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En Grèce, Curing the Limbo accompagne les réfugiés dans leur insertion sociale

Mohammed faisait partie des 10.856 Syriens à demander l'asile en Grèce en 2019. Une fois reçu le droit de rester sur le territoire, un nouveau chemin de croix a commencé: trouver un endroit où vivre et un travail, dans un pays qu'il ne connaissait pas.

Une femme porte son bébé au camp de réfugiés d'Eleonas à Athènes, le 9 février 2022. | Louisa Gouliamaki / AFP
Une femme porte son bébé au camp de réfugiés d'Eleonas à Athènes, le 9 février 2022. | Louisa Gouliamaki / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Union is Strength est un concours de journalisme européen organisé par Slate.fr en partenariat avec la Commission européenne. Quarante journalistes, français et européens, ont été sélectionnés pour rédiger en équipe des articles sur des projets financés par l'Union européenne en Europe. Un regard croisé sur ce que peut faire l'UE dans ses régions.

À Athènes (Grèce).

«En 2015, nous avons vu des milliers de réfugiés arriver à Athènes sans savoir où aller. Rien n'était mis en place: aucune politique ni infrastructure. En 2016, les frontières ont été fermées et tous ceux qui sont venus se sont retrouvés bloqués ici», rappelle Antigoni Kotanidi, responsable du projet Curing the Limbo.

Il explique comment l'idée est née: «À l'époque, il n'existait aucun programme visant à intégrer les réfugiés. Nous savions qu'ils étaient dans des sortes de limbes, qu'ils n'avaient rien à faire de leurs journées à part attendre. Nous avons donc voulu créer un modèle d'intégration globale qui couvrait tous les besoins: logement, orientation professionnelle, éducation en grec et en anglais, ateliers sur les arts audiovisuels… Nous voulions un projet ayant un lien fort avec la ville et les citoyens.»

À l'époque, la question de l'accueil des réfugiés est urgente. Saïd fait partie de ces demandeurs bloqués en Grèce. Il est à l'origine parti d'Iran avec le rêve de rejoindre Vienne. Mais le jour où il effectue la traversée de la Turquie à la Grèce, il apprend que les frontières sont fermées.

«J'ai pris la décision de rester en Grèce, j'ai commencé à apprendre la langue, je me suis inscrit au lycée, que j'ai terminé», affirme Saïd, participant au programme Curing the Limbo. | Guillaume Amouret et Eleftheria Tsaliki

«Quand je suis arrivé à Athènes, j'ai dû rester dans le camp d'Ellinikó pendant un mois. Là-bas, j'ai rencontré une Syrienne de 60 ans, raconte-t-il dans un grec fluide. Elle m'a dit: “Mon enfant, j'avais une bonne vie en Syrie, je cuisinais le matin pour mes enfants, je faisais le ménage, je m'occupais de mes petits-enfants. Cela fait deux ans maintenant que je vis ici et je n'ai personne à qui parler. Je n'ai rien à faire. Je m'ennuie.” Moi aussi, à un moment donné, j'ai eu l'impression de me trouver dans la même situation. Je ne voulais pas recevoir d'allocations –cela me gênait, je voulais être indépendant. J'ai pris la décision de rester en Grèce, j'ai commencé à apprendre la langue, je me suis inscrit au lycée, que j'ai terminé.»

Trouver un logement, une
nouvelle épreuve

Pendant environ deux ans, Saïd a vécu dans des camps de réfugiés et des foyers d'ONG, jusqu'à ce que des amis grecs l'aident à trouver une maison à louer. La prochaine étape étant de trouver un emploi, il s'est rendu à la municipalité d'Athènes pour demander de l'aide. On lui a alors parlé d'un nouveau programme, Curing the Limbo.

«Le logement était une priorité du projet, explique Stefania Gyftopoulou, responsable du programme de logement. Avoir une maison est essentiel, cela joue aussi sur la psychologie. Si tu n'as pas de maison et que tu dors dans la rue, tu ne peux pas chercher un emploi et apprendre le grec en même temps.» Mais trouver un logement à Athènes n'est pas facile. «Le plus gros problème auquel nous avons été confrontés, c'était le prix des appartements et la forte demande», déplore-t-elle.

Ainsi, lorsque Mohammed est arrivé dans le programme, il n'y avait malheureusement rien pour lui. Cela faisait plus de six mois que ce Syrien était arrivé en Grèce et sa situation était toujours instable. Mais «tout a changé en un instant. Alors que je n'avais rien, j'ai trouvé une maison, un travail et de l'argent grâce au programme. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j'étais heureux. C'est la troisième année que je loue cette maison et je ne veux pas partir», dit-il tout sourire, installé dans le salon où il nous accueille.

Mohammed a réussi à décrocher un emploi et un logement grâce à Curing the Limbo. | Guillaume Amouret et Eleftheria Tsaliki

En plus d'un logement, Mohammed a réussi, grâce au projet, à trouver par deux fois un emploi –aujourd'hui encore, il occupe toujours le dernier poste qu'il a décroché. Pareil pour Saïd, qui a trouvé un travail grâce à Curing the Limbo: il est interprète pour une ONG depuis deux ans.

«Mais l'intégration ne fonctionne que sur le long terme. Vous ne pouvez pas mener un projet pendant un à trois ans et annoncer à la fin que les réfugiés sont tirés d'affaire. Le succès de l'intégration est difficile à mesurer», confie Thalia Dragona, responsable scientifique des activités de l'Université d'Athènes au sein du programme.

Un projet resté à l'état de pilote, malgré des résultats encourageants

Toutes les personnes interrogées déclarent que Curing the Limbo était un projet novateur et réussi, qui a grandement aidé les participants et créé une méthodologie applicable à de futurs projets similaires. Le programme a constamment été à l'écoute des besoins des participants et s'est adapté en conséquence, ses principaux objectifs étant de créer un double sentiment d'appartenance à la ville et d'autonomie chez les réfugiés.

Les données sont plutôt encourageantes: 298 personnes ont ainsi trouvé un abri et 374 ont pu suivre des cours de grec. «Nous n'avons pu aider qu'un très petit nombre de réfugiés car il ne s'agissait pas d'un projet d'envergure, mais d'un programme pilote visant à expérimenter un modèle d'approche globale et une méthodologie d'intégration. Mais j'aurais aimé le voir se développer, que quelqu'un en politique s'y intéresse et qu'il se poursuive», conclut Dragona.

En effet, le programme est toujours resté à un niveau pilote et s'est arrêté en 2021, bien qu'il ait aidé des centaines de réfugiés. La plupart des personnes impliquées auxquelles nous avons parlé ont le sentiment que l'expertise et les connaissances développées n'ont pas été exploitées.

Nous avons demandé à la municipalité d'Athènes pourquoi elle n'avait pas prolongé le programme et si elle comptait créer un projet similaire dans un avenir proche, étant donné que le camp d'Eleonas est sur le point de cesser de fonctionner et que les arrivées de réfugiés n'ont pas cessé –au contraire, avec l'invasion de l'Ukraine, elles ont même augmenté. Nous n'avons reçu aucune réponse jusqu'à présent.

«Il faut noter que ces programmes européens sont perçus par les Grecs –et je suis sûre que c'est le cas dans d'autres pays– comme un cadeau tombé du ciel et que vous pouvez en faire ce que vous voulez. Ils pensent que vous pouvez demander de l'argent, le recevoir, mener le projet à bien et c'est tout. Il n'y a pas de continuité», regrette Dragona.

«L'idée derrière ces programmes –et je suis sûre que l'Union européenne les conçoit de cette façon– est que vous recevez cet argent pour essayer des projets pilotes et qu'ensuite, l'administration vient et vous dit: “Maintenant que nous avons ce modèle et que nous avons vu qu'il fonctionne, nous voulons poursuivre, le développer et le faire avancer.” Mais malheureusement, ce n'est pas le cas en Grèce», souligne-t-elle.

«J'ai l'impression de me redécouvrir en Grèce»

«Je connais des gens qui, même aujourd'hui, sont dans le flou et ne font rien, dit Saïd. Je pense qu'il devrait y avoir des programmes qui vous apprennent la langue et vous donnent la possibilité de travailler, d'avoir une vie normale. Ils ne devraient pas vous donner le poisson, ils devraient vous apprendre à pêcher. Les gens qui viennent ici ne veulent pas d'aides, ils veulent se sentir chez eux et savoir qu'ils peuvent se débrouiller seuls. J'aimerais qu'il y ait plus de programmes comme Curing the Limbo pour aider.»

Mohammed n'a pour sa part pas l'intention de partir: «Je me plais ici. J'ai une bonne maison, de bonnes relations avec la propriétaire et les voisins. J'ai un emploi stable. Je n'ai besoin de rien d'autre. J'ai le sentiment d'être intégré dans la société, même si je ne parle pas très bien grec. J'essaie de rencontrer des gens et j'ai gardé contact avec de nombreux participants de Curing the Limbo. De plus, lorsque j'ai suivi les cours de photographie du programme, j'ai compris que j'aimais l'art. J'ai l'impression de me redécouvrir en Grèce. Aujourd'hui, j'étudie même dans une école de danse et je participe à une chorale!»

Cet article a été réalisé dans le cadre du concours Union is Strength qui a reçu le soutien financier de l'Union européenne. L'article reflète le point de vue de son auteur et la Commission européenne ne peut être tenue responsable de son contenu ou usage.

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