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Peut-on vraiment lutter contre la pollution via la gratuité des transports?

La gratuité est mise en place de manière temporaire pour lutter contre la pollution pendant les pics. Mais est-ce vraiment une bonne solution à long terme?

14 mars 2014 à Paris REUTERS/Charles Platiau
14 mars 2014 à Paris REUTERS/Charles Platiau

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«C’est génial, ça devrait être tout le temps comme ça…», lançait une dame sur la ligne 2 du métro parisien, alors qu'en plein pic de pollution, en mars dernier, les usagers des transports publics bénéficiaient d'une gratuité temporaire.

Face à l’urgence climatique, le besoin d’encourager le développement des moyens de transports écologiques est devenu une évidence. Et pour certains, la gratuité des transports en commun pourrait réduire la circulation automobile en incitant davantage d'usagers à les emprunter, et in fine réduire les émissions de CO2 dans les villes. «Pour répondre vraiment à l’urgence climatique, les transports en commun devraient être toujours gratuits», a ainsi martelé la journaliste canadienne et militante altermondialiste Naomi Klein, dans une conférence donnée à Paris en mars dernier.

Sauf qu'il n’est pas si certain que la gratuité totale et permanente soit la meilleure façon de lutter contre la pollution.

D’abord parce qu’à l’échelle des petites distances, la gratuité pourrait se faire «au détriment de la propulsion musculaire»,  c'est-à-dire les déplacements fait avec vos muscles, puisque les citadins seraient alors davantage enclins à systématiquement emprunter les transports en commun, même pour 1 ou 2 stations.

«Il ne faut pas oublier la marche et le vélo»déplorait ainsi le sociologue Bruno Marzloff dans rue89

Mais même à l’échelle de plus grandes distances, la corrélation entre gratuité des transports en commun et baisse de circulation n'est pas du tout évidente. À Aubagne, ville communiste où les transports sont gratuits depuis 2009, la présidente de la communauté d’agglomération Magali Giovannangeli, avait expliqué à Rue89

«Les objectifs de hausse de la fréquentation ont été dépassés en trois ans. On est à +170%. Ce qu’on ne sait pas bien mesurer, c’est le report modal [le passage de la voiture à un autre mode de circulation, par exemple les transports en commun]. Je crois qu’on est aux alentours de 10% de gens qui prenaient la voiture et prennent le bus.»

Yves Duhamel, le directeur du cabinet Axiales, auteur d'une étude sur la question de la gratuité des transports, écrivait dans un rapport de 2004: 

«Des experts auraient constaté que "à très court terme, la gratuité des transports en commun peut faire exploser la fréquentation qui diminue ensuite". Il reste à préciser le contexte: ce constat se vérifie-t-il qu'il s'agisse d'une gratuité accompagnée ou non d'une amélioration de l'offre et/ou de la politique de mobilité. Si la gratuité est reconnue pour jouer un rôle dans l'augmentation de la fréquentation des TC, le transfert modal vers le bus resterait pour certains somme toute minime et l'on observerait en terme de partage modal une certaine inefficacité de cette politique quant à l'usage de la voiture».

Le rapport ajoutait: «En comparant des villes avec des transports en commun payants d'une taille voisine de celles pratiquant la gratuité, on constate qu'il n'y a pas de corrélation directe entre niveau de prix et usage» et que c'est «seulement accompagnée de mesures (politique de stationnement, voies de circulation spéciales) que la gratuité aurait réellement un impact sur la fréquentation»

L’exemple donné est celui de Châteauroux (Centre-Val de Loire), ville dans laquelle «gratuité et amélioration de l'offre sont intervenues à deux moments différents et expliquent chacune 50 % de l'augmentation de la fréquentation», fait remarquer l'étude.

La qualité de l’offre (ouverture de nouvelles lignes de transports en commun, fréquence de passage, etc) jouerait donc davantage sur le report modal que la gratuité. C’est en tout cas ce qu’ont constaté les villes de Castellón en Espagne et Bologne en Italie, puisqu’après avoir mis en place la gratuité (de 1990 à 1997 pour la première et de 1973 à 1977 pour la seconde), elles sont toutes les deux revenues à un réseau payant. 

«La gratuité est une fausse bonne idée. Elle ne permet pas en soi le transfert des automobilistes vers les transports en commun. Pour cela il faut limiter l'accès à la ville (par exemple via la cherté du stationnement) et améliorer la qualité des transports, ce qui nécessite des moyens», confirme Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports. «Si l'objectif est social, mieux vaut une politique ciblée qu'une gratuité générale»ajoute l'Union des Transports Publics et ferroviaires (UTP).

Le coût de la gratuité

Si elle ne dissuade pas forcément de prendre la voiture, la gratuité des transports a en revanche un coût; à propos du week-end de gratuité en Ile-de-France en mars, le syndicat des transports d'Île-de-France a estimé à 3,5 millions d'euros les pertes pour la journée de samedi, à 2,5 millions celles pour dimanche et à 4 millions pour lundi.

Et c’est un manque à gagner pour l’amélioration des transports… Une amélioration nécessaire pour lutter contre la pollution. A Paris, Anne Hidalgo veut par exemple éradiquer le diesel dans la capitale d’ici 2020. La maire expliquait dans une interview au Monde en janvier qu’elle comptait pour cela mettre en place toute une série de mesures: aides financières à l’achat d’un véhicule moins polluant; abonnements à Autolib'; accompagnement financier aux copropriétés pour installer des bornes de recharge pour véhicules électriques… Des mesures incitatives «qui représenteront plus de 5 millions d’euros en année pleine» assurait-elle alors.

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