Société

La Drômanie et le Bléonistan sont-ils le prochain Luberon?

[Épisode 6] L'heure est venue de faire le bilan de cet été français, avec deux régions touristiques fictives (toute ressemblance avec la réalité n'est aucunement fortuite).

La commune de Lurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence. | Philippe Gras <a href="https://unsplash.com/photos/eyla6vs2c3I">via Unsplash</a>
La commune de Lurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence. | Philippe Gras via Unsplash

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Cet été, j'ai séjourné dans la vallée du Bléonistan, une région enclavée de moyennes montagnes alpines, et j'ai rejoint pour quelques jours des amis qui se trouvaient à quelques heures de voiture dans les collines de la Drômanie. J'ai été frappé par le contraste entre les deux territoires: grâce à son altitude, le Bléonistan se rafraîchit en soirée, alors que la température reste élevée en Drômanie, et l'air étouffant comme dans la Provence voisine.

C'est d'ailleurs à cette dernière que la Drômanie se compare souvent: la lavande, les villages perchés et les oliviers en composent le paysage photogénique jadis de carte postale, aujourd'hui de post Instagram. Les reliefs du Bléonistan sont davantage marqués et c'est au Tibet, voire au sol lunaire que la région ressemble le plus.

En Drômanie, la vieille pierre est reine; Anglais·es, Hollandais·es et Parisien·nes ont restauré les hameaux et les fermes pour en faire des gîtes de charme dont la perfection esthétique peut provoquer un certain malaise à force d'artificialité et de souci maniaque du détail: c'est comme si toute la région s'était préparée pour servir de décor à un shooting du magazine Côté Sud pouvant intervenir à l'improviste.

La population est à l'image du bâti. L'accoutrement estival la fait ressembler à une troupe de figurant·es d'une publicité pour l'art de vivre provençal. Si, en haute Drômanie voisine le sarouel s'impose en toute saison comme la tenue locale, en Drômanie touristique les étoffes sont soignées, la mise prime même en vacances, le relâchement n'est qu'apparent et souvent calculé.

Les rues des villages de la Drômanie alternent boutiques de céramique et agences immobilières, les annonces de ces dernières promettent une maison de campagne ou une vaste propriété avec la mention «Idéal Projet Chambre d'Hôtes». En comparaison, les villages du Bléonistan apparaissent pour ce qu'ils furent: pauvres et rudes, avec des maisons de village exiguës et des fermes isolées qui évoquent les inquiétantes fictions de Pierre Magnan.

J'ai croisé sur les petites routes en lacets de la Drômanie des voitures de luxe et même des hélicoptères qui déposent les estivant·es sur un col où un taxi vient les récupérer. Sur les routes de montagne du Bléonistan, on se fait doubler par des groupes de motard·es à blouson en cuir clouté qui font étape dans les bistrots de pays (burgers, assiettes de charcuterie, café gourmand) qui composent l'essentiel du paysage gastronomique alentour. Nul foodie égaré en ces terres.

Un éloignement salvateur

S'il fallait résumer l'opposition en musique, la Drômanie serait une playlist électro-chill, qui alternerait du Christine and the Queens et du Metronomy, quand le Bléonistan serait une compil' de hard rock sur CD, avec des chansons d'AC/DC et de Guns N' Roses. On peut aussi définir l'identité de chacun des territoires en déroulant la listes des people et personnalités associées à ses villages. Réalisateurs, romancières à succès et directeurs de médias séjournent volontiers en Drômanie. Dans le Bléonistan, on a aperçu cet été le Duster du professeur Raoult qui y possède une maison, mais c'est à peu près tout, et c'est en soit une information.

C'est avant tout la vie sociale qui diffère d'une région à l'autre. En Drômanie, résidents secondaires et néo-ruraux donnent le ton et cela se voit. La vie mondaine est riche du fait que les réseaux parisiens se délocalisent par grappes en été. Les locaux habitent dans les maisons récentes de constructeur à l'entrée et à la périphérie des beaux villages, travaillent dans l'agriculture ou vivent de la rénovation et de l'entretien des maisons de résidents secondaires. Dans le Bléonistan, les néo-ruraux existent mais forment une minorité qui doit composer avec les locaux pour se faire accepter.

Les festivités sont prises en charge par les habitant·es permanent·es des villages, ce qui donne aux événements un parfum d'authenticité qui manque aux soirées huppées de Drômanie. En Drômanie, on est fréquemment invité à sortir sa carte bleue pour goûter à l'authenticité locale. Le Bléonistan a peu de prestations payantes à offrir, et les activités se découvrent en allant glaner les renseignements auprès de sources humaines –il ne faut pas hésiter à payer l'apéro pour les obtenir.

À l'issue de ce petit séjour comparatif, je me suis demandé si le Bléonistan n'était pas destiné à devenir la future Drômanie, la Drômanie étant elle-même devenue à la mode quand le Luberon situé un peu plus au sud est devenu totalement inabordable. Se pourrait-il que de nouveaux marchés de report apparaissent sur le territoire?

J'ai tendance à en douter, d'abord parce qu'il manquera toujours au Bléonistan la facilité d'accès –le territoire n'est pas desservi par l'autoroute et ne jouxte nulle gare TGV. Cet éloignement se paie mais préservera à jamais le territoire des flux touristiques. Mais surtout, je fais confiance au Bléonistan pour rester à l'écart du marketing territorial et demeurer un territoire qu'on peine à placer sur une carte. Il n'y aura peut-être jamais de nouvelle Drômanie, et c'est tant mieux.

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