France

RATP et chrétiens d'Orient: le non-dit et le mal-dit

Le point de vue sur l'affaire de l'affiche du concert des Prêtres de Richard Prasquier, ancien président du Crif.

L'affiche du concert des Prêtres.
L'affiche du concert des Prêtres.

Temps de lecture: 2 minutes

Censurer l’affiche d’un concert parce qu'elle se faisait «au bénéfice des chrétiens d’Orient»: la RATP aurait atteint un point bas dans le grotesque si le tollé général ne l’avait pas obligée, après plusieurs jours d’hésitations, à revenir sur sa décision.

Matériellement minime, la tentative est lourdement significative. Car c’est une chose que de défiler pour Charlie Hebdo, de défendre la liberté d’expression dans le cadre d’une laïcité rigoureuse, c’en est une autre de refuser de prendre parti sur les crimes dont les chrétiens sont aujourd’hui les victimes. Pire encore, d’arguer d’une nécessaire «neutralité» du service public, comme s’il s’agissait en Orient d’un combat où les uns et les autres s’entretueraient indifféremment. Une minute pour Hitler, une minute pour les juifs... Comment confondre le conflit et l’extermination? Etre chrétien dans l’Irak de Daech, c’est être juif dans l’Europe de Hitler. 

La RATP a-t-elle bloqué son logiciel à la version militante de la loi de séparation du vindicatif petit père Combes? Veut-elle rejouer, quatre générations plus tard, le glorieux combat des ancêtres contre une Eglise catholique forcément réactionnaire et dominante? A-t-on gardé à celle-ci le rôle de défenseur des nantis, dans la distribution rouillée de longue date, qui lui fut attribué par les défenseurs auto-attitrés des opprimés de ce monde? 

Même si on veut ne rien connaitre de Vatican II et des transformations de l’Eglise d’aujourd’hui, même si on est indifférent aux exhortations angoissées du pape François sous prétexte qu'il est par définition dans le mauvais camp, comment tenir pour négligeable, ou tout au moins secondaire, le sort de la minorité chrétienne en Irak, avec ces femmes violées, ces enfants massacrés, crucifiés, découpés en morceaux quand ils tombent aux mains des fanatiques du djihad? Etre neutre devant cela, c’est un crime.

Dans le passé, la RATP avait été moins sourcilleuse quand elle avait accepté des affiches en faveur de la viande halal. A-t-elle effectué un virage laïcard? Cela ne justifie aucunement cette décision hallucinante. Les victimes doivent être nommées, ce sont des chrétiens d’Orient. Leur assassin porte aussi un nom, c’est l’islamisme radical. 

Or aujourd’hui, la censure la plus efficace, l’autocensure, s’exerce sur l’assignation à certains termes. Eviter de spécifier que les victimes sont chrétiennes ou juives et que les assassins ont agi au nom de l’islam est le nouveau devoir du politiquement correct. Quel besoin de signaler que les assassins au Kenya ont spécifiquement abattu les étudiants chrétiens? Les victimes sont des être humains parmi d’autres et pourquoi ne pas les plaindre globalement sans diabolisation? D’ailleurs, ajoutent les nouveaux experts, «ce n’est pas là l’islam». Moyennant quoi, on se condamne à ne rien comprendre.

Dans son discours à Izieu, François Hollande a dit que à chaque fois les juifs sont tués parce qu’ils sont juifs, les chrétiens parce qu’ils sont chrétiens, et il a ajouté «les musulmans parce qu’ils sont musulmans». Non, monsieur le Président, les musulmans n’ont pas été tués parce qu’ils étaient musulmans. Ils ont été tués parce que l’islam qu’ils pratiquaient ne convient pas à celui que pratiquent leurs assassins! On affaiblit ainsi le combat difficile que livrent les musulmans qui luttent authentiquement contre cet islam barbare parce qu’il les défigure, mais qui savent qu’il est l’une des potentialités de l'islam[1]; eux n’esquivent pas la question et ne se posent pas en victimes de premier rang.

Tant de fois ressassée, la phrase de Camus résonne toujours à nos oreilles: «Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde.» Mal nommer ou, plus insidieusement encore, ne pas nommer du tout, et devoir écouter dans les déclarations ce qu’elles ne disent pas, c'est la prémisse de nos abdications. Le vernis universaliste est trop souvent une feuille de vigne qui recouvre notre lâcheté physique d’un mince confort moral. La décision de la RATP aurait-elle confirmé que, depuis Molière, les Tartuffe ont changé de camp?

1 — D'autres religions ont déjà fait ce travail d'interprétation des textes sacrés pour en extirper les germes de violence et faire prévaloir des interprétations humanistes. Retourner à l'article

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