Santé / Société

Confinement, jour 8

En ce huitième jour, on s'emmerde tellement qu'on a mis un 45 tours de Plastic Bertrand et fait de la botanique.

<em>«Oh, Papou, un</em> acorn<em>! Un </em>Sus scrofa<em> l'aura sans doute laissé là.»</em> | LSD for Society <a href="https://unsplash.com/photos/9qFOkUAlVyk">via Unsplash</a>
«Oh, Papou, un acorn! Un Sus scrofa l'aura sans doute laissé là.» | LSD for Society via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes

– «Les enfants, de source sûre, j'ai obtenu des informations confidentielles de très niveau. Ce confinement durera plus longtemps que prévu.

Oh, but combien de temps, Papou?

Probablement plusieurs mois, sinon quelques années. Nous devons nous préparer à survivre.

Oh Papou, c'est horrible. S'il te please, dis-nous ce que nous devons faire.»

Le survivalisme expliqué à mes enfants

À ce stade du récit, je dois signaler à mon aimable lectorat que j'impose à mes enfants un bilinguisme exigeant depuis le début du confinement, afin de les préparer à la mondialisation ultra-libérale.

– «Dans un premier temps, je vous invite à relire Hunger Games, Le Club des Cinq en randonnée, la biographie de Marie-Angélique le Blanc, L'Émile ainsi que la méthode Montessori de la naissance à 3 ans.

– But Papou, we are presque majeurs!

– It's a détail. Vous avez deux heures. Nourrissez votre esprit; ensuite, nous passerons aux travaux pratiques.»

Une fois leur savoir acquis, nous rédigeons nos attestations bilingues et nous dirigeons vers la féconde forêt où ils doivent apprendre à se débrouiller en toutes circonstances.

«Nous voici dans une féconde forêt, les enfants. Dès à présent, tous vos sens doivent être en éveil. Pour commencer, que pourrions-nous y trouver pour nous sustenter?

Des champignons!

Bonne réponse, mais... ce n'est pas la période des champignons.

Ben si, Dad, on en a vus au marché de Passy!»

Ce souvenir pré-exode de mon cadet provoque la franche hilarité de notre petite troupe. Nous nous esclaffons dans nos masques.

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Des baies s'offrent à notre gourmandise

À l'orée du bois s'offrent déjà à nous de délicieuses baies. Mes enfants, dans leur naïf enthousiasme, se précipitent. Une fois repus, je leur explique qu'il s'agit des fruits de l'Hedera helix, autrement dit du lierre, et qu'ils sont empoisonnés.

«Vous en serez quittes pour quelques jours de diarrhée, vomissements, crampes et autres troubles. Que cette leçon vous serve de leçon!»

Nous rions tous de bon cœur.

Il est aussi temps de s'intéresser aux racines comestibles. Fort heureusement, nous avons emporté notre kit de jardinage de balcon Nature and Découvertes –à la guerre comme à la guerre!

Nous grattons énergiquement le sol, humant l'humus, nous lançant joyeusement des feuilles mortes. Bientôt, mes enfants se régalent des tubercules de conopodes, autrement dit des noisettes de terre.

«Oh sorry, Papou! On a tout fini car c'était bigrement savoureux. Il ne te reste rien. Pardonne-nous!»

En botanique, la confusion est fréquente et bien excusable

«Les enfants, je vous pardonne d'autant plus volontiers que vous avez confondu le Conopodium majus avec le Conium maculatum, autrement dit la grande ciguë, qui est une plante mortelle. Elle contient “au moins cinq alcaloïdes violemment toxiques, avec principalement la conine [...]. Les quatre autres alcaloïdes sont le méthyl-éthyl-coniine, la pseudoconhydrine, la conhydrine et la pipéridine”.

Sapristi! We are vraiment étourdis!

En effet. Néanmoins, la confusion est bien excusable. Bah! Vous en serez quittes pour quelques “troubles digestifs, des vertiges et céphalées, puis des paresthésies, une diminution de la force musculaire, et enfin une paralysie ascendante”. Il est possible que vous n'y surviviez point. Retenez bien cette leçon!

Tu nous vois navrés de te causer tant de tracas, répondirent ces êtres innocents, l'air contrit. Forgive us, Papou.»

Rencontre amicale avec un producteur de viande

Face à leurs mines penaudes, je les rassurais aussitôt. L'expérience est un phare qui... Soudain, un Sus scrofa attira notre regard. Il semblait comestible, mais la prudence s'imposait.

«Dear children, pourriez-vous repaître de ce Sus scrofa sans danger?

– Probably, car il ne ressemble pas du tout à une baie de lierre ni à une big ciguë, s'exclamèrent-ils en chœur.

Réfléchissez encore. Qu'est-ce qu'un Sus scrofa

Munie de son Gaffiot et du supplément «Confinement 2020» du Chasseur français, ma fille aînée ose:

– «Ne serait-ce point un sanglier? Autrement dit, an animal non végétal?

En effet, chère enfant. Tu as vu juste. Ce sanglier est un mammifère autoproducteur de viande.»

Mes enfants sont végétaliens. Pouah de la viande cadavre, quelle horreur, pouah nous ne mangeons pas ce pain-là. Mais entre baies et tubercules toxiques et sangliers égaux, la faim les guette. Ils réalisent brusquement que leur vie future sera semée d'embûches. Voyant leur visage navré, je les rassure.

«Nous allons nous rapprocher de ce Sus scrofa et lui demander de partager avec nous sa réserve de glands. Ces animaux en sont friands. Son amitié nous sera précieuse, car “les glands apportent notamment des glucides (50% à 60%), des protéines (7% à 8%), des lipides (30%); ils sont aussi riches en calcium (43 mg/100 g), phosphore (314 mg/100 g), potassium (712 mg/100 g), vitamine B2 (0,4 mg/100 g), PP (0,5 mg/100 g) et possèdent un index glycémique bas. Ce fruit est également très nourrissant, puisqu'à poids égal, il est deux fois plus calorique que la châtaigne, 500 calories pour 100 g”.

Oh, Papou. Serait-il possible que cet animal non végétal ait également des réserves de tofu à partager with us

Au moment où nous commencions à envisager une délicieuse tourte aux glands, le Sus scrofa chargea. Dès lors, il nous sembla inutile de lui proposer de partager fraternellement notre lait d'épeautre. Nous rebroussâmes promptement chemin. Ces frères animaux étaient décidément imprévisibles.

Nous nous réfugiâmes dans les branches d'un Quercus robur. Hélas! La floraison commençait à peine. Nous devrions attendre les glands quelques mois sans doute avant de pouvoir les récolter. Peu importe: ce confinement était parti pour durer.

«Hey ami Sus scrofa! On a aussi des yaourts soja-myrtille, tu sais?»

Sur la branche voisine, mes enfants ont froid et commencent à vomir. Nous nous regardons bravement. Il y aura un avant et un après ce confinement.

Épisode 8Confinement, jour 8
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