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Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected].
On les utilise tous les jours, au point de ne plus y faire attention. Les lettres de l'alphabet ne sont pourtant pas tombées du ciel, loin de là. Avant de venir se nicher sur nos feuilles de papier, puis sur nos claviers d'ordinateur, elles ont traversé les âges et subi des évolutions drastiques.
Bien que lointaine, l'origine des lettres n'est pas un mystère. Leur ordre presque martial l'est en revanche beaucoup plus. A, B, C, D... d'où viennent ces lettres et qui diable a choisi cet ordre alphabétique-là?
Aux origines, les Phéniciens
Tirer le fil historique des lettres de notre alphabet, c'est comme remonter le temps à grandes enjambées. L'alphabet latin que nous utilisons aujourd'hui est en effet issu des Romains –qui l'ont copieusement pompé sur les Étrusques, un peuple italique de l'actuelle Toscane. Ces derniers ne sont pas en reste pour autant: ils ont tout piqué à l'alphabet grec quelque temps plus tôt. À vrai dire, les Grecs non plus ne se sont pas gênés pour s'inspirer fortement de celui des Phéniciens –qui s'enracine lui-même dans une écriture sémitique encore plus ancienne. Mieux vaut arrêter le fil ici, au risque d'en perdre son latin.
La quasi-totalité des alphabets modernes dérivent donc de l'alphabet phénicien, considéré parfois comme le père de l'alphabet. Ce peuple de commerçants originaire des cités de Phénicie, région qui correspond approximativement au Liban actuel, met en place à la fin du XIIe siècle avant J.-C. son fameux alphabet, qu'il propage à l'est de la Méditerranée. Son organisation? Vingt-deux lettres consonantes aux formes anguleuses et droites, que l'on écrivait de droite à gauche. Déjà, les prémices de l'alphabet que l'on utilise aujourd'hui sont bien visibles.
Les Grecs mettront mine de rien un bon coup de balai pour dépoussiérer tout ça. Parmi les modifications majeures, on trouve notamment la transformation de certaines des consonnes en voyelles, essentielles au grec qui n'est pas une langue sémitique. Vers 800 avant J.-C., l'alphabet est doté de vingt-quatre lettres au total.
La direction de l'écriture change elle aussi. Après avoir suivi la tendance phénicienne de l'écriture de droite à gauche, les Grecs passent un temps au boustrophédon –une écriture dont le sens de lecture alterne d'une ligne à l'autre, de droite à gauche puis de gauche à droite, à l'image d'un bœuf marquant les sillons dans un champ. Une bien belle image, qui ne résistera finalement pas longtemps à notre système actuel de gauche à droite.
Depuis les Grecs, l'alphabet passera entre les mains de différentes cultures et civilisations, jusqu'à s'en retrouver profondément marqué. Les Romains y mettront par exemple un petit coup de polish en donnant naissance à l'écriture latine, composée dans sa variante archaïque de vingt lettres seulement. Le G, dérivé du C, viendra s'y greffer au IIIe siècle, suivi du Y et Z –introduits à partir des alphabets grecs orientaux– et du J, V et W (VV à son origine) au Moyen Âge. La forme française a aussi connu des changements radicaux, notamment au XVIe siècle, avec l'adoption du «ç» emprunté aux Espagnols et des accents grave et aigu.
Le bœuf autour de la maison
Qu'en est-il de notre bon vieil ordre alphabétique? Et bien malgré le fait qu'elle soit passée de main en main au cours de l'histoire, la disposition des lettres n'a que peu changé. Une caractéristique qui ne nous facilite ici pas la tâche: aucun document millénaire n'explique vraiment pourquoi l'alphabet suit cet ordre précis. Heureusement, l'histoire n'est pas totalement ingrate, et plusieurs indices nous ont été laissés sur le chemin.
Selon les historiens, l'alphabet phénicien suivait un ordre basé sur le sens des lettres. Un classement dit sémantique qui devait servir à en faciliter l'apprentissage, à l'image d'un long moyen mnémotechnique. Voyez plutôt:
Le «A», premier son du mot «aleph», signifiait «bœuf». Il était suivi du «B», premier son du mot «beth» qui signifiait «maison». Pourquoi le A avant le B? Probablement parce que les bœufs n'étaient jamais bien loin de la maison. Autre exemple, «yodh», c'est-à-dire la «main», était suivi de «kaph» (qui donnera la lettre K), qui signifie la «paume», et de «lamed» (qui donnera la lettre L), autrement dit, «bâton». Main, paume, bâton: vous voyez l'idée?
Bien que nous ayons cessé de les voir comme des signes, les lettres de notre alphabet sont encore marquées par ces représentations imagées. Prenez le A majuscule, ce n'est ni plus ni moins qu'une tête de bœuf à l'envers. Le D, «dāleth», une porte. Et on peut jouer à ce petit jeu pendant des heures.
Pour d'autres lettres, l'explication est encore plus facile. Le Z par exemple est issu du dzêta grec, qui était, à la base, placé en sixième position sur l'abécédaire. Comment s'est-il retrouvé en queue de peloton? Les Romains l'ont en fait tout bonnement éjecté de leur alphabet, avant de le réintégrer, mais en bout de file. De manière générale, les lettres nouvellement ajoutées finissaient toujours à la fin. C'est le cas pour le Z donc, mais aussi pour le X et le Y.
Enfin, certaines lettres sont voisines à cause de leur sonorité. Le J, ancienne variante du I lorsqu'il y en avait plusieurs à la suite, a fini à côté de son partenaire de tous les jours. Pour ce qui est de l'ordre des autres lettres, une part de mystère existe toujours, perdue dans les méandres de l'histoire.