Boire & manger / Société

Chers Mad Men, en partant, laissez-nous l’Old-Fashioned

Don Draper aura beaucoup contribué au retour flamboyant de cet iconique cocktail au whiskey. Levons nos verres pour accompagner en beauté la dernière saison de la série. Et surtout, penchons-nous sur ce qu’il y a dedans.

Jon Hamm dans «Mad Men» saison 6 ©AMC
Jon Hamm dans «Mad Men» saison 6 ©AMC

Temps de lecture: 3 minutes

La cloche vient de sonner au bar pour la dernière tournée de Mad Men, avec la diffusion Outre-Atlantique des sept derniers épisodes de la série. Et on n’allait pas laisser les hommes de Madison Avenue terminer leur chute irrésistible vers le bitume existentiel sans rendre un ultime hommage au cocktail dont ils ont, entre tous, accompagné la renaissance: l’Old-Fashioned, icône du bar, l’un de ces rares drinks qui, quand ils sont réussis, ne vous donnent pas le sentiment d’avoir gâché le whiskey, bref, le poison préféré de Don Draper.

Dans un verre à cul épais prêt à se faire sadiser, mouillez un sucre brun de deux ou trois traits de bitter Angostura et d’un soupçon d’eau, écrasez bien jusqu’à fondre en sirop. Il restera des grains, quels que soient la patience et le temps dévolus à l’ouvrage, et peu importe: l’Old-Fashioned magnifie l’imperfection humaine –pendant que vous y êtes, essuyez les gouttes de bitter semées sur le bar. Ajoutez 5 ou 6 cl de bourbon (rond, moelleux) ou de rye (épicé, intense): de votre humeur ou de la journée qui se termine dépendront quantité et choix de booze.

Coulez un gros cube de glace dans le verre, et là je me permets d’insister: pas de glaçons timides, d’échardes pilées, de fond de bacs prêts à fondre plus vite qu’une promesse de Grenelle de l’environnement. Optez pour un bon gros morceau de glace taillé dans la masse, un iceball ou d’honorables glaçons moulés maison dans des pots de yaourts dûment récurés. Il doit fondre en douceur, sans se presser, en rafraîchissant le drink au fur et à mesure que vos pensées se nimbent. Twistez un zeste de citron ou d’orange par-dessus, passez-le sur les lèvres du verre pour l’oindre d’huiles essentielles, abandonnez-le contre le glaçon. Prenez votre temps pour savourer, l’Old-Fashioned est une boisson contemplative qui incite à s’interroger sur le sens de la vie.

Voilà pour l’équation théorique.

Flashback sur le 3e opus de la saison 3. A mi-épisode, Don Draper enjambe le bar pour préparer lui-même son cocktail de choix, dans un Fosbury impeccable qui aurait pu lui valoir la note artistique maximale… si la technique ne s’était révélée aussi hasardeuse. 

Regardez-le verser une généreuse dose de rye aussitôt noyée dans l’eau gazeuse (sacrilège!), rincée par une pelletée de glace (OMG!) bientôt rejointes par une cerise phosphorescente et une tranche d’orange balancées dans le verre (apoplexie!). Notez au passage cette gaffe passée inaperçue: une cerise apparaît dans chaque verre entre le moment où Don attrape la bouteille de rye et la repose. Pauvre fruit écrabouillé avec le sucre dans une infâme purée avant son sacrifice par noyade. Entre nous, à ce moment précis j’ai failli lâcher Mad Men pour de bon. Et me mettre à la Tourtel.

 

C’est pourtant un fin travail de documentation et de reconstitution qui conduit à cette errance liquide. La lecture attentive de The Old-Fashioned, paru il y a quelques mois et dont on apprécierait une traduction en France, nous apprend que cette recette aqueuse et vitaminée reflétait en réalité les goûts de l’époque, plus stylée pour les fringues que pour les drinks. Son auteur, Robert Simonson, journaliste au New York Times, raconte comment ce classique du bar dont les premières traces remontent à 1862 a subi les affres de l’absinthe, du curaçao, du jus de citron, des liqueurs diverses, les attaques de l’eau gazeuse, de la noix de muscade et autres substances impies qui selon les époques se sont invitées dans le mix… Vint ensuite l’ère des brochettes de fruits décoratives perchées sur le cocktail… qui, las, avec la Prohibition, prennent l’habitude de tomber au fond du verre, réduits en triste bouillie pour faire passer le goût des alcools de contrebande.

Il faudra attendre la première décennie des années 2000 pour que les artistes de la mixologie se reprennent et en reviennent à l’austère, simplissime et parfaite recette des origines. Mais quand à leur tour ils s’octroient des libertés pour varier sur le thème, on se prend à croire que, peut-être, that’s not all there is[1]. Par exemple, passez en mode Caraïbes en remplaçant le whiskey par un rhum vieux et le sucre par du sirop de canne. Pour un kick plus frais, testez l’Elder Old Fashioned : 6 cl de gin, 1,5 cl de liqueur de sureau Saint-Germain, un grain de raisin au lieu du zeste. Amateur de sensations fumées,  tentez le Oaxaca Old-Fashioned de Phil Ward (moitié tequila, moitié mezcal et sirop d’agave). Accompagnez les barbecues d’été en sacrifiant un shot de Nikka From The Barrel et en substituant au sucre un mélange sirop d’érable et sauce BBQ. Celui-ci, Don Draper n’aurait jamais osé y jeter des cerises.

1 — Voir le premier épisode de la 7e et dernière saison de Mad MenRetourner à l'article

 

A LIRE

The Old-Fashioned, The Story of the World's First Classic Cocktail. 

(En anglais malheureusement: l’histoire d’un cocktail iconique complété de 50 recettes et variations).

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