Société / Sports

Marco Pantani, l'idole martyr d'une affaire aux zones d'ombres

Si une enquête pour homicide avait été rouverte en 2014, mais classée sans suite par la justice italienne, la famille et les supporters du coureur cycliste se refusent encore à croire qu'il est décédé d'une overdose de cocaïne.

Le 5 juin 1999, au sommet de son art, celui qui avait remporté la Grande boucle est lui-même rattrapé par un cas de dopage. | Pascal Pavani / AFP 
Le 5 juin 1999, au sommet de son art, celui qui avait remporté la Grande boucle est lui-même rattrapé par un cas de dopage. | Pascal Pavani / AFP 

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Disparu brutalement à l'âge de 34 ans, le 14 février 2004, la mort du coureur cycliste italien vainqueur du doublé Giro –Tour de France, officiellement attribuée à une surdose de cocaïne, continue de poser question. Maintes fois relancée du fait de zones d'ombres persistantes, l'enquête semble ne jamais vouloir se refermer dans le cœur des Italiens qui se refusent encore d'admettre la déchéance de celui qu'ils ont, un temps porté aux cieux avant de l'en destituer brutalement, et préfèrent le rêver en martyr.

«Personne d'autre que lui n'était capable d'enthousiasmer la foule comme il l'a fait dans les montagnes du Tour de France ou du Tour d'Italie.» Ces mots ont été prononcés le 18 février 2004 à Cesenatico, petite ville balnéaire de la côte adriatique. Ce sont ceux d'un ami proche, Amalio Bartoloni, de celui à qui l'on rend, ce jour, un dernier hommage, le coureur cycliste Marco Pantani. Le corps de celui qui faisait rêver les foules par ses prouesses et son audace dans les routes de montagne a été retrouvé quelques jours plus tôt, le 14 février 2004, sur le sol d'une modeste chambre d'hôtel à 55 euros.

«Reclus depuis cinq jours»

On le disait dans une mauvaise passe. Il était arrivé seul de Milan, sans bagages et sans téléphone portable, 20.000 euros d'argent liquide en poche, le 9 février, en début d'après-midi. Il avait déboursé 680 euros pour un taxi et 4.000 euros pour de la cocaïne. L'hôtel Le Roses, situé au numéro 46 de la Viale Regina Elena, dont il occupait la chambre 5D, n'avait rien d'un palace mais présentait l'avantage de se trouver à proximité du domicile de son dealer.

Selon le juge d'instruction, «il vivait reclus depuis cinq jours» et n'aurait passé qu'un seul coup de téléphone, le jour de son arrivée. Il avait coutume de se faire livrer ses repas en provenance d'un petit restaurant à proximité de la résidence hôtelière, le Rimini Cake. A l'exception du 14 février.

Il avait déboursé 680 euros pour un taxi et 4.000 euros pour de la cocaïne.

C'est parce qu'il s'inquiétait de constater que l'ancien champion n'avait pas dîné qu'il est venu frapper à sa porte et qu'il l'a découvert allongé sur le sol simplement vêtu d'un jean, allongé à côté de son lit. Le concierge a également indiqué que du sang coulait du nez de la victime. Il donne l'alerte à 20h30.

De l'Élefantino au Pirate

Dans la chambre, l'on retrouve une dizaine de boîtes d'antidépresseurs et d'anxiolytiques, près de son corps et dans le coin cuisine, mais «aucune trace de drogue illicite», selon le procureur du parquet de Rimini, Paolo Gengarelli. L'hypothèse d'une mort violente est également immédiatement exclue par la police tout comme celle d'un suicide. «Personne n'a parlé de suicide, et moi, je l'exclus», avait déclaré le magistrat le lendemain de la macabre découverte, à l'occasion d'une conférence de presse.

Overdose, mort naturelle? La réponse est entre les mains du médecin légiste, le professeur Giuseppe Fortuni, qui doit pratiquer l'autopsie le lendemain matin à l'hôpital Infermi de Rimini.

Marco Pantani a notamment remporté un Tour de France et un Tour d'Italie. | Patrick Kovarik / AFP

Une fin des plus sordides pour celui qui, cinq ans plus tôt, était porté au pinacle par une nation toute entière, détrônant les idoles du Calcio et faisant oublier l'élimination du Squadra en quarts de finale de la Coupe du monde, lorsqu'il remporta le doublé Giro –Tour de France en 1999. Septième coureur de l'histoire du cyclisme à avoir réussi ce double exploit la même année, il se voit décerner un Vélo d'or. L'Élefantino, surnom qu'il doit à ses oreilles décollées, est mort. Il Pirata est né. Bandana, crâne rasé, boucle d'oreille et tatouages, le grimpeur aux mensurations idéales (57 kilos pour 1,72 mètre) est bientôt comparé à son idole, Fausto Coppi, dit le «campionissimo», le premier coureur à réaliser le doublé Tour d'Italie –Tour de France, en 1949.

Au sommet de son art, celui qui avait remporté la Grande boucle en plein scandale Festina, est lui-même rattrapé par une affaire de dopage, le 5 juin 1999, à trente-six heures de l'arrivée du Giro. Tandis qu'il porte le maillot rose de leader, un contrôle sanguin inopiné réalisé par les médecins de l'Union cycliste internationale (UCI), à Madonna Campiglio, révèle que le taux d'hématocrite du champion s'élève à 52% contre les 50% autorisés, ce qui pourrait laisser penser qu'il a consommé de l'EPO. «Pirata, EPO, Vergogna», peut-on lire peint sur la route. Pantani crie au scandale et au complot. Rien n'y fait, il est exclu du Giro et le parquet de Turin ouvre une enquête pour «fraude sportive».

Descente aux enfers

C'est le début d'une longue descente aux enfers. Marco Pantani sombre dans la dépression et dans la cocaïne. Il multiplie les frasques et les accidents de la route comme en septembre 1999 où, au volant de sa Mercedes 600, il perd le contrôle de son véhicule. Il annonce son retour en grande pompe début janvier 2000, mais il ne retrouvera plus jamais le niveau qui était le sien. Il remporte deux victoires sur le Tour de France, mais abandonne avant la fin. «Pour moi, c'est le cyclisme qui l'a tué. Tout part de son exclusion du Tour d'Italie, en 1999, à Madonna Campiglio. Ce jour-là, Marco est tombé dans la honte», confiera sa mère, Tonina, dans un entretien accordé à Paris Match en 2007.

Celle qui fut sa petite amie pendant sept ans, Christina Jonsson, raconte comment leur vie a basculé après ce contrôle antidopage. «Il est rentré chez lui et a passé des jours à se désespérer et à pleurer. Il était complètement paralysé. [...] Marco s'est senti trahi et abandonné. Il estimait que son exclusion était préméditée.» Dix jours après son retour à la maison, il annonce à sa compagne qu'il a commencé à consommer de la cocaïne. «Je crois que c'était la seule manière pour lui de supporter la pression, de survivre à la situation qu'il subissait», explique-t-elle.

«Pour moi, c'est le cyclisme qui l'a tué. Tout part de son exclusion du Tour d'Italie, en 1999, à Madonna Campiglio.»
Tonina, mère de Marco Pantani

Les problèmes d'addiction et de dépression de Pantani ne sont un secret pour personne. Pas même pour sa mère. «Du vivant de son fils, elle menaçait ses dealers de les dénoncer s'ils continuaient à lui vendre de la drogue», rapporte le journaliste de l'Équipe, Philippe Brunel, auteur d'un ouvrage consacré au Pirate, Vie et mort de Marco Pantani. Le coureur continue malgré tout d'y croire et termine quatorzième de ce qui sera son dernier Giro en 2003 avant de partir suivre une cure de désintoxication à la clinique privée du Parco dei Tigli près de Padoue (Vénétie).

Aussi, lorsque le légiste annonce que «Marco Pantani est mort des suites d'un arrêt cardio-vasculaire consécutif à un œdème cérébral et à un œdème pulmonaire qui a provoqué une congestion pulmonaire», la piste de l'overdose se précise et sera confirmée au mois de mai 2004 après l'analyse des prélèvements effectués sur la dépouille.

Le parquet de Rimini ouvre une information judiciaire contre X pour «trafic de stupéfiants» afin de savoir qui a vendu la dose fatale à Pantani. «Un homme à l'allure distinguée» aurait été vu discutant avec lui la veille de sa mort, selon la presse italienne. «Les dealers de l'ont pas laissé vivre. Ils étaient toujours derrière lui sachant que c'était un bon client qui payait cash et ne prenait pas 2 grammes de cocaïne mais 2 kilos quand il en achetait», déclarait son ami Mario Pugliese à l'Équipe.

Colère et rispostes

Le jour des obsèques, le mercredi suivant la mort de l'enfant du pays, la petite ville de Cesenatico, 25.000 habitants, est en deuil. La cérémonie dans la petite église de San Giacomo Apostolo est réservée aux proches et à la famille mais des haut-parleurs ont été installés de sorte à ce que les 30.000 à 40.000 tifosi (supporteurs) attendus pour rendre un dernier hommage au cycliste puissent en profiter de l'extérieur. Tonina Pantani reste incrédule quant à la thèse de l'overdose. «Vous l'avez tué, vous l'avez persécuté pendant quatre ans. Laissez-nous seuls pour pleurer en silence», lancera-t-elle aux journalistes venus photographier le cercueil de son fils la veille des obsèques.

Le coureur est retrouvé mort des suites d'un oedème cérébral et pulmonaire. | Nico Cassamassima / AFP

Les neuf pages d'écrits retrouvés dans la chambre de Marco Pantani attestent de la vulnérabilité de la star déchue qui se sentait victime d'un complot. «Personne n'a réussi à me comprendre, même pas ma famille. Je me suis retrouvé seul», a-t-il écrit. «Combien d'hommes sombrent dans une tristesse torride en cherchant à rattraper leurs rêves qui se brisent dans les drogues? Je me sens un ex dans tous les sens du terme. J'ai débranché la prise», écrit-il.

«J'ai encore en tête le coup de fil de sa manager quand elle m'a dit que Marco était mort. J'ai eu un flash et depuis ce moment, je suis convaincue que Marco n'est pas mort comme ils l'ont fait croire au monde entier.»

Tonina Pantani est convaincue que son fils a été assassiné. «Condamnez les dealers, mais ce ne sont pas eux qui ont tué mon fils», scande-t-elle le jour de l'ouverture du procès des trois dealers et de l'escort-girls arrêtés par la police et soupçonnés, pour les premiers, d'avoir vendu la dose fatale de cocaïne à Pantani, pour la dernière de les avoir mis en relation avec le coureur. La mère épleurée soutient que l'enquête a été bâclée et qu'un certain nombre de zones d'ombre persistent. Elle est épaulée par l'avocat médiatique Antonio De Rensis qui obtient la réouverture de l'enquête en août 2014, dix ans après le décès de Pantani.

Overdose sous la contrainte?

«Nous venons de recevoir les documents envoyés par les proches [de Pantani] et avons ouvert une enquête [...] Nous les lirons et si nous estimons qu'il faut procéder à des investigations, nous saisirons un juge d'instruction», avait déclaré le procureur de la République de Rimini, Paolo Giovagnoli. «Il y a seize ans, le 2 août, Marco remportait le Tour de France et cette année, dix ans après sa mort, [...] je vous fais part d'une nouvelle: à tous les tifosi et à tous ceux qui ont cru en lui et aimé mon Marco, l'enquête est rouverte pour homicide», publie la mère du défunt sur sa page Facebook.

Le journaliste de l'Équipe, fin connaisseur du cyclisme de haut niveau, partage en partie les doutes de Tonina Pantani. «Il y a plus de raisons de penser qu'il y a eu un homicide qu'il y a de raisons de penser qu'il s'est suicidé ou qu'il est mort d'une overdose. L'idée serait celle d'une overdose contrainte», explique-t-il.

«Je vous fais part d'une nouvelle: à tous les tifosi et à tous ceux qui ont cru en lui et aimé mon Marco, l'enquête est rouverte pour homicide.»
Tonina, mère de Maroc Pantani

Certains éléments ont, selon lui, étaient balayés par les enquêteurs à commencer par les hématomes suspects sur le cou et derrière l'oreille gauche de Pantani. Et quid de la bouteille d'eau vidée et maculée de traces de poudre blanche ignorée des enquêteurs? L'aurait-on serré très fort de sorte à lui faire ingérer une dose létale de drogue mélangée à de l'eau? Qui est donc cet homme venu lui rendre visite la veille de sa mort? À qui appartiennent les blousons à capuche retrouvés dans la chambre et qui n'étaient la propriété du coureur? Qui a mangé un plat chinois dont les restes ont été retrouvés sur une corbeille dans la chambre alors que Pantani n'a jamais passé cette commande?

La presse italienne s'enflamme. «Marco fu ucciso!», («Pantani a été tué!»), titre la Gazzetta dello Sporto, le 2 août 2014. «Marco Pantani aurait été frappé et contraint à boire la cocaïne», affirme le quotidien sportif transalpin. «La grande quantité de drogue trouvée dans le corps de Pantani n'aurait pu être prise que diluée dans de l'eau», peut-on y lire. Pantani, martyr aurait été suicidé. Mais l'espoir de voir l'image du Pirate réhabilitée retombe comme un soufflet, aussi vite que la machine s'est emballée. En décembre 2014, lorsque la justice italienne rend son verdict. Selon elle, Pantani n'a pas été frappé et c'est l'association d'une dose trop forte d'antidépresseurs et de cocaïne qui a tué le champion.

«Phénomène de société»

La piste de la mafia est également évoquée. Depuis sa geôle, Renato Vallanzasca, un ancien criminel, affirme, en septembre 2015, que la Camorra napolitaine a truqué les analyses sanguines de Pantani qui lui valurent l'exclusion du Giro en 1999 pour des histoires de paris sportifs. L'enquête est néanmoins classée en 2017 par la justice italienne lorsque la Cour de cassation italienne rejette le recours présenté par les avocats de la famille du coureur italien contre le classement de l'enquête.

En 2017, la justice italienne classe l'affaire. | Pascal Pavani / AFP

Énième rebondissement en octobre 2019 lorsque Fabio Miradossa, qui prétend être le dealer qui a vendu à Pantani sa dernière dose, s'exprime à la télévision. «Marco n'est pas mort comme cela, il a été tué. Peut-être celui qui l'a tué ne voulait-il pas le faire, mais il a été tué. Ils ont dit que Marco était dans un délire de drogué, mais je suis convaincu que quand Marco a été tué, il était lucide.»

Nul droit pour la star déchue en plein vol de reposer en paix. Comme en plein déni, l'Italie se refuse à croire que le destin de celui qu'elle a brièvement porté aux nues devait s'achever à terre, à même le sol d'une triste chambre d'hôtel, seul comme jamais. «La mort de Marco invite à une série d'examens de conscience sur le sport et tout ce qui tourne autour du sport. Un homme vaut plus que ses victoire et ses défaites, un homme vaut plus que le cyclisme [...]. Un homme ne peut être sacrifié à une logique d'exploitation», avait déclaré l'évêque Antonio Lanfranchi, lorsqu'il avait célébré les obsèques du coureur.

«Le véritable problème de Pantani est de n'avoir pas supporté de redevenir un simple mortel alors qu'il était auparavant considéré comme un dieu», avançait le double vainqueur du Tour de France, Bernard Thevenet, au lendemain de l'annonce du décès de Pantani, ajoutant qu'il s'agissait là d'un «phénomène de société».

Épisode 2Marco Pantani, l'idole martyr d'une affaire aux zones d'ombres
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