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En ce début de printemps, une immense floraison vient de se terminer. Celle des amandiers californiens qui fleurissent dans les vallées de Fresno et San Joaquin. Aujourd'hui, en effet, près de 85% de la production mondiale d'amandes en coques vient du Golden State.
Picorée grillée, ou salée, intégrée à des confiseries, gâteaux ou à des cosmétiques, l'amande est un fruit populaire qui se trouve actuellement paré de toutes les vertus nutritionnelles: elle pourrait réduire la teneur de «mauvais» cholestérol dans le sang, augmenter le pourcentage de «bon» cholérestérol et réduire le risque de maladie cardio-vasculaire. Sa haute teneur en fibres constituerait une autre qualité. Et elle aurait même des vertus anti-cancéreuses. Mieux vaut toutefois ne pas la manger trop salée ou cuite dans un bain d'huile.
Sa consommation se mondialise: originellement appréciée sur le pourtour méditerranéen, l'amande est aujourd'hui d'abord consommée aux États-Unis (un peu plus d'un tiers de la production californienne), et exportée en Europe, bien sûr, mais aussi en Asie –notamment en Chine–, continent en pleine croissance et qui constitue désormais le deuxième débouché des Californiens avec plus d'un tiers des ventes.
Culture intensive
Le marché est donc, c'est le cas de le dire, florissant : environ 900.000 tonnes produites à l'année en Californie pour quelque 3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires (chiffres de 2012), des tonnages exportés en progression à deux chiffres... Au point que l'amande s'est érigée en première exportation agricole de cet État.
La culture, du coup, est devenue extrêmement intensive. Les rendements atteignent 3 tonnes à l'hectare, contre deux fois moins il y a une quinzaine d'années, et largement trois fois moins en Provence.
Mais qui dit intensive dit utilisation importante de pesticides ainsi que d'eau et d'abeilles, indispensables pour polliniser correctement les arbres en fleurs. Adapté aux climats chauds et secs, l'amandier nécessite théoriquement assez peu d'eau. En réalité, pour être cultivé régulièrement, il exige un minimum d'irrigation, et ce, d'autant plus que l'on attend de lui des rendements importants. Or la Californie a vécu trois années consécutives de sécheresse, qui ont mis à mal son modèle agricole.
Location d'abeilles au mois
Côté abeilles, la situation commence également à devenir critique. Depuis des années, les butineuses californiennes ne suffisent plus à la tâche. Des apiculteurs de tous les États-Unis louent donc leurs ruches au mois, pour aider à la pollinisation californienne.
Et, tout comme comme la mondialisation des années 1990 et 2000 a fait venir dans les usines exportatrices chinoises des dizaines de millions de paysans de tout le pays, c'est une migration impressionnante de ruches qui, en février et mars, a lieu sur les routes des États-Unis. Six à dix ruches –soit quelque 300.000 abeilles– sont en effet nécessaires pour polliniser un hectare d'amandiers, or les amandiers couvrent en Californie environ 340.000 hectares!
Six à dix ruches pour polliniser un hectare d'amandiers
C'est aussi là que l'augmentation de la production d'amandes, couplée à la surmortalité des abeilles constatée depuis plusieurs années, pose problème. Ces migrations n'arrangent rien à cette surmortalité des abeilles. Le stress n'améliore guère leur santé et les voyages favorisent la propagation des maladies qui les frappent.
L'amande, autrement dit, n'est plus si douce.
Étiolement provençal
Qu'à cela ne tienne, les Australiens se sont eux aussi lancés dans la culture et ont désormais dépassé les Espagnols, avec qui ils représentent environ 10% de la production mondiale. Entre 2004 et 2013, la production australienne est passée de 11.700 à 73.400 tonnes et la valeur des exportations annuelles de 82 à 309 millions de dollars australiens (soit 60 à 225 millions euros). Le Conseil professionnel des amandiers australiens ne s'en cache pas: le continent bénéficie à plein de l'inquiétude des investisseurs sur la culture californienne. Les Chinois eux aussi tentent de s'y mettre, le climat n'étant toutefois pas des plus adaptés.
Les pays du pourtour méditerranéen tentent, quant à eux, de recouvrer leur splendeur passée: originellement, en effet, l'amande vient de ces contrées. Arrivé en France quelques siècles après Jésus Christ, l'amandier a longtemps été une grande culture provençale.
«Aix en Provence était, au début du XXe siècle, la plaque tournante de l'amande», assure Pierre Sylvain, paysan nougatier dans le Vaucluse.
Mais la culture s'est étiolée au fur et à mesure que la Californie montait en puissance. Aujourd'hui, la petite production française –entre 1500 et 3000 tonnes– est dominée par la Corse et «l'Hexagone importe 99,5% de sa consommation d'environ 34.000 tonnes», déplore le confiseur, qui a, pour sa part, décidé d'intégrer ses propres amandes à son nougat. Il a planté 35 hectares d'amandiers et espère atteindre bientôt les 1000 kilos de rendement par hectare. Avec ses propres abeilles.
La production cependant a du mal à reprendre en Provence, ou du moins de façon sensible, constate-t-il. Le problème n'est pas tout à fait nouveau. Au hasard du web, on peut retrouver un petit fascicule, publié en 1955 par la direction des services agricoles des Basses-Alpes, sur «la journée nationale de l'amande». À l'époque, déjà, on cherchait à redresser la production. Mais qu'il s'agisse d'amandes, ou d'industrie, une fois que la mondialisation a frappé, faire revenir une culture, ou une industrie, à la maison n'a rien d'évident.