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Non, les Coupes du monde n'augmentent pas la prostitution et le trafic d'êtres humains

Toutes les études montrent le contraire, et continuer à l'affirmer n'aide pas la cause de ceux qui souffrent vraiment de ces problèmes dans les pays hôtes.

Vanessa, 13 ans, dans un foyer pour filles victimes de violences sexuelles ou d'exploitation commerciale, le 1er novembre 2013 à Fortaleza, au Brésil, REUTERS/Ricardo Moraes
Vanessa, 13 ans, dans un foyer pour filles victimes de violences sexuelles ou d'exploitation commerciale, le 1er novembre 2013 à Fortaleza, au Brésil, REUTERS/Ricardo Moraes

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur CBS News, New York Times, CNN, LA Times, Spiked

Un réseau de congrégations catholiques vient de lancer depuis le Vatican une campagne pour lutter contre le trafic d'êtres humains à l'approche de la Coupe du monde au Brésil, affirmant que les évènements sportifs internationaux attiraient les trafics d'êtres humains et que le risque d'exploitation des enfants avait augmenté entre 30% et 40% pendant les deux dernières Coupes du monde en Allemagne et en Afrique du Sud. Selon le journal brésilien Folha de S. Paulo, le marché de la prostitution devrait augmenter de 60% pendant le Mondial.

Si ces informations vous semblent familières, c'est normal: tous les quatre ans, avant chaque Coupe du monde, les articles se multiplient pour annoncer l'augmentation de la prostitution et l'afflux de travailleuses du sexe venues de l'étranger dans le pays hôte pour profiter de la horde de supporters alcoolisés qui va envahir le pays. Pourtant, tous les travaux effectués sur le sujet parviennent à la même conclusion: cette idée tient plus du mythe que de la réalité.

Le sujet a explosé pour la première fois en 2006 avant la Coupe du monde en Allemagne, pays qui venait de légaliser la prostitution. De nombreux reportages avaient montré la construction de maisons closes géantes, et certains parlaient de l'arrivée de plus de 40.000 travailleuses du sexe venues de l'étranger. Mais il n'y a finalement pas eu d'augmentation de l'activité, juste une fréquentation légèrement en hausse après les matchs, comme l'a rapporté le New York Times à l'époque.

Pas d'augmentation en 2006 et 2010

Un rapport de l'Union européenne a même montré que le nombre de clients avait baissé pendant la compétition dans beaucoup d'établissements, tandis que l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a conclu après enquête qu'il n'y avait pas eu d'augmentation du trafic d'êtres humains.

En 2010, les autorités sud-africaines avaient estimé que la Coupe du monde pourrait accroître le trafic de drogue et la prostitution. Coïncidence, les médias avaient évoqué le même chiffre de 40.000 travailleuses du sexe qui s'apprêtaient à rentrer dans le pays, qui était censé être beaucoup moins armé pour réguler le trafic que l'Allemagne avant lui. Encore une fois, les autorités n'ont pas vu d'augmentation du nombre de prostituées ou de trafic d'êtres humains pendant la compétition.

Le magazine britannique Spiked s'amusait à l'époque de l'augmentation exponentielle des chiffres lancés par certaines associations ou dans les médias à l'occasion des grandes compétitions: 10.000 prostituées en plus pour les JO de Sydney en 2000, 20.000 pour les JO d'Athènes en 2004, et donc 40.000 pours les deux derniers mondiaux. «J'imagine que l'on devrait se réjouir de l'énorme retenue par rapport à la Coupe du monde cette année, on est resté au chiffre de 40.000 au lieu de le doubler pour atteindre 80.000», écrivait Brendan O'Neill, fondateur du magazine.

Des chiffres fantaisistes contre-productifs

Une étude commandée et financée par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) sur le sujet a finalement conclu qu'il n'y avait pas eu «d'augmentation dans la demande ou l'offre de travail sexuel pendant la Coupe du monde 2010», et se concluait par cette recommandation:

«Les programmes de santé public futurs sur le travail sexuel et la prévention du VIH pendant les évènements sportifs internationaux comme les Jeux olympiques de Londres en 2012 ou la Coupe du monde au Brésil en 2014 devraient être basés sur des preuves, et non sur un sensationnalisme alimenté par les médias qui augmente la discrimination et la vulnérabilité des travailleurs sexuels.»

Le message est clair: les chiffres alarmistes et les articles remplis de clichés auxquels on a le droit avant chaque compétition n'aident pas la cause des travailleurs du sexe dans les pays concernés, et ils sont nombreux au Brésil. On estime que le pays compte environ 250.000 enfants prostitués et 15% de toutes les femmes victimes de trafic d'être humains du continent sud-américain.

Profiter de la Coupe du monde et de l'énorme attention internationale pour sensibiliser le public sur ces sujets est une très bonne idée. Mais rien ne sert d'en profiter pour diffuser, comme vient de le faire la campagne catholique au Vatican, des chiffres fantaisistes et des contre-vérités.

Rendons-donc hommage à la campagne menée par l'association de lutte contre la prostitution enfantine (Ecpat) depuis plusieurs semaines avec les footballeurs Kaka et Juninho. Son porte-parole Anko Ordonez a récemment fait cette déclaration pleine de bon sens:

«Il n'y a pas de lien direct entre les grands évènements sportifs et une augmentation du recours au tourisme sexuel impliquant des enfants (TSIE), mais plus il y a de voyageurs, plus le risque qu'il y ait des touristes sexuels est grand».

Grégoire Fleurot

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