Société

De la chambre d'hôtes à la Maison: quand les millennials attaquent l'hôtellerie

[Épisode 2] Une nouvelle génération d'hôtes proposent des séjours dans leur maison, dont la promotion à grand renfort de réseaux sociaux n'a rien à envier aux magazines de décoration.

Ces nouvelles chambres d'hôte hyper léchées font leur nid dans les campagnes gentrifiées. | Rob Wingate <a href="https://unsplash.com/photos/Fd9tUmRBJzk">via Unsplash</a> 
Ces nouvelles chambres d'hôte hyper léchées font leur nid dans les campagnes gentrifiées. | Rob Wingate via Unsplash 

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«Les coulisses du marché de la merguez.» «Le business des plages privées.» «La machine à cash des parkings du littoral.» «Caravane, mobile-home: quand le budget-vacances dérape.» «Les glaces artisanales le sont-elles vraiment?» «Barbecue, piscine, meubles de jardin: les fleurons économiques de votre été.» «Éco-lodge, parc aquatique: les nouveaux visages du camping»... 

Il faudra un jour créer un générateur de titres d'émissions de «Capital» consacrées aux vacances des Français·es. L'émission historique de la chaîne M6 n'a pas son pareil pour nous plonger dans l'ambiance anxiogène de l'été. Ses journalistes décortiquent avec opiniâtreté et humour la marge brute des hot-dogs de snacks de plage, décomposent les chaînes de valeur globales des salons de jardin en résine tressée, traquent les bons plans et les promos d'été sous l'œil impitoyable de Julien Courbet, héraut des temps libres qui se battra jusqu'à son dernier souffle pour défendre notre pouvoir d'achat. 

Dans un sujet récent consacré aux charmes de la Dordogne, «Capital» s'attarde sur les chambres d'hôtes du label Gîtes de France. Un sympathique couple d'anciens agriculteurs reçoit dans ses corps de ferme des familles françaises de classes moyennes adeptes de vieilles pierres, de convivialité et de produits de terroir. Parfois, les hôtes des gîtes reçoivent même la seconde génération, celle des enfants qui ont fréquenté ce type d'hébergement entre les années 1980 et 2000 et qui y sont restés attachés. «Il y a une clientèle Gîtes de France», assure le promoteur du label, venu rendre visite à l'hôte filmé par l'émission pour donner un petit coup de fouet à sa communication; photos alléchantes, mise en avant de l'authenticité du bâti dans l'annonce.

En 2019, Gîtes de France a lancé une campagne de communication et réalisé de petits films de présentation de ses hôtes: Catherine et Pierre, Jean-Michel et Jeanine, Patricia et Bruno nous ouvrent les portes de leur demeure accueillante sur des accords de folk comme ceux qu'utilisent les nouveaux acteurs du numérique. Une ode à la convivialité rurale pour répondre à une baisse d'attractivité de la formule, concurrencée sur le prix par AirBnb.

 

 

Gîtes de France revendique 42.000 membres et 70.000 hébergements dans tout le pays. Qu'adviendra-t-il de ces milliers de gîtes et chambres d'hôtes lorsque leurs propriétaires partiront à la retraite? Connaîtront-ils le même destin que l'hôtellerie traditionnelle ou les centres de vacances? Sur Leboncoin, qui s'aventure dans les territoires les moins bien reliés aux métropoles, on tombera rapidement sur des hôtels vieillots ou des centres de vacances vendus pour le prix d'un trois pièces au métro Lamark-Caulaincourt.

La «Maison», le format qui réinvente la chambre d'hôtes aux normes Instagram

Dans la mesure où le positionnement des chambres d'hôtes paraît un peu daté, et où les Relais & Châteaux restent l'apanage du lectorat du Figaro magazine, en raison d'un positionnement-prix très excluant, les millennials exigeants mais non millionnaires ont dû inventer leur propre segment, ajoutant une offre originale sur le mapping de l'hébergement de loisirs. Dotés de ce rapport méticuleux, certain·es diront publicitaire, que les générations post-Instagram ont développé à l'image, les nouveaux hôtes expriment une attente d'authenticité qui se traduit par un souci obsessionnel du détail, à commencer par leur communication visuelle qui s'est hissée aux standards des magazines de décoration.

Jusqu'ici, il manquait un guide du Fooding de ces nouvelles chambres d'hôte hyper léchées. Se présentant comme «une collection de lieux singuliers», d'«adresses intimistes, authentiques et soucieuses du moindre détail», le site EnjKey remplit parfaitement cette fonction. Sa sélection se focalise sur le week-end comme moment de détente, d'émerveillement et de déconnexion. À la limite, la destination est secondaire par rapport à la qualité de la prestation. «Une jolie bâtisse, un corps de ferme rénové ou un hôtel de campagne. Des meubles chinés, des matières brutes ou des draps en lin. Des tables aux produits de saison, des terrasses ombragées ou des piscines avec vue…», voilà ce que proposent les nouveaux hôteliers de nos campagnes gentrifiées.

 

 

Dans cette famille d'hébergements, on trouve encore des fermes, domaines, des mas, des moulins, des relais et des châteaux, mais l'intitulé qui remporte le plus de succès, c'est sans conteste celui de Maison. Il suffit de choisir une région française sur le site pour s'en convaincre. Dans le quart sud-est, je suis tombé sur une quinzaine d'entre elles: Maison Volver, Maison Jalon, Maison Cîmes, Maison Rousse, Maison Craux, La Maison Cocoon… 

 

 

Les Maisons nous promettent un état d'esprit «bohème et vintage», «des lignes épurées réalisées en béton brut», «le bois brut et la pierre laissée dans son jus», «des objets chinés», «des couleurs chaudes de Farrow&Ball», «des playlists maison» et «des petits-déjeuners bio». Comme ce fut le cas de la première génération de chambres d'hôtes, les fondateurs et fondatrices de ces nouvelles maisons sont bien souvent des couples de citadin·es qui ont renoncé à leurs jobs dans l'économie de la connaissance pour se consacrer à ces îlots de perfection esthétique et morale, dans lesquelles tout est bon et beau. 

Les tarifs semblent confirmer que nous avons affaire à une version légèrement upgradée de la chambre d'hôtes: la nuitée en maison tourne autour de 110 euros, contre environ 70 pour le format bead and breakfast plus traditionnel.

 

 

Bien entendu, les maisons ne sont qu'une poignée mais elles questionnent un modèle qui jusqu'à présent établissait une frontière stricte entre les vacances et le reste de l'année. Les maisons sont bien positionnées pour l'afflux de citadin·es en manque de nature, lorsqu'on s'apercevra que la vague de retour à la campagne que nous avons collectivement vendu au grand public se transformera en vaguelette immobilière.

Contraintes par leur budget, rattrapées par le quotidien sans pour autant renoncer à leur espoir d'une vie meilleure loin de la ville, nombreuses seront celles et ceux qui chercheront moins qu'une résidence secondaire, mais plus qu'une chambre d'hôtes pour leurs week-ends. L'innovation marketing sectorielle pourra se déchaîner, on parlera bi-résidence, coliving, staycation et autres micro-séjours de proximité au statut hybride entre le temps du quotidien, celui du travail et celui des vacances. Alors, nous chercherons toutes et tous une maison de substitution, pour une nuit, pour une semaine ou pour la vie. 

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