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Chaque samedi, Louison se met dans la peau d'une personnalité qui a fait l'actu et imagine son journal de bord.
Lundi 8 novembre
Allô Houston, je crois qu'on a un problème. Nan, nan, ça va, j'arrive à refermer ma valise de retour, même si c'est pas très facile de s'asseoir dessus pour faire glisser la fermeture éclair, vu qu'on est en apesanteur. Enfin, c'est pas plus compliqué que de se faire un bain de bouche ou un tournoi de bilboquets avec les collègues pour savoir qui sort nettoyer les vitres. Non, je voulais vous prévenir que je viens de voir un truc traverser l'atmosphère et exploser en mille petits morceaux incandescents. Ça venait de la Terre, j'ai l'impression, mais ça allait si vite que j'ai pas pu dire ce que c'était.
Hein? Un ancien ministre de gauche a proposé de «taper aux portefeuilles» les transferts d'envois d'argent privé des gens qui aident leurs familles de l'autre côté de la Méditerranée. Ah bah oui, ça devait être ça. D'ailleurs, maintenant que vous me le dites, je vois des morceaux de marinière flotter par le hublot. Allez, maintenant que je suis rassuré, je vérifie que j'ai rien oublié sous le lit et je file.
Mardi 9 novembre
En traversant les différentes couches de la stratosphère à plus de 400 kilomètres/heure, je me suis d'abord souvenu de ne pas laisser mon estomac s'échapper par mes trous de nez, puis qu'aujourd'hui, c'était le 51e anniversaire de la mort du général de Gaulle.
Vous allez me dire que c'est bizarre de penser à ça quand on est dans une sorte de petit module en forme de rice cooker, lancé à vive allure de l'espace jusqu'à l'océan qui borde la Floride, mais c'est sur le trajet, en regardant par le hublot, que j'ai vu la cohue des différents candidats à la présidentielle qui se pressaient à Colombey-les-Deux-Églises, et comme c'était un peu tôt pour le salon de l'Agriculture, je me suis dit qu'il devait y avoir une autre raison d'aller se montrer là où on ne traîne pas trop d'habitude.
Moi qui ai pu observer le globe pendant des mois et qui ai toujours l'impression que, finalement, on était peu de chose, que tout était finalement assez minuscule chez l'humain, faut reconnaître qu'en revanche, vu du ciel, c'est un peu gros les manœuvres politiques en période électorale.
Mercredi 10 novembre
Quand on pense que j'ai passé six mois dans l'espace, mais que j'ai réussi à rentrer pile poil sur Terre pour entendre l'allocution du président de la République, c'est quand même dur de trouver un réflexe plus français, sauf peut-être pour ce qui est de porter le masque sous son nez. D'ailleurs, je trouve que tout le monde a l'air enrhumé ici, avec la goutte au nez et tout. C'est un peu dégueu. Non, là-haut, on n'a jamais la goutte au nez, la goutte, elle flotte pendant des heures à côté de nous, pour finir par aller rebondir sur les cheveux d'un voisin. Ceux qui sont chauves avaient tendance à faire la gueule, faut le reconnaître.
Bref, en parlant de trucs dégueulasses, et même si j'ai une sorte de jet-lag vertical assez chelou, il m'a quand même semblé entendre le président de la République évoquer de nouvelles mesures de contrôles sur les chômeurs et un durcissement des conditions d'obtention de leurs droits aux indemnités. C'est marrant, parce que, vu du ciel –mais c'est peut-être un effet d'optique–, j'avais plutôt l'impression que le pognon était à récupérer ailleurs. Mais faut croire que l'idée, c'est de laisser brûler les petits «papers».
Jeudi 11 novembre
À peine rentré et j'ai déjà le droit à un jour férié. Là-haut, j'avais oublié que c'était quand même assez cool d'être français. Leur tronche dans l'ISS quand j'ai demandé au début du séjour si on avait les ponts en mai. Du coup, là, ça tombe plutôt bien ce 11 novembre, car j'avoue que je suis encore un peu crevé du voyage, comme après une douzième dose d'un quinzième pass sanitaire.
Ou comme un libraire chaque jour de la semaine, car j'ai lu dans le journal qu'en France on n'avait pas que des jours fériés à foison, on était aussi de grands consommateurs d'arbres, sous forme de livres pour être exact, avec près de 40.000 parutions chaque année. Dans le genre pile à lire, on est sur une distance Terre-Lune en peu de temps.
Moi, là-haut, je ne suis parti qu'avec deux ouvrages: une compilation de sudoku niveau 5, que j'ai envoyée dans le cosmos à la troisième page, et un recueil de poèmes de Leonard Cohen qui m'a foutu la larme à l'œil encore plus fort que le président Macron tout à l'heure devant le cercueil d'Hubert Germain. Sauf que moi mes larmes elles flottent toujours au-dessus de vos têtes à l'heure où je vous parle.
Vendredi 12 novembre
En lisant les journaux ce matin sur mon téléphone, j'ai cru que dans ma descente vers la terre ferme, je m'étais cogné la tête un peu trop fort et que j'avais laissé s'échapper un gros morceau de la Ve République, quand j'ai vu en une des journaux que François Hollande assistait à un procès. Mais, en fait, j'ai lu l'article et c'est juste pour témoigner, pour raconter, pour être là. Il n'est accusé de rien. J'avoue que ça fait tout drôle un ancien président qui n'a pas une menace de sursis au-dessus de la caboche. On n'a plus trop l'habitude, ces derniers temps, faut reconnaître.
Du coup, ensuite, comme on est le 12, je me suis dit que j'allais lire les articles associés sur le procès du 13-Novembre, parce que, allez savoir pourquoi, mais là-haut ils nous avaient bloqué l'accès à ces contenus. Sans doute un bug. Et puis j'ai lu. C'était pas un bug. C'était pour garantir le caractère waterproof de la Station. J'ai tout lu, j'ai pensé à eux, et j'ai senti les larmes couler sur mes joues. Du haut vers le bas. Pas de doute, me revoici sur Terre.