Politique / France

Ni la gauche ni le FN n'ont à se réjouir de la disgrâce de Le Pen

Le vieux patriarche de l'extrême droite française a fourni à sa fille l'occasion inespérée d'une rupture, mais l'a aussi placée face aux contradictions idéologiques de sa formation. Quant à la gauche, elle risque de voir sa posture moraliste de condamnation du FN encore affaiblie.

Jean-Marie Le Pen au congrès du FN à Lyon, le 29 novembre 2014. REUTERS/Robert Pratta.
Jean-Marie Le Pen au congrès du FN à Lyon, le 29 novembre 2014. REUTERS/Robert Pratta.

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Ils en guettaient anxieusement l'occasion. Il leur en a fourni une presque inespérée. Luttant pathétiquement contre la mort politique, le vieux patriarche de l'extrême droite française s'est rappelé au bon souvenir de sa famille politique en accordant une interview provocatrice à Rivarol, un hebdomadaire en guerre ouverte avec Marine Le Pen, ici aussi qualifiée de «démon».

Dans ce journal à la tradition antisémite avérée, Jean-Marie Le Pen présente un florilège de la vision d'extrême droite avec laquelle sa fille tente désespérément de prendre ses distances. Tout y est, du pétainisme au nationalisme héréditaire (Manuel Valls ne serait pas un vrai Français!) en passant par la réaffirmation de l'ancrage très à droite du discours économique et, bien entendu, le clin d'oeil d'usage aux négationnistes.

Tuer le père politiquement

Marine Le Pen et ses stratèges ne pouvaient que sauter sur une aussi belle occasion pour rompre avec le fondateur et «président d'honneur» du FN. Ils l'ont fait avec d'autant plus de rapidité et de clarté que l'avenir de leur entreprise passe précisément par la nécessité de tourner enfin la page du lepénisme d'hier. Non seulement la présidente l'a condamné, mais elle lui a refusé la candidature aux régionales en PACA.

L'obligation de «tuer le père», selon l'expression galvaudée, prend ici une signification toute particulière. La présidente du Front entretient avec son géniteur et prédécesseur une relation complexe. Marine Le Pen ne s'est jamais vraiment sentie reconnue par son père.

«Quand j’ai eu mon bac, c’est à peine s’il m’a félicité mais il est allé fêter ça avec ses amis à l’Assemblée nationale», me confiait-elle en 2012. Le père a hissé sa fille à la tête du parti qu'il a créé, mais il ne supporte pas qu'elle réussisse mieux que lui.

Or, de futurs succès du FN impliquent de se débarrasser du fardeau représenté par l'héritage extrémiste de Jean-Marie Le Pen. Sa fille a pu s'y résoudre dés lors qu'elle sait son père désormais très isolé au sein du Front. Marion Maréchal-Le Pen, longtemps présentée comme proche de son grand-père, s'est désolidarisée de ses dernières déclarations sur les chambres à gaz. Bruno Gollnisch, chef de file de l'aile droite du FN, s'est limité à défendre la «liberté d'expression» de Jean-Marie Le Pen, tout en s'empressant d'en appeler à la «discipline» autour de la présidente.

Extrême droite contre national-populisme

Marine Le Pen a toutes ses chances de marginaliser un vieil homme seulement soutenu par des organes de presse aussi peu influents que Rivarol ou Minute. Le fulminant vétéran de l'extrême droite va, sans aucun doute, multiplier les flèches contre une formation qui a fini par échapper à son créateur. Mais cette hargne même pourra être mise à contribution par Marine Le Pen pour crédibiliser sa fameuse «dédiabolisation».

Le point essentiel, ici, est celui de l'antisémitisme. Jean-Marie Le Pen disait pis que pendre des «arabes» en public pour gagner des voix mais, en privé, il réservait sa haine aux «juifs». Sa fille, quant à elle, cherche d'abord à se concilier la communauté juive en exploitant l'antisémitisme hélas existant au sein d'une partie de la communauté musulmane française. C'est ainsi que Roger Cukierman, le président du Crif, a pu oser qualifier Marine Le Pen de personnalité «irréprochable»!

Le rapport aux différences sexuelles est un autre exemple frappant du contraste entre Le Pen père et fille. Le premier était visiblement obsédé par une homosexualité toujours dépeinte de façon péjorative et n'hésitait pas à multiplier des blagues pour le moins ambigües («On peut tout faire avec une baïonnette sauf s'asseoir dessus»). La seconde n'hésite pas à s'entourer de talents pas uniformément «straight», au risque d'être qualifiée de «Dalida» des «pédés» par Frédéric Mitterrand.

Mauvaise nouvelle pour tout le monde

Mine de rien, un Front national ayant clairement rompu avec Jean-Marie Le Pen n'est une bonne nouvelle pour pas grand monde. La gauche –ou ce qu'il en reste– va encore moins pouvoir agiter l'épouvantail du «fascisme» pour repousser les assauts électoraux des frontistes. Prétendre que Jean-Marie Le Pen «dit tout haut ce que le FN pense tout bas» deviendra de plus en plus absurde.

La posture moraliste de condamnation de ce parti au nom de l'antisémitisme et des «valeurs républicaines» éternelles sera encore plus inopérante. Notons, à ce sujet, que la manière dont Manuel Valls a crié au loup pendant la dernière campagne électorale n'a été que partiellement couronnée de succès. Cette stratégie a sans doute permis de remobiliser une partie de l'électorat socialiste tout en contribuant à limiter les victoires du FN au second tour de ces départementales, mais elle n'a pas endigué la vague frontiste du premier tour.

Un FN post-Jean-Marie expose, enfin et surtout, celui-ci à de réels périls. L'homme né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan) a eu le remarquable mérite de réussir à réunifier, en un même parti, toutes les tendances –o combien contradictoires– de l'extrême droite française. A cet égard, Le Pen fut à ce camp ce que Mitterrand a été au sien.

Sa fille saura-t-elle gérer la coexistence problématique des sensibilités éminemment diverses qui alimentent le «national-populisme» –à défaut d'expression meilleure– dont elle se veut le porte-drapeau? Cela ne sera, en toute hypothèse, pas simple. Le FN d'aujourd'hui est traversé d'influences contraires. L'orientation «nuisible», selon Jean-Marie Le Pen, de Florian Philippot est contrariée par les pesanteurs droitières qui sévissent dans le Front du sud de la France. Sur la question cruciale de l'euro, comme sur la politique économique et sociale, un FN «dédiabolisé» est promis à de vifs débats internes.

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