suivie.

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