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Comment l'accord de libre-échange entre l'Europe et le Mercosur peut sauver l'environnement

Partout, des voix s'élèvent pour le dénoncer. Mais en Amérique latine, au Brésil en particulier, ce nouveau consensus pourrait se révéler paradoxalement un moindre mal.

Vue aérienne de la route Transamazonienne (BR-230) près de Medicilândia dans l'État du Pará (Brésil), l'un des plus touchés par le déboisement, le 13 mars 2019. | Mauro Pimentel / AFP
Vue aérienne de la route Transamazonienne (BR-230) près de Medicilândia dans l'État du Pará (Brésil), l'un des plus touchés par le déboisement, le 13 mars 2019. | Mauro Pimentel / AFP

Temps de lecture: 14 minutes

Cet article est le second volet de notre série Tropical Trump, photographie du Brésil 200 jours après l'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro autour de trois thèmes: la liberté de la presse, l'environnement et les droits LGBT+.

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Petrópolis et Rio de Janeiro (Brésil)

Alfredo Sirkis est l'une des figures incontournables de la défense de l'environnement au Brésil. Il fut l'un des fondateurs des Verts et l'un des députés du parti écologique. On l'a croisé dans toutes les conférences sur le climat, dont la fameuse COP21 de Paris. Fin 2019, il se rendra encore à Santiago du Chili pour la COP25.

Aujourd'hui, cet influent penseur verde dirige le think tank Centro Brasil no Clima (CBC), l'une des principales ONG chargées de lutter contre le changement climatique dans le pays.

Lorsque, mi-juillet, je le rencontre dans le centre historique de Rio de Janeiro, il ne cache pas son pessimisme à l'égard du nouveau président du Brésil: «Je connais bien Jair Bolsonaro, avec lequel j'ai siégé au conseil municipal de Rio. Il est animé par une véritable haine contre l'environnement. C'est un enragé anti-écologie. En général, la droite brésilienne y est hostile pour des raisons liées aux lobbies agro-industriels: ces positions sont essentiellement économiques. Bolsonaro, pas du tout. Il est viscéralement hostile à l'environnement. C'est singulier chez lui, idiosyncratique en quelque sorte. Pour lui, les défenseurs de la planète sont tous des communistes.»

Depuis son élection, il est vrai que le président multiplie les annonces et les actes sur ce sujet, sans faire preuve du moindre souci pour la forêt amazonienne ou la lutte contre le changement climatique.

La nomination de Ricardo Salles comme ministre de l'Environnement alors qu'il est soupçonné d'avoir violé la loi sur l'environnement et falsifié ses diplômes, et celle de Tereza Cristina Dias, ancienne responsable du lobby agro-industriel brésilien, au poste de ministre de l'Agriculture ont été des signes particulièrement explicites. Le démantèlement de l'agence nationale indépendante qui gérait les questions indiennes et leurs territoires (Funai) fut un autre message inquiétant. La gestion des réserves indiennes a été confiée dès l'entrée en fonction de Bolsonaro au ministère de l'Agriculture, qui est structurellement hostile aux populations indigènes, et que dirige Tereza Cristina Dias, ancienne présidente de la commission agricole du Parlement.

Quant à la question des droits des minorités autochtones, elle a été rattachée au ministère des Droits de l'homme, de la femme et de la famille, portefeuille attribué à la pasteure évangélique ultra-conservatrice Damares Alves. De fait, les territoires indigènes, sanctuarisés et protégés par la Constitution, pourront désormais être exploités par les propriétaires terriens (fazendeiros).

De droite à gauche: le ministe de l'Environnement Ricardo Salles, le président Jair Bolsonaro et le minitre des Affaires étrangères Ernesto Araujo pendant une conférence de presse à propos de la déforestation en Amazonie au Planalto Palace à Brasilia le 1er août 2019. | Marcos Correa / Présidence brésilienne / AFP

Une tribune internationale a été signée par huit ancien·nes ministres de l'Environnement du Brésil pour dénoncer les premiers actes de Bolsonaro dont «la disparition de l'Agence nationale des eaux, le transfert du service des eaux et forêts sous la coupe du ministère de l'Agriculture, l'extinction du secrétariat aux Changements climatiques et, désormais, la menace de “redéfinition” des zones protégées, d'amoindrissement du Conseil national de l'environnement et d'extinction de l'Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMBio)».

20% de l'oxygène produit sur Terre

Il y a plus grave. La déforestation en Amazonie, qui avait été très fortement ralentie dans les années 2010, est repartie aujourd'hui de plus belle. Alors qu'en 2007 le président Lula pouvait annoncer fièrement au sommet de la COP de Bali que la déforestation était «stoppée», c'est un mouvement inverse qui a lieu aujourd'hui. Or, ce plus grand réservoir de biodiversité au monde est implanté à 60% sur le territoire du pays. Cet écosystème joue un rôle majeur en fixant le carbone pour freiner le changement climatique. Selon des études, il apparaît que 20% de l'oxygène produit sur Terre provient de la forêt amazonienne.

On estime l'anéantissement de la forêt tropicale à 27.423 kilomètres carrés annuels au début des années 2000, alors que ce chiffre a baissé à environ 4.848 kilomètres carrés par an en 2014. «Grâce à ce ralentissement spectaculaire, le Brésil a réduit considérablement ses émissions de gaz à effet de serre», confirme Alfredo Sirkis.

La loi brésilienne tablait même sur un niveau de déforestation inférieur à 3.900 kilomètres carrés à l'horizon 2020. C'était avant l'élection de Bolsonaro.

Aujourd'hui, les spécialistes constatent que le déboisement est reparti à la hausse pour s'établir autour de 596,6 kilomètres carrés en juillet 2018. «On devrait être au-dessus de la barre des 8.000 kilomètres carrés en 2019 et en 2020», pronostique amèrement Sirkis.

Vue aérienne du camp tribal Arado dans les terres indigènes d'Arara situées derrière la route Transamazonienne (BR-230) dans l'État du Pará au Brésil le 13 mars 2019. Selon Imazon, la déforestation avait déjà augmenté de 54% en Amazonie au cours du premier mois de la présidence Bolsonaro, en janvier 2019, comparé à janvier 2018. Le Pará concentre 37% des aires dévastées. | Mauro Pimentel / AFP

Selon l'agence dédiée à la surveillance de la forêt amazonienne brésilienne (INPE), la déforestation aurait augmenté de 80% en juin 2019 (par rapport à juin 2018). D'autres estimations donnent des chiffres tout aussi préoccupants.

Les personnes qui défendent l'environnement mettent en cause les discours de Bolsonaro pour leur propension à stimuler tout individu qui a intérêt à déforester et pour leur tendance à encourager le démantèlement des organismes de contrôle. D'une certaine façon, le discours du président aurait été perçu comme un feu vert pour brûler à nouveau, et massivement, la forêt amazonienne.

 

 

Une tribune récente de Libération signée Michel Cahen, spécialiste de la colonisation portugaise, a proposé une clé de lecture intéressante du régime Bolsonaro. Il s'agirait moins, selon lui, du retour de la dictature que d'un «populisme d'extrême droite» et, plus fondamentalement, du «retour du Brésil colonial»: «Ce n'est pas un hasard si la conquête coloniale va reprendre. Jair Bolsonaro et les siens ne méprisent pas seulement les indigènes comme un grand propriétaire peut mépriser les paysans pauvres, il les méprise comme un colon méprise une race inférieure et conquise.» En déclarant il y a quelques semaines qu'il était favorable au travail des enfants et en ayant mis la vente libre des armes dans son programme, afin que tout le monde ait les moyens de se défendre, le président semble avoir donné du crédit à cette thèse.

«Toute coopération en faveur du climat au niveau du gouvernement fédéral est au point mort désormais.»
Alfredo Sirkis, écrivain, journaliste, responsable de la protection de l'environnement urbain et ancien parlementaire brésilien

Les signes sont clairs. Ils vont tous dans le même sens: la déforestation est au programme du nouveau président. Bolsolaro a pris la défense des industriels qui en sont à l'origine et s'est opposé à ce que les véhicules incriminés puissent être immobilisés ou détruits. Suivant la même logique, son gouvernement défend l'agriculture transgénique. Bolsonaro a également homologué 239 pesticides depuis son entrée en fonction en janvier, suscitant l'indignation des écologistes.

Sur ce dernier point, Alfredo Sirkis se montre néanmoins prudent. S'il est clairement hostile à l'utilisation massive de ces produits, il comprend les problèmes des propriétaires de fazendas et prône un dialogue avec l'agrobusiness. Il me fait remarquer que les responsables politiques européen·nes critiquent durement Bolsonaro sur la question des pesticides alors qu'ils sont nombreux à être encore autorisés au sein de l'Union européenne (UE). Les discussions à leur égard y sont complexes. Elles piétinent. «Il y a beaucoup plus de pesticides en Europe qu'au Brésil, il ne faut pas être hypocrite», insiste-t-il.

Que faire? Au Brésil, Sirkis prône un travail plus décentralisé: «Toute coopération en faveur du climat au niveau du gouvernement fédéral est au point mort désormais. On ne peut rien espérer de ce côté-là à court ou moyen terme. En revanche, on peut travailler au niveau décentralisé avec les gouverneurs des États brésiliens. Au moins six d'entre eux, sur les vingt-six États que comptent le pays, sont dirigés par des gouverneurs plus favorables à l'environnement», confirme-t-il. C'est le cas de l'État de São Paulo, du Pará, du Pernambouc, de l'Espírito Santo, du Minas Gerais et de Brasilia.

D'autres États comme le Mato Grosso, Sergipe, Rondônia, Roraima, Paraná, Piauí et Santa Catarina sont également actifs, même s'ils ne sont pas nécessairement représentés par la personne responsable de leur exécutif. Ils sont douze États en tout qui ont promis de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, en opposition plus ou moins explicite aux annonces de Bolsonaro.

Ces personnes de bonne volonté sont désormais regroupées dans une sorte de Conseil de gouvernance climatique –le Conselho dos Governadores do Clima– qui se propose de suivre l'accord de Paris sur le climat.

Accord entre le Mercosur et l'UE

Dans ce contexte d'ensemble, la négociation en cours d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) fait débat. De nombreuses personnalités de gauche, d'autres qui s'opposent aux traités de libre-échange et des intellectuel·les ont dénoncé un tel accord pour des raisons écologiques, parfois en avançant des faits erronés ou des positions purement idéologiques, loin des termes même de l'accord. Il y aurait urgence à le rejeter.

La négociation ne fait pourtant que commencer: le Conseil européen a validé la première phase des négociations qui dure depuis vingt ans; pour que cet accord puisse entrer en vigueur, il faut encore que le Parlement européen le valide, ainsi que les parlements de tous les pays concernés, les vingt-sept de l'UE et les quatre pays d'Amérique latine. On est encore loin du consensus.

Au Brésil, les personnes et organisations qui luttent pour la défense de l'environnement sont divisées. La majorité d'entre elles jouent, si l'on peut dire, une forme de politique de la terre brûlée. Elles militent pour le rejet intégral de cet accord par l'Europe dans le but de sanctionner Bolsonaro.

«Il n'y a pas de sanctions pour le Brésil concernant l'environnement en cas de non-respect de l'accord.»
Alfredo Sirkis, écrivain, journaliste, responsable de la protection de l'environnement urbain et ancien parlementaire brésilien

Schneider Carpeggiani, un intellectuel et journaliste de Recife, m'indique par exemple: «Je ne pense pas que l'Europe doive signer un tel accord avec le Mercosur. En particulier le Brésil. Bolsonaro s'en fout complètement de la forêt amazonienne et des droits des populations aborigènes. Les hommes politiques tels que lui doivent subir les conséquences économiques de leurs actes. L'argent est le seul langage qu'ils comprennent. Il faut les frapper à la bourse.»

Alfredo Sirkis regrette pour sa part que les clauses environnementales de l'accord UE-Mercosur soient fragiles et qu'elles ne soient assorties d'aucunes contraintes sérieuses. «Il n'y a pas de sanctions ou de conséquences négatives pour le Brésil concernant l'environnement en cas de non-respect de l'accord», insiste-t-il.

Cet accord peut aussi être analysé comme une tentative stratégique de garder Jair Bolsonaro sous contrôle. Il aurait pour fonction de limiter les champs d'action du président brésilien concernant la déforestation. Ce dernier a déjà fait une concession de taille: s'engager à ne pas sortir de l'accord de Paris sur le climat (alors qu'il avait fait la promesse inverse durant sa campagne).

Le Brésil reste théoriquement obligé de reboiser 12 millions d'hectares de forêt amazonienne. Comme les négociations seront encore longue, de part et d'autre, on peut penser que Bolsonaro sera tenu à une certaine prudence. En outre, arrimer le Brésil aux autres pays du Mercosur et à l'UE pourrait permettre d'éviter le pire.

Si les géants brésiliens de l'agrobusiness veulent vendre leurs produits en Europe, ils seront tenus de respecter, en dépit de l'accord avec l'UE, les normes alimentaires européennes. Ce qui constitue un autre moyen de les contraindre à une certaine retenue. Insuffisant? Sans doute. Mais ne serait-ce pas pire sans cet accord? Quelles sont les autres solutions? La stratégie de l'isolement du Brésil, pays-continent habité par 210 millions de personnes qui fait plus de dix fois la taille de la France, est-elle une stratégie alternative envisageable? Le nouveau chef de l'Etat brésilien a été confortablement élu au second tour de la présidentielle mais il n'a pas de majorité au Parlement. Pour l'instant, les élu·es des deux chambres le laissent faire. Il bénéficie d'une large marge d'action mais cela peut changer rapidement.

Spéculation foncière

La question de la déforestation au Brésil est particulièrement complexe car elle est pour une large part économique (convertir les zones boisées en champs agricoles, permettre au bétail de se nourrir ou vendre le bois de qualité); elle existait bien avant l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro.

L'agrobusiness, critiqué à juste titre par les environnementalistes, n'est pas le seul en cause. Il existe une déforestation légale, souvent organisée par les grands industriels, l'activité minière ou les exploitants agricoles classiques –elle existait déjà sous Lula–, et une déforestation illégale. Il y a enfin une déforestation primaire et une autre, beaucoup moins nocive pour l'environnement, dite secondaire.

La déforestation légale, que j'ai pu suivre par exemple sur le terrain dans l'État du Pará, à huit heures de route en bus et en 4x4 depuis la capitale Belém, ne se concentre pas sur la forêt tropicale mais sur une végétation moins dense. Là, on est déjà loin des tropiques et sur la ligne même de l'équateur: la forêt tropicale amazonienne y est, de fait, une savane équatoriale.

À Paragominas, la grande ville de cette région, en suivant des propriétaires terriens (des fazendeiros), j'ai découvert la réalité de ces fermes à grande échelle. La culture du soja transgénique, légale bien avant Bolsonaro, y est le moteur du défrichage et de la coupe massive d'arbres.

Ce type de déforestation, lorsqu'elle concerne la savane plus que la forêt, est moins nocive pour l'environnement. Surtout, il semble possible de la freiner par des incitations économiques. Les abattoirs et la grande distribution contribuent à imposer, sur le terrain, des normes environnementales pour éviter les sanctions. Celles-ci étaient fédérales, sous Lula et Dilma Roussef; aujourd'hui, on parle de sanctions internationales. L'accord UE-Mercosur peut donc se révéler un bon outil pour contraindre l'agrobusiness, les abattoirs et la grande distribution à maintenir le cap environnemental.

«La déforestation illégale est la moins contrôlable car elle émane de pauvres contraints de déboiser pour survivre.»
Alfredo Sirkis, écrivain, journaliste, responsable de la protection de l'environnement urbain et ancien parlementaire brésilien

En revanche, la déforestation illégale semble la plus problématique. Une partie significative des défrichages sauvages sont le fait d'une spéculation foncière émanant de petits propriétaires, de la petite paysannerie et des populations indigènes elles-mêmes –on estime à 500.000 les familles qui vivent sur le front pionnier au Brésil. Comme j'ai pu le constater sur le terrain, on est loin du déboisement de masse des industriels: à Nova Paragonorte, par exemple, j'ai vu une déforestation qui était le fait des assentamentos, de petits propriétaires sur de petites parcelles. Parfois, il peut s'agir aussi de madeireiros, les trafiquants de bois.

 

 

Une autre déforestation est d'origine criminelle: un véritable crime écologique organisé. Des pionniers s'installent sur le front de la forêt et s'approprient les terres, et leurs ressources naturelles, une fois déforestées. Longtemps, ils ont été encouragés par le gouvernement, bien avant l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Ces hors-la-loi, qui se ruent sur la forêt comme on se ruait hier vers l'or, sont souvent issus des classes brésiliennes les plus pauvres qui tentent de trouver une vie meilleure. L'acquisition de terres par des paysans sans terre. Ainsi, le «front pionnier» se développe. «La déforestation illégale est la plus difficile à contrôler car elle émane de Brésiliens pauvres qui sont obligés de déboiser pour survivre», insiste Sirkis.

Il faut cependant nuancer entre la déforestation primaire, qui concerne la forêt amazonienne originale, et la déforestation secondaire. La première est la plus critique car elle consiste à détruire la forêt originale et son écosystème si particulier. La seconde, qui concerne des forêts secondaires déjà déboisées ou reboisées, offre la possibilité de prélever légalement et régulièrement des arbres. Ils sont le plus souvent remplacés par de nouveaux.

Trois autres phénomènes sont à signaler. À commencer par l'accaparement des terres du fait des grileiros, ces multinationales parfois non brésiliennes, qui profitent de la montée des prix de l'alimentation pour investir dans la terre et conquérir la «nouvelle frontière».

«L'agrobusiness a fait pression sur le gouvernement afin de ne pas sortir de l'accord de Paris sur le climat.»
Alfredo Sirkis, écrivain, journaliste, responsable de la protection de l'environnement urbain et ancien parlementaire brésilien

Le second concerne l'or: ces dernières années, des réserves importantes du métal précieux ont été identifiées dans certaines régions de l'Amazonie et des garimpeiros, souvent des pauvres, se précipitent clandestinement par dizaines de milliers dans cette quête –déboisant à leur tour la forêt.

Enfin, on trouve des pasteur·es évangéliques, notamment les néo-pentecôtistes qui se sont révélé·es hostiles à l'environnement pour des raisons paradoxales. Leur goût du pouvoir et de l'argent les a incité·es à se rapprocher des lobbies les plus hostiles à l'environnement, même si la masse des fidèles peut avoir une autre approche.

«Les géants de l'agrobusiness ne sont pas forcément favorables à la déforestation car leur priorité, c'est le commerce mondial: ils sont terrorisés par l'idée d'un boycott international et peuvent vouloir freiner le mouvement, m'explique Alfredo Sirkis. C'est pour cette raison que l'agrobusiness a fait une immense pression sur le gouvernement afin de ne pas sortir de l'accord de Paris sur le climat. Bolsonaro les a suivis: ce fut une concession inattendue de sa part.»

Dynamisme d'un mouvement pro-environnement

Les forces pro-environmentales existent néanmoins au Brésil. À Parati, où se tenait un important festival culturel mi-juillet, j'ai pu assister à leur démonstration de force: de multiples associations vertes et des activistes écologistes s'y réunissaient. Certains sont proches des partis verts ou de Marina Silva, l'ancienne ministre de l'Environnement de Lula, une élue à la fois green et évangélique, mais qui a récemment connu des scores électoraux calamiteux. D'autres sont des soutiens actifs de la Conférence de Paris, du Climate Reality Project d'Al Gore ou de One Planet, l'initiative du président Macron en faveur de la décarbonisation.

Les intellectuel·les et écrivain·es engagé·es en faveur de l'environnement sont également légion dans le pays, et s'inscrivent dans l'héritage de Jean-Jacques Rousseau, de Gandhi, de René Dumont, d'André Gorz ou de Noami Klein. On ne compte plus les ouvrages sur ces sujets dans les librairies du pays. Des économistes inspiré·es par les initiatives d'Al Gore ou les travaux de Michel Aglietta ou de Jean-Charles Hourcade s'intéressent aux agences de notation dont certains critères sont verts, aux fonds d'investissement indexés au «moins carbone» mais encore aux cryptomonnaies articulées à la décarbonisation –certes une goutte d'eau à l'échelle des menaces qui pèsent sur la forêt amazonienne.

Tout un mouvement se développe également en faveur de la reforestation dans un pays où l'on estime que 60 millions d'hectares de sols sont disponibles pour accueillir de nouvelles forêts. «Le potentiel de reforestation au Brésil est immense», insiste Alfredo Sirkis.

À défaut d'être protégée, la forêt amazonienne sera au moins observée sous la présidence Bolsonaro.

L'Église catholique joue également un rôle de plus en plus positif dans le domaine de l'environnement. En mai 2015, le pape François a rendu publique l'encyclique Laudato si' consacrée aux questions environnementales, à «l'écologie intégrale» et à la sauvegarde de «la maison commune». Celle-ci a été largement inspirée par l'un des théologiens brésiliens les plus marquants des cinquante dernières années: Leonardo Boff. Lorsque je rencontre l'éco-théologien, mi-juillet, chez lui à Petrópolis, il me confirme ses contacts avec le pape au sujet de l'écologie, même s'il refuse de s'attribuer quelque copyright que ce soit dans ce texte majeur.

À la suite de cette encyclique, un synode sur l'Amazonie aura lieu à Rome en octobre prochain, ce qui replacera le sujet de l'environnement et du soutien aux populations aborigènes au centre du débat catholique.

Enfin, l'existence d'un système satellitaire efficace pour suivre au jour le jour, kilomètre par kilomètre, l'état de déforestation en Amazonie apparaît comme un point positif en dépit de cette situation d'ensemble désespérante.

Hérité des années Lula et Dilma Roussef, cet observatoire d'alerte en temps réel est piloté par l'Institut national de recherches spatiales du Brésil (INPE). Il fonctionne à partir du satellite Prodès. Bien sûr, le gouvernement Bolsonaro a mis en cause la fiabilité de ces données de surveillance et affirmé que le système de l'organisme était «manipulé». Ce qui a été vivement contesté par les experts.

À défaut d'être protégée, la forêt amazonienne sera au moins observée sous sa présidence. Faute de pouvoir agir, on pourra au moins voir le drame se dérouler sous nos yeux. Une bien maigre consolation.

Épisode 2Comment l'accord de libre-échange entre l'Europe et le Mercosur peut sauver l'environnement
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