Économie

Le Rafale, dernier avion de combat de Dassault

Dassault et la France n'ont plus les moyens de rester dans un splendide isolement et de développer seuls un avion de combat.

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Nicolas Sarkozy et le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, ont annoncé lundi 7 septembre, dans une déclaration commune, que le Brésil va négocier l'acquisition de 36 Rafales, tandis que la France va acheter une dizaine d'avions militaires de transport brésiliens.

Le Rafale faisait figure de favori, devant le Gripen du suédois Saab et le F/A-18 Hornet de l'américain Boeing. Le contrat est estimé à 4 milliards d'euros. Le président français Nicolas Sarkozy est au Brésil depuis dimanche soir, pour une courte visite d'Etat. Il est ce lundi l'invité d'honneur des festivités de la fête nationale brésilienne.

Après une longue série de revers, ce contrat tomberait à point nommé pour Dassault Aviation, dont l'avion de combat n'a jamais été vendu hors de France et qui souffre d'une crise très dure dans l'aviation d'affaires.

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Le Brésil sera-t-il la planche de salut de Dassault et lui assurera son avenir en tant que constructeur d'avions de combat? Pas sûr. Car il est presque sûr que le Rafale, auquel s'intéresse le Président Lula pour équiper son armée, n'aura jamais de successeur.

Deux destins distincts

La fin d'une épopée dans les avions de combat ne signerait pas pour autant la fin de Dassault Aviation: après avoir réussi sa conversion dans le civil et consolidé ses parts de marché dans l'aviation d'affaires, l'entreprise s'appuie aujourd'hui avant tout sur les ventes de ses avions Falcon. Elles ont représenté l'an dernier 62% du chiffre d'affaires, contre 31% dans la défense en France et 7% à l'exportation dans le militaire.  Par ailleurs, si l'entrée en force dans Thales (26% au total) en mai permet à Dassault Aviation de pouvoir peser sur les choix technologiques du principal équipementier du Rafale, il se met aussi en position de demeurer dans l'aéronautique militaire (en dehors même des cellules d'avions) par le biais des drônes à qui reviendront demain une partie des missions qui incombent jusqu'à présent aux avions de combat.

Ainsi, l'avenir de la maison Dassault est-il distinct de celui du Rafale. Mais pour ce qui est de l'avion lui-même et des programmes à venir, de sérieuses interrogations subsistent, que ne saurait lever un contrat brésilien - fût-il le premier à l'export remporté par l'avionneur français.

Souveraineté nationale et isolement industriel

L'isolement de la France sur le Rafale est un problème qui avait déjà été identifié au milieu des années 80, lorsque Dassault et British Aerospace avaient été fortement incités par Paris et Londres à coopérer pour donner naissance à un successeur au Mirage 2000 et au Tornado. L'avion français avait été produit à 600 exemplaires, son concurrent européen (fabriqué par la Grande Bretagne associée à l'Allemagne et à l'Italie) à un millier d'unités. Pour réduire les coûts de développement, les gouvernements engageaient leurs industriels à ne lancer qu'un seul programme d'avion de combat dit «européen». Mais le projet capota très vite. On en fit le reproche à Dassault. Certes, il n'était pas dans la culture de l'entreprise de rechercher la coopération. Mais en réalité, les discussions achoppèrent surtout au niveau des motorisations, la Grande-Bretagne voulant imposer Rolls-Royce alors que la Snecma, motoriste français, n'entendait pas être laissé pour compte.

Finalement, après un lobbying intense auprès du président François Mitterrand et de Jacques Chirac alors Premier ministre, Dassault obtint le feu vert pour se lancer dans l'aventure du Rafale avec Thomson et la Snecma.  Les intérêts de l'industrie de défense française et la stratégie de souveraineté nationale ont pesé plus lourd dans la balance que les impératifs budgétaires. Le programme Rafale est officiellement annoncé par Paris en 1988 après un bras de fer entre Dassault et André Giraud, le ministre de la Défense du gouvernement Chirac.

Deux fers au feu pour Paris

Conséquence de la décision française, l'avion de combat européen se fera sans la France: il s'appellera Eurofighter, et sera porté par la Grande Bretagne, l'Allemagne et l'Italie... dans un premier temps. Car dans un deuxième temps, en 2000, l'Eurofighter va s'enrichir de nouveaux partenaires. La France (Aerospatiale Matra et l'Etat français) et l'Espagne (CASA) s'alliant à l'Allemagne (DASA, partenaire de l'Eurofighter ) pour fonder EADS, l'Etat français actionnaire à hauteur de 15%, se retrouve alors partie prenante de l'Eurofighter (EADS est responsable de 43% du programme) alors qu'il a commandé le Rafale.  C'est l'une des incongruités du dossier Rafale.

Rafale comme Concorde, pour les caisses de l'Etat

Malgré tout, le programme français va progresser. Contrairement à certaines idées reçues et bien que le développement connut de spectaculaires rebondissements (comme lorsque la Marine, craignant de ne pas pouvoir en disposer à temps pour remplacer ses vieux Crusaders, émit une préférence pour le F18 américain), le programme Rafale se déroula plutôt mieux que celui de l'Eurofighter qui enregistra des dérapages plus importants au regard du calendrier comme du budget.

Mais lorsque Dassault Aviation obtint le feu vert, l'objectif était clairement de vendre le Rafale à l'exportation pour pouvoir lisser le coût des études et développement sur des séries de production les plus longues possibles. Et là, c'est l'échec total: vingt après le lancement du programme, l'avion de combat français n'a toujours été acheté que par... la France. De sorte que pour le budget national, le programme Rafale est souvent comparé à celui du Concorde qui, dans le secteur civil, aura permis à l'industrie aérospatiale de réaliser un bond en avant mais aura été un véritable gouffre financier.

Face à l'Eurofighter, deux fois moins de commandes

 

Le coût du programme Rafale - actualisé en 2008 - atteint 39,6 milliards d'euros pour un total initial de 336 appareils à commander. Mais une première révision en 1992 réduit la cible à 294 appareils (234 pour l'Armée de l'air, 60 pour la Marine). La réduction du total à 286 unités dans le Livre blanc sur la défense de juin 2008 ne change pas grand chose à l'affaire: le prix de revient du Rafale correspond peu ou prou à quelque 140 millions d'euros l'unité! A ce jour, en tout, 120 appareils ont été officiellement commandés et, à la fin 2009, 82 auront été livrés.

Comparativement, l'Eurofighter dispose du matelas de 680 appareils commandés par les quatre pays qui concourent à sa fabrication (le Royaume Uni pour 232 unités, l'Allemagne pour 180, l'Italie pour 121 et l'Espagne pour 87) auxquels viennent s'ajouter 87 autres provenant de marchés avec l'Arabie saoudite et l'Autriche. La France paie cher son splendide isolement dans son choix du Rafale. Elle le mesure d'autant mieux que le Mirage 2000 qui avait été vendu à quelque 600 exemplaires, avait été commandé par des armée étrangères pour près de la moitié du programme, ce qui avait contribué au succès du prédécesseur du Rafale.

D'ailleurs, c'est devenu une règle pour les avions de combat modernes: une des clés du succès réside dans leur capacité à percer à l'exportation.  Le Tornado britannique, construit en coopération avec les industries allemande et italienne, avait véritablement décollé après que Margaret Thatcher, se transformant en VRP de luxe pour British Aerospace, eut ouvert la porte de l'Arabie saoudite à cet avion de combat où il fut vendu à 120 exemplaires. Au total, un millier de Tornado furent construits. Même chose pour les avions américains F18 et F16, le premier ayant été commandé à 1500 exemplaires, et le second - le plus répandu dans le monde avec plus de 20 pays utilisateurs - à quelque 4500 unités.  Lorsqu'un programme porte sur de tels volumes, il devient particulièrement compétitif dans les appels d'offres internationaux.  Or, le Rafale en est loin.

Une réussite technologique pour faire le lièvre

Certes, les marchés d'avions de combat ne sont pas qu'une question d'argent: dans ces négociations entre gouvernements autant qu'avec les industriels, les aspects techniques jouent un grand rôle et la diplomatie aussi. C'est pourquoi la France a pu placer son Rafale en bonne position au Brésil compte tenu des mauvaises relations entre Brasilia et Washington. Mais les diplomaties américaine ou britannique sachant également fort bien - et plus efficacement que la France - soutenir leur industrie d'armement pour partir à la conquête de marchés étrangers, un moment arrive dans les négociations où les montants deviennent un élément de la décision. Alors, même si la technologie du Rafale n'a jamais été prise en défaut, l'avion français a surtout joué le rôle du lièvre face à ses concurrents américain et européen. Et il a toujours manqué ce que le F16 et le F18 ont eu comme ultime argument: de véritables engagements de combat.

Mais c'est surtout pour des raisons diplomatiques que le F16 américain pu souffler au Rafale un marché qui lui semblait acquis au Maroc, que la Corée du sud et Singapour ont opté pour des appareils américains après avoir entretenu les espérances du camp français, que l'Arabie saoudite s'est tourné vers l'Eurofighter Typhoon (qui profite ainsi de la voie tracée par le Tornado), que la Pologne a choisi des avions américains au moment où - un rien provocante - elle rejoignait l'Union européenne... Autant d'occasions manquées pour le Rafale qui, en plus, semble être sorti du jeu en Inde où un appel d'offres a été lancé pour 126 appareils.

Des drônes, automatiques et moins coûteux

Le marché brésilien de 36 avions de combat n'en prend que plus d'importance pour Dassault Aviation et la France, car les débouchés se tarissent progressivement pour un appareil de la génération du Rafale. Il reste également de sérieuses chances avec les Emirats arabes qui cherchent à acquérir une soixantaine d'appareils. Dans ses négociations avec Abou Dhabi, Paris mise sur l'antériorité acquise avec les Mirages 2000. Sans oublier le contrat que la Libye agite sous le nez des fournisseurs pour la douzaine d'appareils qu'elle envisagerait d'acquérir.

Mais quelles que soient les chances du Rafale d'être commandé par des armées autres que françaises, la probabilité pour que cet avion de combat n'ait pas de successeur chez Dassault est très forte. La maîtrise des airs avec les drônes ou autres engins à pilotage automatique moins coûteux, passe par la mise en œuvre de technologies qui sont moins de la compétence des fabricants de cellules d'avion que de leurs équipementiers dans l'électronique. D'où l'engagement de Dassault dans Thales. Quant à l'Etat français engagé dans EADS, il devra non seulement trancher, mais également respecter des impératifs d'économies budgétaires forcément plus grandes sur des programmes développés en coopération que seul. Mais peut-être assistera-t-on un jour à l'entrée de Dassault dans EADS, ce qui permettrait à l'Europe de ne pas perdre le capital technologique acquis par l'avionneur français, franc-tireur de génie dans une industrie mondiale dévoreuse de capitaux. Mais c'était il y a déjà longtemps dans les années 1950, 1960 et 1970. Autant dire... il y a un siècle.

Gilles Bridier

Image de Une: Rafale Reuters

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