Société

«Tuer volontairement, c'est pas bien. J'adore les animaux!»

[Épisode 6] Séparé de ses parents Hubert Caouissin et Lydie Troadec, «le petit» a dû se reconstruire au milieu d'une famille dévastée. Partagé entre sa colère et l'amour d'un père cramponné à ses délires paranoïaques.

La cour d'assises de Nantes a accueilli le procès d'Hubert Caouissin et Lydie Troadec, respectivement condamnés début juillet à trente et deux ans ferme de réclusion criminelle. | Élise Costa
La cour d'assises de Nantes a accueilli le procès d'Hubert Caouissin et Lydie Troadec, respectivement condamnés début juillet à trente et deux ans ferme de réclusion criminelle. | Élise Costa

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Renée Troadec ouvre la porte de sa véranda. Sous la lumière froide du mois de mars, un petit garçon de 8 ans dessine. Les deux responsables du conseil départemental du Finistère se présentent. Le petit sait pourquoi elles sont là. Son père, Hubert Caouissin, et sa mère, Lydie Troadec, ont été arrêtés la semaine dernière. Juste avant ses aveux, son père l'avait informé de ce qui allait se passer. Ce serait lui qui ferait le plus d'années de prison, parce que c'est lui qui avait tué Pascal, Brigitte, Sébastien et Charlotte; sa mère n'y était pour rien. Les responsables éducatives expliquent à l'enfant le placement provisoire. Le petit ne dit rien de spécial. Il range ses dessins dans son sac, puis les suit.

Dans la voiture menant au lieu d'accueil, les deux éducatrices se lancent un regard discret. Sur la banquette arrière, le petit leur parle de la guerre, des combats, et de l'histoire en général. Il parle sans cesse. «Il n'a pas pleuré, n'a pas évoqué sa maman, a pu évoquer que son papa pouvait se taper la tête contre les murs, mais sans émotion. Il a un discours très élaboré pour son âge», se souvient l'une des éducatrices. Au bout d'un moment, sur la route, elle a demandé à voir les dessins du petit. «C'étaient des chevaliers avec des tuyaux par lesquels passait du sang», relate-t-elle à la cour.

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***

Au cinquième mois de grossesse, le cœur du petit avait soudain cessé de battre. À Lydie Troadec, la sage-femme avait simplement dit: «S'il veut vivre, il vivra», et c'était ce qui s'était passé. À l'été 2008, le petit, comme pressé de découvrir le monde, était né avec trois semaines d'avance. Il avait dû rester dix jours à la maternité, pour que l'on surveille son poids. L'instinct de protection concomitant de l'arrivée d'un enfant est souvent puissant, mais il l'était un peu plus chez Hubert Caouissin. «C'est peut-être là qu'ont commencé les angoisses», suggère Lydie.

Tout bébé déjà, ce fut un enfant spécial. En cas de contrariété, il se frappait la tête au sol. «C'était impressionnant», révèle Lydie.

À l'école, le petit est perçu par toutes ses maîtresses comme un enfant «gentil, souriant et bon élève». Le problème, rapporteront-elles plus tard aux enquêteurs, sont ses parents. Ils montent «tout en épingle», pour des histoires «insignifiantes comme des crayons perdus», persuadés que leur fils est harcelé.

«S'il a peur de moi, ce n'est pas la peine que je reste»

Finalement, en CM1, le petit reprend «l'école de Pont-de-Buis», comme ils appellent l'école à la maison. Ses parents assurent son instruction. Les règles y sont strictes: Hubert Caouissin a mis au point un leitmotiv «MMS», pour méthode, motivation, soins. «Il était un peu patachon, avec ses crayons un peu partout, etc.», argue le père. Les devoirs doivent être réalisés à une certaine heure, pendant un certain laps de temps. Il faut boire «huit verres d'eau par jour». Le chiffre fait sourire Hubert Caouissin: «On lui disait de boire, mais y avait pas de quantité…»

Note dans le journal intime de Lydie Troadec, 2016-2017:

«Ce soir, Hubert était excédé. Il m'a dit “Il a peur de moi, je suis méchant. S'il a peur de moi, ce n'est pas la peine que je reste.”»

Quand Jean-Noël, le frère de Hubert Caouissin, a appris la déscolarisation du petit, il s'est bien dit: «Quelque chose ne va pas.» Cela arrivait après les soucis de Hubert: les maux de tête, les difficultés de concentration et les sensations «de perte de mémoire à court terme», et après que Hubert lui a annoncé son arrêt de travail. «Faudrait que j'aille le voir», a pensé Jean-Noël. Mais le temps a filé, justifie-t-il, «et puis, on a toujours mieux à faire». À peine a-t-il prononcé cette phrase, le frère de Hubert s'effondre en larmes à la barre. Il essuie ses joues, mais il y a tant de larmes que c'est difficile. «Pardon, j'ai honte», dit-il.

La présidente de la cour d'assises tente de le rassurer, mais Jean-Noël répond qu'elle ne se rend pas compte: il pleure devant toute la famille de Brigitte «avec tout ce qu'elle a vécu». Enfin, il supplie: «Hubert, il va pas bien, il faut l'aider. Il faut vraiment l'aider.» Avant tout ça, il y avait les parties de pétanque et de tarot, le club de tennis et Hubert jouant avec ses neveux et nièces: «Il s'est toujours comporté comme un tonton exemplaire», jure Jean-Noël. Quand son frère Hubert et sa compagne Lydie Troadec ont été arrêtés, les gendarmes lui ont demandé d'aller chercher Heidi, la chienne du petit. C'est là que Jean-Noël a découvert la ferme de Pont-de-Buis.

***

Au début de son placement, le petit se présentait aux autres comme «l'enfant de l'affaire Troadec». Les éducatrices ont dû lui expliquer. Il fallait qu'il se protège. Au début, et de manière générale, elles notaient chez l'enfant une attitude «totalement lisse et sans affect». Pas de problème d'endormissement, ni de cauchemars. Beaucoup de dessins morbides, et de «logorrhée» quant aux faits. Sébastien d'abord, Brigitte qui tombe et se relève, ou encore: «Depuis deux semaines, Maman pleurait beaucoup. Fallait pas parler. Tuer volontairement, c'est pas bien. J'adore les animaux!» Ce n'était plus un secret, disait le petit. Son père avait avoué.

Mais trois semaines après son placement en famille d'accueil, fin mars 2017, le petit s'est mis à pleurer. Le mur de la réalité lui était apparu: il ne reverrait plus son père avant de longues années.

Petit à petit, relèvent les éducatrices, l'enfant semble «découvrir la vie», et notamment la vie en collectivité. Il est heureux d'aller s'acheter des habits et chez le coiffeur. Lors d'une sortie à la mer, il fait une balade de quarante-cinq minutes qu'il qualifie de «merveilleuse». Le petit parle du câlin du soir de sa maman. Les éducatrices réalisent à leur tour: «Les autres enfants disent avec des pleurs. Avec [le petit], tout est verbal, en fait.»

«Il dit que son père sait tout sur tout»

Juin 2018. Dans son bureau, la psychiatre mandatée par le juge des enfants observe le petit. Le fils de Hubert et Lydie aura bientôt 10 ans. Avec elle, il classe les animaux par ordre de préférence: en premier, les loups, comme son père. «Après les loups, les dauphins, et j'aime beaucoup les cétacés», signale-t-il à la psychiatre. À la ferme de Pont-de-Buis, il a aussi une poule qu'il adore et considère comme sa sœur: «C'est une super poule. Très intelligente et très rapide.» La psychiatre note alors qu'il devient «logorrhéique à ce sujet».

L'administratrice ad hoc du petit est chargée de représenter les mineurs face à la justice. Mais son rôle est plus large. Lors de leurs multiples rencontres, ils discutent beaucoup tous les deux. C'est facile, avec le petit, parce qu'il aime parler. «Il aime passionnément ses livres», indique l'administratrice à la cour. «Il veut être médecin, chercheur, ou écrivain.» Sa culture générale est prodigieuse, et de ça, tous les professionnels en conviennent: l'enfant a une passion pour la nature, le latin, le français et l'histoire. «Il dit des choses que lui a apprises son père, rapporte l'administratrice. C'est assez touchant, je dois dire. Il dit que son père sait tout sur tout.»

Depuis la prison, son père lui envoie de longues lettres. À l'aide d'un stylo-bic, il détoure sa main sur le papier, pour que le petit puisse l'attraper. Hubert Caouissin lui envoie plein de baisers. Il est très fier de lui. Le petit pourrait devenir médecin ou président, quand il sera grand. Hubert Caouissin lui dit de ne pas rater son cours d'allemand pour une séance avec le psychologue. Cela inquiète son fils.

«Pourquoi vous l'appelez “le petit”?» demande la présidente.

– Parce que je l'ai pas vu grandir, explique Lydie Troadec.
– Il aime ça?
– Non.
– Pourquoi?

Dans le box, Lydie Troadec pince un peu ses lèvres.

– Parce qu'il veut grandir, répond-t-elle.

«Vous pourrez lui dire que je l'aime?»

Aujourd'hui, son fils est presque un adolescent. «C'est un jeune en reconstruction», clarifie l'une des éducatrices à la barre. S'il pouvait, au début de son placement par l'ASE, être très angoissé à l'idée de rater un exercice ou un cours, l'adolescent a appris à penser par et pour lui-même. À propos de son cours d'allemand, il en a tout de suite parlé avec les éducatrices: «Il a dit que son père se trompait

La ferme à Pont-de-Buis, il ne veut plus en parler. «Il est très en colère, souligne l'éducatrice. Pas par rapport aux faits, mais par rapport à ce qu'il y a vécu.» Les dimanches entiers à faire des mathématiques, sous peine de ne pas manger le soir. Son père, effrayant, lorsqu'il n'arrivait pas à utiliser l'équerre. Au collège, l'enfant a appris à jouer au basket, aux jeux vidéo, et a été élu éco-délégué de sa classe. De ça, il en est très fier.

L'administratrice ad hoc se tourne alors vers le box des accusés. Elle a un message pour Hubert Caouissin et Lydie Troadec. Leur fils lui a demandé de leur dire «qu'il les aime». La phrase est si courte, qu'elle la répète à nouveau: «Voilà, il les aime.»

Recroquevillé sur le banc, Hubert Caouissin pleure sous son masque. Puis, il se lève pour répondre: «C'était très cadré, c'est vrai, mais je ne pensais pas… Je suis navré qu'il l'ait vécu comme ça…» L'accusé se passe la main sur le front, et presse les larmes en train de couler. En détention, il a fini par retirer du mur les photos de son fils. Elles lui transperçaient le cœur à chaque fois que ses yeux tombaient dessus. «Vous pourrez lui dire que je l'aime?», requiert-il à l'administratrice avant de laisser échapper dans un sanglot: «Infiniment.»

Son fils le sait. Mais il a encore peur de devenir comme lui, «de faire des colères comme papa». Le pédopsychiatre travaille avec lui là-dessus. Malgré ses 12 ans –bientôt 13–, l'adolescent a un «aspect très juvénile». Le pédopsychiatre se demande si sa puberté ne débutera pas après le procès. Quand tout sera terminé.

Au début de sa détention, Hubert Caouissin a écrit une longue lettre à la responsable éducative. À propos de son fils, il notait: «[Il] a une personnalité riche mais dont certains traits nous échappent.» Malgré son délire, il n'était pas dénué de lucidité. Malgré tout ce qu'il projetait sur son fils, ce dernier n'était pas lui, et ne le serait jamais. Devant les juges des enfants, le petit avait ainsi déclaré: «Ce qu'il y a de triste pour moi, c'est que même si Pascal n'est pas très gentil, c'est un membre de la famille. Et c'est important.»

«Je sais que c'est moche, mais je ne ressens rien»

Lorsque Lydie Troadec avait quitté Brest pour Paris, après ses études, elle avait suivi des cours de danse. Pascal, alors, riait, la prenait dans ses bras, pour qu'elle lui apprenne à danser à lui aussi. C'est un bon souvenir, dit-elle. Mais les mauvais souvenirs prennent toujours plus de place. «Quand je lui ai annoncé mon cancer, c'est comme si je lui disais que j'avais acheté une paire de chaussettes», dénonce-t-elle. Dans ses cartes postales, il parlait toujours de lui, jamais d'elle. Elle aurait voulu qu'il soit plus attentif. Elle aime son frère. Ou elle l'aimait. Elle ne sait plus faire la différence entre le présent et l'imparfait. Sa mère Renée mélange constamment les deux temps, elle-même a dû mal à s'y retrouver.

Souvent, Lydie voudrait lui parler de ce qui est arrivé, de Pascal et des enfants. Parfois, elle tente une approche, notamment aux anniversaires. Mais Renée Troadec ne dit rien, «elle se tait», constate sa fille. Renée n'a pas payé les obsèques. Elle ne s'est pas constituée partie civile au procès. Tous les souvenirs, quels qu'ils soient, vivent aujourd'hui en huis-clos. Lydie n'a personne à qui en parler, et il lui est compliqué, désormais, «de nouer des relations quand on s'appelle Lydie Troadec». Seule dans son lit, elle pleure la nuit.

Martine, la sœur de Brigitte, en a trop parlé. Maintenant, elle évite de le faire, pour «ne pas ressasser». Ses nuits à elle sont peuplées de «cauchemars horribles». Depuis les faits, elle ne peut plus ouvrir le coffre d'une voiture, ni se nourrir de viande. Elle dit ne pas être en mesure de faire le deuil. Face à la cour d'assises de la Loire-Atlantique, Martine s'écrie d'un coup: «Je ne peux pas admettre que quatre personnes soient massacrées, dépecées, coupées en petits morceaux et brûlées.» Alors, son buste pivote vers le box des accusés. Elle lui rappelle: «Pour rien! Pour rien! Pour rien, monsieur Caouissin!»

Hubert Caouissin baisse la tête. «Intellectuellement, je sais que c'est moche, mais je ne ressens rien», a-t-il expliqué au docteur psychiatre Zagury, venu l'expertiser en détention. Et de ça, du fait de ne rien sentir, «il s'en plaint comme de l'amputation de sa personne», rapporte l'expert. Pour autant, avance le docteur psychiatre Coutanceau, «[Hubert Caouissin] est marqué par ce qu'il a fait».

Dans les premiers mois de son incarcération, une image lui était brusquement remontée en mémoire. Il avait vu Charlotte Troadec, âgée de 18 ans. Il avait vu le coup qu'il lui avait porté, cette nuit du 16 au 17 février, un coup d'une extrême violence et «complètement disproportionné». Ainsi, Hubert Caouissin s'était levé de son lit, avait attaché ses lacets ensemble, et les avait passés autour du cou. Après sa tentative de suicide, il avait été hospitalisé en psychiatrie.

Le docteur Coutanceau résume: «Aucun élément biographique n'explique le délire paranoïaque. On peut psychanalyser sur le vécu, mais il ne faut pas essayer d'expliquer toutes les maladies mentales.» Il n'y avait aucune prédisposition génétique, aucune hérédité, aucune raison à la paranoïa. Elle pénétrait dans le cerveau pour rien, et s'insinuait dans les interstices, jusqu'à envahir la moindre pensée.

«Le jour où il n'y croira plus, qu'est-ce qui va se passer?»

Au début du procès, Lydie Troadec admettait, à propos du magot: «Aujourd'hui, je pense que ça n'a pas existé.» Elle en était venue à cette conclusion en consultant la presse et en faisant ses propres recherches. En liberté conditionnelle, il lui avait fallu retourner à la ferme de Pont-de-Buis pour sécuriser l'entrée, et prendre quelques vêtements. Elle ne savait pas quoi faire de cette bâtisse maudite. Il faudrait s'en débarrasser et la vendre, reconnaît-t-elle. Mais certaines choses ne voulaient jamais la quitter. «J'ai une forte culpabilité aussi, avait-elle explosé en sanglots. Et je ne sais pas comment faire…»

«Monsieur Caouissin, si on n'a trouvé aucune preuve de l'existence du magot, soulignait la présidente de la cour en rappelant le travail des enquêteurs, n'est-ce pas tout simplement parce qu'il n'existe pas?»

– Ou bien, c'est qu'on n'a pas assez cherché, répliquait Hubert Caouissin.

«Nous ne savons pas traiter un délire paranoïaque, prévenait le docteur psychiatre Bensussan. Rien ne marche.» Les traitements médicamenteux, tout au plus, vont apaiser la personne. En prison, Hubert Caouissin prend des calmants. «J'ai coupé la ventilation, détaille-t-il, sinon j'aurais tenu trois jours. Les gens qui crient aux fenêtres, ça ne me gêne pas. C'est plus les portes lourdes qui claquent.» Les médicaments aident, aussi, à supporter le bruit. En vue du procès, et contre l'avis de sa psychiatre, il a stoppé son traitement. Il voulait avoir l'esprit clair pour s'expliquer.

«Il se raccroche à son délire comme à une branche. C'est toute son existence, pointe le docteur Zagury. Le jour où il n'y croira plus, qu'est-ce qui va se passer? Là, effectivement, il y a un risque de suicide.»

«Comment envisagez-vous votre avenir?», demandait la présidente à Hubert Caouissin au premier jour de son procès. «J'envisage de couper les ponts avec tout le monde. Pour qu'ils arrêtent de souffrir. Qu'ils arrêtent de porter ça.» Un instant, il avait regardé la cour d'assises, les mains dans le dos: «Sinon, [le petit] va m'attendre toute sa vie.»

Le 7 juillet 2021, Hubert Caouissin a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour les meurtres et l'«atteinte à l'intégrité des cadavres» de Pascal, Brigitte, Sébastien et Charlotte Troadec. S'il a échappé à la réclusion criminelle à perpétuité –peine requise par le ministère public–, c'est parce que les jurés ont reconnu une altération du discernement. Lydie Troadec, elle, a été reconnue coupable de «recel de cadavre» et «modification de la scène de crime» et condamnée à trois ans d'emprisonnement, dont un avec sursis.

Un jour, au collège, le professeur d'histoire-géographie racontait à la classe la Seconde Guerre mondiale et l'or de la Banque de France soustrait aux nazis, partant sur des bateaux militaires depuis le port de Brest. Le professeur avait alors lancé aux élèves: «Vous avez dû entendre parler de l'affaire Troadec…» Le fils de Hubert Caouissin et Lydie Troadec n'avait rien dit. Personne ne savait qui il était. Aujourd'hui, il vit sous une nouvelle identité.

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