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Les corners sont-ils de vraies occasions de but?

La réponse qu'on apporte à cette question peut avoir de vraies implications sur le jeu lui-même: si on ne marque que rarement de façon directe sur corner, à quoi bon prendre le risque de faire monter ses défenseurs centraux en s'exposant à une contre-attaque?

L'Uruguayen Godin marque sur corner contre l'Italie, le 24 juin 2014 à Natal. REUTERS/Carlos Barria.
L'Uruguayen Godin marque sur corner contre l'Italie, le 24 juin 2014 à Natal. REUTERS/Carlos Barria.

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Les corners sont-ils une occasion de but? Au vu des statistiques depuis le début de la Coupe du monde, la question peut paraître incongrue: sur les 154 buts inscrits au cours du premier tour, pas moins de 23 ont été marqués sur corners, directement ou à la suite d'une ou plusieurs déviations (comme le but de l'Italien Marchisio contre l'Angleterre) voire d'un arrêt du gardien (comme celui de l'Allemand Müller contre les Etats-Unis). L'équipe de France en a déjà marqué trois, dont les deux buts qui l'ont qualifiée pour les quarts de finale.

Mais il s'agit d'une des interrogations qui divisent le plus le petit monde des passionnés d'analyse statistique du football. La réponse qu'on y apporte peut avoir des implications importantes sur le jeu lui-même: si on ne marque que rarement de façon directe sur corner, à quoi bon prendre le risque de faire monter ses défenseurs centraux en s'exposant à une contre-attaque? 

Pourquoi, ne pas au contraire, jouer un corner court («à la rémoise») et essayer de créer une occasion de but à un moment où la défense adverse sera moins regroupée et concentrée? Depuis le début du Mondial brésilien, pas moins de 18% des corners ont ainsi été joués courts (109 sur 598).

Au plus haut niveau, chaque équipe obtient en moyenne entre cinq et six corners par match. Savoir s'ils sont une source de buts fiable ou pas est crucial pour tout entraîneur, qui doit décider combien de joueurs mettre dans la surface de réparation adverse mais aussi combien de temps consacrer à mettre au point des stratégies et des combinaisons pour tenter de marquer sur cette phase de jeu.

Dans The Italian Job, un livre sur les différences culturelles entre le foot italien et anglais, le journaliste Gabriele Marcotti et l'ancien joueur et entraîneur Gianluca Vialli rapportent l'amusement de José Mourinho quand il a découvert, en devenant entraîneur de Chelsea, la passion avec laquelle les supporters accueillent chaque corner outre-Manche:

«Dans combien de pays un corner est-ils accueilli avec autant d'applaudissements qu'un but? Un seul. Cela n'arrive qu'en Angleterre.»

Pas de corrélation

Les économistes David Sally et Chris Anderson se sont penchés sur la question dans leur excellent livre sur la révolution statistique dans le football, The Numbers Game: Why Everything You Know About Football is Wrong. Et selon eux, la réponse est claire: contrairement à ce que l'on pourrait croire, les corners ne sont pas une occasion de but.

En étudiant les statistiques de neuf saisons de Premier League, ils ont trouvé que si les équipes qui avaient plus de corners tendaient à tenter plus de tirs, elles ne marquaient pas plus de buts.

Ils écrivent:

«Le nombre total de buts que marque une équipe n'augmente pas avec le nombre de corners qu'elle gagne. La corrélation est fondamentalement de zéro. Vous pouvez avoir un corner ou 17 corners: cela n'aura pas d'impact significatif sur le nombre de buts que vous marquez.»

 

Les graphiques ci-contre, publiés sur le blog Soccer by the Numbers, tenu par les deux économistes, rassemblent des statistiques des quatre grands championnats européens (Italie, Angleterre, Espagne et Allemagne) au cours de cinq saisons, de 2005 à 2010.

En gardant à l'esprit que le nombre moyen de buts qu'une équipe marque par match tourne autour de 1,3, ces graphiques montrent effectivement que le nombre de corners n'influence pas le nombre de buts par match.

Une tendance qui se vérifie dans cette Coupe du monde. L'Algérie a marqué un but en 10 corners, l'Angleterre n'en a marqué aucun avec 22 corners.

Chaque corner vaut 0,022 but

Dans leur livre, David Sally et Chris Anderson sont allés encore plus loin.

Avec l'aide des statistiques de StatDNA, ils ont calculé le nombre de tirs et de buts qui ont été marqués dans les trois touches de balle consécutives à un corner sur un échantillon de 134 matchs de Premier League de la saison 2010-11, soit 1.434 corners.

Résultat: seulement 20,5% des corners, soit 1 sur 5, entraîne un tir cadré, et seulement 1 tir consécutif à un corner sur 9 s'est traduit par un but.

En combinant ces deux chiffres, on arrive à la conclusion que chaque corner vaut en moyenne 0,022 but. «Pour faire simple, l'équipe moyenne de Premier League marque un but sur corner tous les 10 matchs», concluent Sally et Anderson, qui poursuivent:

Les corners n'ont presque aucune valeur

David Sally et Chris Anderson, The Numbers Game

«Pas étonnant que Mourinho ait été si perplexe de voir les foules anglaises rugir de plaisir dès que leur équipe obtient un corner. Pas étonnant que Barcelone [...] semble avoir abandonné les corners tels qu'on les connaît, préférant les utiliser comme une opportunité de garder la possession au lieu de balancer le ballon dans la surface. Les corners n'ont presque aucune valeur; étant donné le risque de se faire prendre par une contre-attaque, avec vos défenseurs centraux abandonnés dans la surface adverse, leur valeur en termes de différence de but nette est proche de zéro.»

Cette année au Brésil, les équipes ont été efficaces sur corner; depuis le début du tournoi, sur les 598 corners tirés, 23 ont entraîné un but, soit un but tous les 26 corners. Mais ce taux de conversion exceptionnel a de grandes chances de s'estomper, comme l'explique Michael Caley sur le site du Washington Post, en suivant une règle statistique immuable: plus l'échantillon est grand et plus il se rapprochera de la moyenne habituellement observée.

La plupart de ceux qui se sont intéressés à l'impact des corners ont trouvé des chiffres équivalents à ceux de Sally et Anderson. Lors du Mondial sud-africain, il y a eu en moyenne un but tous les 45 corners, soit un total de 14 buts sur corner pour 145 buts marqués pendant tout le tournoi.

Sur les 29 premières journées du championnat de première division néerlandais 2012-13, l'analyste et auteur du blog The Sixteenth Tijs Rokers a montré que seuls 3% des 2.723 corners tirés avaient entraîné un but, soit un but tous les 33 corners. De retour en Premier League, Benjamin Pugsley a trouvé le même ratio (un but tous les 32,8 corners) pour la saison 2012-2013.

En défense des corners

Comme souvent quand il s'agit de statistiques, tout le monde n'est pas d'accord sur la lecture des chiffres.

Dans un billet intitulé «En  défense des corners», le blogueur Mark Taylor explique pourquoi ce taux de conversion, souvent proche de 3% en moyenne, ne veut pas forcément dire que les corners sont inutiles:

«Le taux de succès sur les tentatives de but dans le jeu semble supérieur au taux de buts marqués sur corner. Mais la comparaison est imparfaite parce que les mouvements d'attaque qui se terminent avant qu'un tir ne soit tenté (l'équivalent d'un corner qui est dégagé par la défense avec succès) sont très rarement inclus dans les analyses de création d'occasions dans le jeu ouvert. [...]

 

En résumé, une situation d'attaque à 2 contre 1 ratée et qui est dégagée par le défenseur est simplement comptée parmi les nombreuses autres passes ratées dans les 30 derniers mètres, et ne sera pas probablement pas comptée comme l'échec de la création d'une occasion de but dans le jeu. En revanche, une défense qui dégage un corner avec succès est enregistré comme un coup de pied arrêté infructueux.»

Si le faible taux de corners qui se terminent par un but est indéniable, il faut en effet aussi prendre en compte le faible taux de conversion d'à peu près toutes les actions du football, sport collectif qui se démarque des autres par la rareté du but et la difficulté de marquer.

Un meilleur taux de conversion sur corner?

Le blog 7amkickoff apporte une bonne illustration de cette remise en perspective. Sur la saison 2012-13 de Premier League, il y a eu 10.559 tirs pour 1.063 buts, soit un taux de conversion général de presque exactement 10% (un but tous les 10 tirs). En comparaison, en rapportant le nombre de buts marqués sur corner (123) au nombre de tirs tentés consécutivement à un corner (805) cette saison-là, on obtient un meilleur taux de conversion de 15,65%.

La réponse au mystère de l'efficacité des corners est sans doute: ça dépend.

Avant sa saison 2013-14 catastrophique, Manchester United a ainsi été de loin la meilleure équipe d'Angleterre pendant vingt ans, remportant treize des vingt championnats depuis 1992. Et le club mené par Alex Ferguson a, tout au long de cette période, beaucoup insisté sur les corners. En 2012-2013, il a marqué quinze buts sur cette phase de jeu, soit un tous les 2,5 matchs ou 17% de tous ses buts marqués en Premier League cette année-là.

Si le FC Barcelone décide de tirer plus de corners courts que d'autres équipes, c'est peut-être simplement parce qu'il voit cette phase de jeu comme une occasion de garder la balle, véritable obsession du club catalan.

Mais le corner est aussi, pour des clubs de bas de tableau qui n'ont pas les mêmes réserves de talent et de joueurs techniques que le Barça mais peut-être des joueurs plus grands et plus costauds, une arme de première importance pour tenter de sauver leur peau, notamment en Premier League.

Ce graphique posté sur le blog Soccer by the Numbers montre que certaines équipes supposément faibles ont d'excellents taux de conversion sur corner:


 

Tout dépend donc de la philosophie et des forces et faiblesses de l'équipe qui tire le corner, mais aussi de celles de l'équipe qui défend.

Dans sa causerie d'avant-match le 12 juillet 1998, à quelques heures de la finale de Coupe du monde contre le Brésil, le sélectionneur français Aimé Jacquet avait insisté sur le manque de «rigueur de marquage» des Brésiliens sur coups de pieds arrêtés et enjoint ses joueurs à en profiter en étant «malins»:

«Essayez de bouger, essayez de les perturber.»

La suite est connue de tous: ce soir-là, Zinédine Zidane a marqué deux buts de la tête sur corner et est entré dans la légende de la compétition.

Statistiques du Mondial 2014 fournies par:

 

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